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La Turquie perpétue le douloureux souvenir du 15 juillet à travers un ambitieux programme médiatique international

À l'occasion du 9e anniversaire de la tentative de coup d'État qui a ébranlé la Turquie, la Direction de la communication de la République turque a orchestré un programme médiatique d'envergure du 14 au 18 juillet 2025. Cette initiative, réunissant 200 journalistes, dont 120 internationaux venus de 41 pays, témoigne de la volonté d'Ankara de maintenir vivace le souvenir de cette nuit dramatique où 251 personnes, dont un ressortissant marocain, ont perdu la vie en défendant la démocratie face à l'organisation FETO (l'organisation terroriste de Fetullah Gülen).

16 Juillet 2025 À 17:38

Le 16 juillet 2016 est gravé dans la mémoire collective turque comme une date charnière de l'histoire contemporaine du pays. Cette nuit-là, une faction de l'armée turque tentait de renverser le gouvernement démocratiquement élu, plongeant la nation dans l'une des crises les plus graves de son histoire récente.



Les chars dans les rues, les avions de combat survolant les grandes villes, le Parlement bombardé : autant d'images qui ont marqué les esprits et qui continuent de hanter la conscience nationale. Parmi les 251 victimes qui ont payé de leur vie leur engagement pour la démocratie figurait Jadoid Merroune, un citoyen marocain dont le sacrifice symbolise la dimension universelle de cette tragédie.

Un programme médiatique d'ampleur internationale

Neuf ans après ces événements dramatiques, la Turquie n'oublie pas. À l'occasion de la Journée de la démocratie et de l'unité nationale du 15 juillet, la Direction de la communication de la République de Turquie, par l'intermédiaire de son Bureau de coordination des médias internationaux, a organisé un programme médiatique d'envergure qui se déroule jusqu'au 18 juillet 2025 à Ankara et Istanbul. Cette initiative ambitieuse a rassemblé un total de 200 journalistes, dont 81 représentants des médias locaux issus des 81 provinces de Turquie, ainsi que 120 journalistes internationaux invités de 41 pays, parmi lesquels deux journalistes marocains, dont notre envoyé spécial du «Matin».

L'ampleur de ce dispositif médiatique témoigne de la volonté des autorités turques de faire de cette commémoration un moment de partage et de transmission au-delà des frontières nationales. En ouvrant ainsi les portes de ses institutions et de ses lieux de mémoire à la presse internationale, la Turquie cherche manifestement à inscrire son récit national dans une perspective plus large, celle de la défense universelle des valeurs démocratiques.

Les cicatrices encore visibles du Parlement

La visite de la Grande Assemblée nationale de Turquie a constitué l'un des moments les plus poignants de ce programme. Les journalistes ont pu constater de visu les stigmates encore visibles des bombardements qui ont frappé le siège du pouvoir législatif turc durant cette nuit fatidique. Ces traces, volontairement préservées, servent aujourd'hui de témoignage tangible de la violence qui s'est abattue sur les institutions démocratiques du pays.

Les impacts du bombardement, les débris conservés sous protection, les photographies des dégâts immédiatement après les attaques : autant d'éléments qui transforment le Parlement turc en un lieu de mémoire vivante. Cette préservation méticuleuse des traces du coup d'État manqué participe d'une volonté pédagogique évidente : montrer aux générations futures et aux visiteurs nationaux et étrangers la réalité brutale de ce qu'a vécu la démocratie turque cette nuit-là.

Le Musée de la démocratie : un parcours immersif dans la mémoire collective

Point d'orgue de ce programme commémoratif, la visite du Musée de la démocratie du 15 juillet à Ankara a offert aux journalistes internationaux une plongée immersive dans les événements de 2016. Inauguré par le Président Recep Tayyip Erdogan, ce musée vise à rappeler la résistance du peuple turc contre l'organisation terroriste FETO. Stratégiquement situé dans la capitale, précisément en face du palais présidentiel à Bestepe, l'établissement utilise des contenus multimédias et numérisés pour transmettre aux générations futures et aux visiteurs l'essence de cet événement historique.

L'architecture même du musée, avec ses huit salles thématiques, raconte une histoire qui dépasse le cadre strictement turc. La première partie, consacrée aux «Coups d'État en Turquie et dans le monde», inscrit d'emblée les événements du 15 juillet dans une perspective historique et géographique plus large. Cette mise en contexte permet aux visiteurs de comprendre que la tentative de coup d'État de 2016 n'est pas un événement isolé, mais s'inscrit dans une longue histoire de fragilités démocratiques à travers le monde.

Un parcours sensoriel au service de la mémoire

Le dispositif muséographique déploie une scénographie particulièrement élaborée pour faire vivre aux visiteurs l'intensité de cette nuit historique. Les journalistes ont ainsi traversé un couloir sombre ponctué d'effets sonores et lumineux, une expérience sensorielle destinée à recréer l'atmosphère d'angoisse et d'incertitude qui régnait alors. Cette immersion se poursuit dans la salle dédiée à «La menace d'une balle», où la violence brute du coup d'État est évoquée sans détour.

La salle intitulée «La nuit la plus longue» constitue le cœur émotionnel du parcours. Une projection vidéo y retrace minute par minute le processus depuis le début de la tentative de coup d'État jusqu'à son dénouement. Cette reconstitution chronologique permet de mesurer l'ampleur du chaos qui s'est emparé du pays et la rapidité avec laquelle les citoyens se sont mobilisés pour défendre leurs institutions.

L'hommage aux martyrs

Les sections «Respect aux martyrs» et «Le devoir envers la démocratie» apportent une dimension profondément humaine à ce parcours mémoriel. Le musée transmet les témoignages des citoyens qui ont participé à la résistance et permet d'écouter les histoires des 251 martyrs, dont les biographies sont exposées avec soin. Parmi eux, la présence de Jadoid Merroune, le citoyen marocain tombé cette nuit-là, rappelle que la défense de la démocratie transcende les nationalités et les frontières.

Cette mise en lumière des parcours individuels transforme une statistique abstraite en une réalité humaine tangible. Chaque biographie raconte une vie interrompue, des rêves brisés, des familles endeuillées. Cette approche personnalisée de la mémoire collective permet aux visiteurs de mesurer le prix humain payé pour la sauvegarde des institutions démocratiques.

L'arbre de la démocratie

La dernière section du musée offre une perspective résolument tournée vers l'avenir. Sous un dôme en verre s'élève un arbre artificiel, le plus grand de Turquie, dont la symbolique est explicitement revendiquée : ses racines représentent l'histoire de la Turquie tandis que ses branches et feuilles illuminées évoquent un avenir radieux. Cette métaphore végétale de la nation turque suggère à la fois l'enracinement dans une histoire millénaire et la capacité de croissance et de renouvellement. Sous cet arbre monumental, 90 sculptures représentent des personnes engagées pour la démocratie après le 15 juillet. Cette installation artistique témoigne de la volonté de transformer le traumatisme en force constructive, de faire de la résistance citoyenne non pas seulement un souvenir du passé, mais un engagement pour l'avenir.

Le discours présidentiel : une communion nationale dans l'émotion

Le point culminant de ces commémorations fut sans conteste le discours prononcé par le Président Recep Tayyip Erdoğan devant la Grande Assemblée nationale. Dans une allocution empreinte d'émotion, le Chef de l'État turc a salué «avec mes sentiments les plus sincères, le respect, et la bonne volonté» l'ensemble des députés et invités présents, soulignant combien il était «très heureux de pouvoir être avec vous dans notre Grande Assemblée» en ce 9e anniversaire.

«Comme lors de cette nuit d'épreuve où nous avons dû revêtir le manteau de la bravoure, nous sommes de nouveau unis, forts et solidaires», a déclaré le Président, donnant d'emblée le ton d'un discours oscillant entre le souvenir douloureux et l'affirmation de la force collective. L'évocation de la vidéo projetée durant la cérémonie a permis au Président de rappeler comment «avec douleur, tristesse et colère, nous avons également redécouvert, devant nos yeux, la solidarité, le courage et la résistance».

L'hommage vibrant aux martyrs et aux résistants

Dans un passage particulièrement poignant de son intervention, le Président Erdoğan a récité la Fatiha pour les 251 martyrs, demandant que «Dieu les accueille dans Sa miséricorde». La dimension internationale de cette résistance a été soulignée avec force par le Président qui a tenu à exprimer sa gratitude aux «7 millions de citoyens à l'étranger» ainsi qu'aux «amis et frères de la région et du monde entier».

Le ton s'est durci lorsque le Président a évoqué «le chef de FETO, le principal instigateur de ce complot», affirmant qu'il «a été déchu par la fermeté, le courage et la résistance héroïque de notre peuple». La métaphore de l'arroseur arrosé a été mobilisée : «La fosse dans laquelle il voulait nous plonger a été assainie à jamais par cette lutte déterminée». Plus controversée fut la critique acerbe de ceux qui, selon le Président, n'ont pas pris part à la résistance ou l'ont critiquée. La dénonciation s'est faite cinglante contre «ceux qui ont applaudi le coup d'État» et «ceux qui attendaient dans l'ombre, calculette à la main, pour voir qui gagnerait».

La promesse d'une «Turquie sans terrorisme»

Le discours s'est conclu sur une note résolument tournée vers l'avenir avec la promesse d'une «Turquie sans terrorisme». «Le sacrifice de nos martyrs n'a jamais été vain, et ne sera jamais vain», a martelé le Président, affirmant que leur combat est «à l'origine de notre bientôt Türkiye sans terrorisme». Cette vision prospective s'accompagne d'ambitions géopolitiques affirmées : «La nouvelle ère du siècle turc s'accélérera, et dans un monde multipolaire, notre pays, inchaAllah, sera un nouveau leader reconnu et respecté».

L'appel final à l'unité nationale autour de la Grande Assemblée pour «éliminer le terrorisme» témoigne de la volonté présidentielle de transformer le souvenir du 15 juillet en force motrice pour les défis contemporains de la Turquie.

La transmission internationale d'une mémoire nationale

L'organisation de ce programme médiatique international révèle une stratégie de communication sophistiquée de la part des autorités turques. En invitant des journalistes du monde entier à témoigner de ces commémorations, la Turquie cherche manifestement à internationaliser le récit de sa résistance démocratique. Cette démarche s'inscrit dans une volonté plus large de faire reconnaître la gravité des événements du 15 juillet 2016 au-delà des frontières nationales.

La présence de journalistes marocains dans cette délégation internationale prend une résonance particulière au regard du sacrifice de Jadoid Merroune. Elle témoigne des liens qui unissent les deux pays et de la reconnaissance mutuelle face à cette tragédie partagée. Cette dimension bilatérale enrichit le caractère universel du message véhiculé par ces commémorations.
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