29 Janvier 2023 À 16:59
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Le secteur sidérurgique marocain fait face à une multitude de défis portant notamment sur le coût des matières premières utilisées par les industriels du secteur, à savoir en particulier la ferraille, le coût énergétique, la baisse de la demande, le manque de compétitivité par rapport aux pays de la région, la concurrence déloyale des importations, la fiscalité, la décarbonation, l’innovation. C’est ce qui ressort du débat de L'Info en Face du jeudi 26 janvier, dont Ismaïl Akalay, directeur général du groupe Sonasid et président de l'Association des sidérurgistes du Maroc (ASM), était l’invité.
Ces préoccupations ne sont toutefois pas toutes de même intensité. Et c’est surtout la matière première (ferraille) qui taraude le plus les sidérurgistes marocains. Et pour cause, elle représente 70% de leurs charges. Un souci nourri par des perspectives qui ne sont pas rassurantes. En fait, Ismaïl Akalay s’attend à une flambée des prix du minerais de fer qui pourrait être importante et impacter le prix de la ferraille. Ce qui se traduira par des répercussions en cascade, à commencer par l’augmentation des prix de l’acier qui aura, à son tour, un impact négatif sur le BTP, l’immobilier…
«Nous avons des taux de rentabilité opérationnelle qui ne dépassent pas les 3%. Déjà en 2021, quand il y a eu la flambée des prix de l’acier, nous avons attendu plus de 6 mois avant de commencer à augmenter nos prix et, du coup, cela nous a impactés», rappelle Ismaïl Akalay. Mais, poursuit-il, «le plus important pour nous, c’est de faire en sorte que le marché de l’immobilier ne s’arrête pas, ce qui est malheureusement le cas aujourd’hui. Car ce marché a reculé de manière importante». Un recul que seule l’aide prévue par l'État pour le soutien au logement au profit des acquéreurs de logements destinés à l'habitation principale pourra juguler, selon l’invité de L'Info en Face qui dit que les opérateurs attendent cette mesure «avec impatience».
Par ailleurs, ce problème du coût de la matière première est accentué par une anomalie dans la TVA grevant la fiscalité. En fait, rappelle le président de l'Association des sidérurgistes du Maroc, la TVA n’est appliquée que sur une partie de la ferraille vendue localement, ce qui crée des situations de fraude et de non-paiement de la TVA. «Cela fait trois ou quatre ans que nous remettons sur la table ce problème de la TVA sur la ferraille. Mais malheureusement, on n’a pas été entendu», déplore-t-il. Il explique que 20 à 30% de la ferraille qui est vendue au Maroc provient des industriels. Cette ferraille subit une TVA de 20%. Les 70 à 80% restants qui sont collectés par les petits ferrailleurs ne subissent pas la TVA. Or la loi dit que toute activité industrielle qui produit de la ferraille est soumise à un taux de 20% de TVA pour la vente de cette ferraille. Le problème, précise-t-il, provient surtout du fait que le passage entre les deux types de ferraille est extrêmement facile si on veut frauder. Ainsi, poursuit-il, les collecteurs de la ferraille achetée sans TVA la vendent aux sidérurgistes qui respectent la réglementation avec TVA. Ce qui crée une distorsion dans le marché, avec une différence du coût qui va de 10 à 20% entre les opérateurs. Par ailleurs, cet industriel profite de son passage à l’émission L'Info en Face pour appeler le gouvernement à être prudent sur le plan fiscal et plaide pour une fiscalité qui encourage les entreprises à investir au Maroc.
Les sidérurgistes se plaignent également de la concurrence déloyale des importations. À noter que des mesures de défense commerciale ont été prises par l’État en faveur de la production nationale. Il en est ainsi de la production des ronds à béton qui bénéficie actuellement d’une mesure de sauvegarde appliquée depuis 2013 et qui prend fin en novembre prochain. Celle-ci consiste à soumettre le rond à béton importé au Maroc à une taxe de 50 euros la tonne, mais cette mesure est assortie d’un démantèlement progressif, puisque chaque année, 10% de ces importations sont libérées de cette taxe.
Ces mesures ne sont toutefois pas du goût de tout le monde. Certains opérateurs, tels les métallurgistes, la contestent. «Il faut savoir ce qu’on veut. Voulons-nous que les entreprises mises en difficulté par cette situation disparaissent ?» rétorque Ismaïl Akalay. Deuxièmement, martèle-t-il, la concurrence ne peut être intéressante que si l’on s’assure que les producteurs de l’acier à bas coût qui exportent au Maroc ne sont pas aidés par leurs gouvernements de manière illégale. En fait, relève-t-il, «beaucoup de ces producteurs reçoivent des subsides pour exporter le surplus de leur production, ce qui n’est pas le cas chez nous».
Toutefois, au-delà de ces mesures, qui ne peuvent pas être permanentes, le secteur sidérurgique marocain devra faire face à un problème de taille dont il souffre, à savoir le manque de compétitivité par rapport aux producteurs de pays tels la Turquie et l’Égypte. «La Turquie produit plus de 12 millions de tonnes d’acier, contre 2 millions seulement au Maroc. Donc on ne peut pas comparer les coûts fixes à une production comme celle du Maroc. Ensuite, les monnaies des deux pays ont été dévalorisées d’une manière importante, ce qui fait que le poids de tout ce qui est consommable localement a considérablement diminué dans le prix de revient total de leur acier. Donc ils ont un certain nombre d’atouts qui font qu’ils peuvent exporter beaucoup plus facilement que nous», explique Ismaïl Akalay. Il profite de cette occasion pour appeler les pouvoirs publics à faciliter aux sidérurgistes l’importation de la ferraille au moment où l’Europe se prépare à leur interdire l’accès à cette matière première en faveur de ses propres opérateurs. Il propose comme alternative de faciliter l’importation des États-Unis et d'autres pays, en assurant la réception de grands bateaux permettant la réduction du coût.
L’énergie est source d’un autre grand souci pour les sidérurgistes. D’abord, elle représente 25% des coûts de cette industrie. Ensuite, elle pose le défi de la décarbonation qui est une exigence mondiale et qui se traduit par des enjeux commerciaux. De ce fait, les industriels sont devant l’obligation de migrer vers des sources d’énergie moins chères et moins polluantes. Ainsi, ils veulent remplacer le fioul par le gaz naturel, ce qui est faisable, notamment dans le nord du Maroc, indique le DG du groupe Sonasid. «Je crois que cela ne tardera pas pour notre usine de Nador», note-t-il. «Nous sommes prêts à utiliser le gaz naturel, qui est moins cher de 50% et moins polluant, dans nos laminoirs», affirme-t-il. Sur la partie électrique, ajoute-t-il, «nous avons décidé d’installer le photovoltaïque. Nous venons de démarrer une station à Nador de 2 méga et nous préparons une deuxième», ajoute-t-il. Il précise que 85% de l’énergie électrique utilisée par Sonasid est d’origine éolienne. «Nous sommes benchmark au niveau international, nous avons l’acier le plus vert qui existe sur le marché aujourd’hui. Avec le solaire, nous allons avoir des produits avec à 100% de l’énergie électrique verte», souligne-t-il.
Le groupe compte d’ailleurs se mettre à l’hydrogène vert qui devra être aussi moins cher, une fois disponible. De ce fait, affirme-t-il, Sonasid est déjà conforme à toutes les exigences en matière de décarbonation. «Nous avons déjà exporté et nous comptons développer davantage l’export», y compris vers les États-Unis, note-t-il, rappelant que la société vient de lancer la fibre d’acier qui est complètement décarbonée et qui est destinée à 80% au marché nord-américain. La première vente de ce produit se fera au cours de ce mois de janvier et elle sera destinée à la construction du métro de Paris. Pour le reste (20%), la société compte marketer le marché marocain, mais aussi le marché africain.
Par ailleurs, les sidérurgistes marocains, notamment la Sonasid, lorgnent avec beaucoup d’intérêt ce marché, puisque la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) va éliminer les 22% de droits de douane qui sont payés aujourd’hui sur les ronds à béton marocains, note Ismaïl Akalay. En outre, souligne-t-il, Sonasid est sur des projets de production d’autres produits à haute valeur ajoutée et se dotera d’un centre de recherche.
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