Dans les propos de
Abdessamad Alhyan, président de l’association Tizi, se lit la conscience tranquille d’
une génération qui refuse l’indifférence, mais doute encore de sa place dans l’espace public. À 28 ans, il parle depuis le réel : celui d’une jeunesse informée, active, souvent engagée dans la société civile, mais tenue à distance des cercles où s’élaborent les décisions. Son passage à
«L’Info en Face» du 9 octobre ne se voulait ni un plaidoyer ni une dénonciation. Il s’inscrivait dans une réflexion plus profonde : comment restaurer la confiance entre les jeunes et les institutions, comment redonner à la participation civique sa signification et sa portée dans un pays qui cherche à renouveler ses élites sans rompre avec ses fondements ?
La confiance à reconstruire
Pour Abdessamad Alhyan, la désaffection politique des jeunes ne relève pas du désintérêt, mais d’une rupture du lien. Ce n’est pas la jeunesse, dit-il, qui s’est éloignée de la vie publique, mais les structures politiques qui ont cessé de l’associer. «La jeunesse ne rejette pas la politique, elle rejette la manière dont on la pratique», observe-t-il. À force de reproduire les mêmes logiques, le pays a vu se creuser une distance entre la décision et ceux qui aspirent à y contribuer. Moins de 2% des jeunes sont membres d’un parti et à peine 20% sont inscrits sur les listes électorales. «La nature ne tolère pas le vide ; lorsque les jeunes se retirent, d’autres, moins légitimes, s’y installent.» Pour restaurer la confiance, il faut reconnaître ce retrait, en comprendre les causes et rouvrir des espaces d’échange. La société civile, souligne-t-il, doit redevenir un relais entre la parole citoyenne et l’action publique, un lieu où la participation retrouve son sens.
Une génération sans faux-semblants
Abdessamad Alhyan voit poindre une fracture silencieuse, non entre la jeunesse et la politique, mais entre deux manières de concevoir le monde.
La Génération Z, dit-il, vit dans un univers d’immédiateté, de transparence et d’interconnexion permanente. «Ces jeunes détestent l’hypocrisie. Ils veulent des résultats, de la clarté, et refusent les faux débats», affirme-t-il. Cette génération, connectée dès l’enfance, supporte mal la
lenteur des procédures et
la distance des discours. Là où les aînés croient au compromis, eux réclament la cohérence et l’efficacité. Ils ne rejettent pas le débat, mais l’inertie. Entre un jeune de vingt-sept ans et un autre de dix-sept, souligne-t-il, le fossé est déjà perceptible : les repères, les codes et les moyens de s’informer ont changé. Les plus jeunes ne s’accommodent plus des promesses différées ni du langage politique traditionnel. Ils veulent comprendre, décider et agir, dans le même mouvement.
Pour le président de Tizi, cette impatience n’est pas un défaut, mais une chance. Elle traduit un désir d’impact immédiat et une exigence d’utilité concrète. «Cette génération ne rejette pas la politique, elle rejette sa mise en scène», résume-t-il. C’est pourquoi, ajoute-t-il, les institutions doivent apprendre à parler un langage différent : plus direct, plus sincère, plus ancré dans la réalité vécue. À cette condition, la rencontre entre l’État et la jeunesse cessera d’être un dialogue interrompu pour redevenir un projet partagé.
La responsabilité et le prix de l’engagement
La réflexion de M. Alhyan s’élargit à la question de la responsabilité. Car toute transformation durable suppose un engagement constant. «Le militantisme a un coût. Il faut accepter de le supporter avec sincérité et persévérance.» Les jeunes, dit-il, ne peuvent espérer un changement sans y contribuer pleinement. L’action associative confronte à la lenteur, au manque de moyens, à l’usure parfois, mais c’est dans cette épreuve que se forment la méthode et la cohérence. L’engagement n’est pas un geste d’instant, c’est une fidélité dans le temps. «Être jeune et acteur du changement, c’est accepter le risque, la lenteur et parfois la solitude de l’action publique.» Ainsi, la participation ne se réduit pas à un slogan. Elle devient une pratique quotidienne, une patience active. C’est à ce prix que la jeunesse pourra redevenir une force d’initiative, capable non seulement d’interpeller, mais d’agir.
La société civile, levier d’un nouvel équilibre
Dans cette perspective, la société civile apparaît comme un levier essentiel. Elle demeure pourtant freinée par un cadre juridique daté, hérité des années 1970, et par une dépendance financière qui limite son autonomie. «Beaucoup d’associations survivent grâce aux soutiens étrangers. Sans cela, elles ne pourraient même pas fonctionner», rappelle M. Alhyan. Pour lui, la solution n’est pas dans les réformes spectaculaires, mais dans des ajustements concrets : simplifier les procédures, assurer des financements stables, et reconnaître la société civile comme un véritable partenaire de l’État. «Il faut laisser aux associations une marge d’action réelle. C’est en leur donnant cette liberté qu’on libérera aussi l’énergie des jeunes.» Ainsi repensée, la société civile deviendrait un pont entre institutions et citoyens, un espace où la responsabilité se conjugue avec la créativité, et où la démocratie se construit par la pratique, met-il avant.
Une pédagogie civique à reconstruire
La réconciliation entre les jeunes et la vie publique passe d’abord par la connaissance. Car comment s’impliquer dans un système dont on ignore les règles et les acteurs ? «Beaucoup de jeunes ignorent ce qu’est un parlementaire ou comment s’élabore une politique publique», note-t-il. Pour combler ce vide, Tizi a créé une plateforme d’engagement civique composée de 53 modules et de 30 capsules vidéo. L’objectif : rendre les notions fondamentales de la citoyenneté plus accessibles et plus concrètes. «L’enjeu n’est pas d’enseigner de manière théorique, mais de rendre l’action publique lisible, proche et compréhensible.» Ainsi, la pédagogie devient un outil d’émancipation : comprendre avant de juger, s’informer avant d’agir et, par là même, réapprendre la citoyenneté comme exercice de discernement.
Une représentativité à repenser
La confiance, selon Abdessamad Alhyan, ne renaîtra qu’à la condition d’un véritable renouvellement des visages. Le changement, dit-il, ne peut être espéré sans renouveler ceux qui nous représentent. «On ne peut pas espérer le changement sans renouveler ceux qui nous représentent.» Dans cette perspective, il plaide pour le rétablissement d’un quota jeunesse, mais repensé dans sa philosophie autant que dans son application. Ce dispositif, explique-t-il, devrait reposer sur des critères clairs : une sélection élective, garantissant la légitimité ; un ancrage régional, assurant la diversité ; et un mandat unique, évitant la reproduction des élites. «Ces listes doivent être l’expression d’une jeunesse qui se présente, non d’une jeunesse qu’on désigne.» Ce mécanisme, ajoute-t-il, n’a rien d’un privilège. Il constituerait plutôt un levier d’équilibre démocratique, un moyen concret de redonner confiance à une génération qui ne réclame pas des faveurs, mais des conditions réelles de participation.
Des obstacles concrets, des gestes simples
Sur le terrain, la volonté d’agir se heurte encore à la complexité du réel. Créer une association, obtenir les autorisations nécessaires, mobiliser des bénévoles : autant d’étapes qui, souvent, épuisent les plus motivés avant même que le projet ne prenne forme. Pourtant, l’élan demeure. Lors du dernier appel à candidatures lancé par Tizi, plus de 400 jeunes ont postulé en l’espace de deux jours, un chiffre qui, selon Abdessamad Alhyan, témoigne d’une envie authentique de s’impliquer, à condition que le cadre le permette. «Ce ne sont pas de grandes réformes qu’il faut, mais des règles claires et une confiance partagée.»
Derrière cette formule, il plaide pour un pragmatisme assumé : simplifier les démarches administratives, garantir des modes de financement transparents, et ouvrir les équipements publics aux associations. Autant de gestes simples, mais décisifs, capables de redonner souffle à la vie associative et de transformer l’énergie disponible en action durable. Mais au-delà des obstacles matériels ou institutionnels, Abdessamad Alhyan ramène la réflexion vers un autre plan, plus essentiel : celui des valeurs et du sens de l’action publique.
Valeurs et horizon
En conclusion, Abdessamad Alhyan ramène le débat à ce qui fonde toute action publique durable : la confiance. La crise de l’engagement, explique-t-il, ne procède ni d’un désintérêt ni d’une incompétence, mais d’un lien qui s’est lentement défait entre la jeunesse et ses institutions. «Ce n’est pas la jeunesse qui s’est éloignée de la vie publique, ce sont les cadres d’action qui se sont figés.»
Dès lors, poursuit-il, il devient indispensable de replacer les valeurs au cœur du débat public : la probité, la justice sociale, la reconnaissance du mérite et la fidélité aux engagements. Ces principes, souligne-t-il, doivent redevenir la mesure du progrès collectif et le socle d’une gouvernance crédible.
Son propos rejoint pleinement l’esprit du nouveau modèle de développement et les discours de S.M. le Roi Mohammed VI, qui appellent à libérer les énergies, restaurer la confiance et faire de la jeunesse un acteur du projet national. «Le véritable enjeu n’est pas d’intégrer les jeunes, mais de leur permettre d’exercer une influence réelle.» Ainsi, conclut-il, la société marocaine ne manque ni d’idées ni de talents, elle possède les ressources morales et humaines nécessaires pour se renouveler. Encore faut-il lui redonner foi en ses propres forces. Redonner à la jeunesse sa place et sa voix, ce n’est pas une promesse, mais une responsabilité partagée : celle de bâtir ensemble le bien commun.