AFP
13 Février 2025
À 16:18
Mercredi, le procureur de la
République d’Évry (France) a indiqué que le suspect dans le meurtre de la collégienne avait affirmé avoir voulu initialement «racketter une personne pour se calmer» après une altercation lors d’une partie de
Fortnite, populaire jeu de tir sorti en 2017.
«La décompensation psychotique, liée à un événement, à une rage, peut être de n’importe quel ordre», explique à l’«AFP»
Michaël Stora, psychanalyste expert des
pratiques numériques, estimant qu’un mauvais regard à la boulangerie ou une image à la
télévision peut provoquer un tel phénomène.
Si de nombreuses études se sont penchées sur le sujet ces dernières années, «aucun lien n’a été démontré scientifiquement» entre la pratique du jeu vidéo et un passage à
l’acte violent, rappelle de son côté le spécialiste
Olivier Mauco, fondateur de l’Observatoire européen du jeu vidéo.
Au contraire, «de par son pouvoir cathartique, le jeu vidéo a plutôt tendance à calmer, voire même à baisser la jauge des pulsions violentes et agressives», estime Michaël Stora. Pourtant, le soupçon n’est pas nouveau. Dès les années 1990, le rôle des jeux vidéo est pointé du doigt dans certains faits divers, et des associations comme Famille de France tentent de faire interdire certains titres jugés trop violents.
Mais la fusillade de
Columbine aux États-Unis en 1999, où deux
élèves amateurs de gaming ont tué plus d’une dizaine de leurs camarades et un professeur, va réellement lancer le débat de leur influence sur les comportements violents.
Si cette accusation refait régulièrement surface, c’est parce qu’il y a «un raccourci» qui s’opère entre «la dimension compétitive du
jeu vidéo et ses imaginaires» de jeux de guerre ou de combat, souligne Olivier Mauco.
Cela pousse à l’idée de croire que «si les gens tirent dans des
jeux vidéo en ligne, ils vont faire la même chose en vrai. Or, ce n’est pas du tout le cas», souligne le spécialiste, qui insiste sur le fait que des accusations similaires ont pu cibler le cinéma ou certains genres musicaux dans le passé.
En juin 2023, le
président Macron avait ravivé cette idée en affirmant que «certains (jeunes vivaient) dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués» pendant les émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel (tué par un policier à Nanterre) – avant de faire son mea culpa quelques mois plus tard.
«Dans un contexte où on diabolise énormément les
écrans et les jeux vidéo, il y a une sorte de
raccourci intellectuel qui arrange bien» certains décideurs politiques, souligne pour sa part Michaël Stora, «pour éviter une réflexion beaucoup plus complexe sur notre société».
Un soupçon qui agace aussi ceux qui font vivre cette industrie, qui emploie entre 12.000 et 15.000 personnes en France.
Mercredi, le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell) et
Video Games Europe, deux entités qui réunissent studios et éditeurs en France et en Europe, se sont agacés dans un communiqué transmis à l’«AFP» d’une «fausse affirmation» qui «détourne l’attention» des «vrais facteurs plus larges, complexes et déterminants expliquant la violence».
Pour Laura Turban, chef de projet à
Ubisoft Bordeaux interrogée par l’«AFP» jeudi en marge d’une manifestation du secteur, «cela n’a aucun sens» sachant que «beaucoup de gens jouent aux jeux vidéo».
Selon le baromètre annuel du jeu vidéo en France, publié par le Sell en octobre, plus de 38 millions de
Français ont joué au moins une fois à un jeu vidéo en 2023. Et 52% des Français jouent au moins une fois par semaine. n