Le
Policy Center for the New South a réuni, le 22 mai dernier, des experts et des acteurs clés pour sa deuxième conférence-débat consacrée aux enjeux stratégiques des espaces maritimes de l'
Afrique atlantique. Sur le thème «L’Afrique atlantique, ambition d’intégration et processus d’opérationnalisation», cette édition s’est proposée de mettre en lumière les dynamiques géopolitiques complexes qui façonnent l'avenir de la région, entre espoirs d'intégration et défis maritimes.
Les fondements géopolitiques de la Vision Atlantique Royale
L'événement, ouvert par Jamal Machrouh, Senior Fellow du Policy Center for the New South, a souligné l'importance de deux initiatives majeures portées par le Maroc : l'ambition d'intégrer les 23 États africains riverains de l'Atlantique, du Cap Spartel au Cap de Bonne Espérance, et le projet de désenclavement des pays du Sahel. Ces initiatives, loin de rompre avec la politique marocaine, s'inscrivent en fait dans une continuité, ancrée dans une vision panafricaine axée sur la coopération, le partenariat gagnant-gagnant et la recherche de solutions africaines aux problèmes africains.
Ces initiatives trouvent leur fondement dans trois convictions géopolitiques majeures, selon M. Machrouh, qui sous-tendent la vision atlantique Royale. La première concerne le rôle croissant de la mer dans les relations internationales, notamment en raison du développement de l'exploitation des ressources offshore. «La mer, autrefois principalement une voie de transport, est devenue un lieu de production de richesses», explique-t-il. Soulignant l'importance de ce changement, l’intervenant rappelle qu'actuellement, «30% des hydrocarbures consommés dans le monde proviennent de zones offshore, c'est-à-dire de la mer et non de gisements terrestres».
La deuxième conviction est la nécessité d'une approche holistique des défis du Sahel, dépassant la simple dimension sécuritaire pour intégrer le développement et la prospérité. La troisième est la conviction fondamentale que l'intégration régionale est essentielle pour transformer le potentiel de l'Afrique atlantique en réalisations tangibles, notamment en mutualisant les efforts des États membres. La conférence s'est articulée autour de quatre panels, le premier étant consacré à la construction d'une identité fédératrice en Afrique atlantique. Les intervenants ont souligné l'importance de l'appropriation et de l'adhésion des États membres, ainsi que la nécessité d'identifier les opportunités politiques, économiques et stratégiques dans la région.
Le PEAA, un processus aligné sur les instruments de l'UA
Amadou Tall, Expert Senior en gouvernance et économie bleue, a rappelé que l'initiative de l'Afrique atlantique s'inscrit en ligne avec la stratégie maritime africaine intégrée à l'horizon 2050 et de l'Agenda 2063 de l'Union africaine. Il a mis en avant le Processus des États africains atlantiques (PEAA) comme un outil de coordination, de sécurisation et de développement, aligné sur les instruments de l'UA. Amadou Tall a insisté par ailleurs sur la nécessité d'une gouvernance efficace, d'un cadre légal clair, d'un appui institutionnel fort et de partenariats solides, notamment avec les Nations unies. L'expert a également souligné l'importance de développer le commerce intra-africain, notamment à travers la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).
Une région en mutation, entre opportunités et risques
De son côté, Zein El Abidine Mohamed Salem, directeur des statistiques et de l'analyse économique à la Banque centrale de Mauritanie, a mis en exergue l'importance stratégique de l'Afrique atlantique, représentant près de la moitié de la population africaine, soit un bassin de consommation important et abritant des ressources naturelles considérables. Le haut responsable mauritanien a déploré en revanche les opportunités manquées, la principale étant le faible niveau du commerce intra-africain. «En 2024, le commerce intra-africain s'est élevé à environ 208 milliards de dollars, sur un volume total du commerce africain de 1.400 milliards de dollars. Cela représente environ 14,4% du commerce total du continent», relève-t-il. L'intervenant signale aussi que la majeure partie des importations ou des biens utilisés par les Africains pourraient être produits sur le continent ou le sont déjà, ce qui constitue un autre potentiel inexploité. Zein El Abidine Mohamed Salem a par ailleurs évoqué les menaces pesant sur la région, notamment l'immigration et les enjeux sécuritaires, soulignant qu'une intégration réussie pourrait contribuer à les résoudre.
Questions et défis de l'intégration
Abdelhak Bassou, Senior Fellow du Policy Center for the New South, a choisi pour sa part de soulever quelques questions essentielles : ces initiatives sont-elles de simples ajouts dans le paysage africain, ou représentent-elles une réponse stratégique à une conjoncture en mutation ? La région fait face à une fragmentation croissante, notamment avec la montée de nouvelles alliances et la reconfiguration de certaines régions, notamment l’Afrique de l'Ouest et le Maghreb. La menace sécuritaire provenant du Sahel et du bassin du lac Tchad – avec le risque d’extension du terrorisme vers la côte atlantique – renforce la nécessité d’un «mur de défense» maritime.
M. Bassou a ensuite soulevé une autre question importante, celle de la coordination entre les différentes initiatives (Afrique atlantique, gazoduc, désenclavement du Sahel). L’expert estime en effet que ces projets doivent être hiérarchisés dans le temps avec la nécessité de définir des priorités et une stratégie de déploiement à court, moyen et long termes. Alors que les défis sécuritaires et infrastructurels persistent, la consolidation de ces processus, leur hiérarchisation et leur articulation stratégique seront déterminants pour que l’Afrique atlantique devienne un véritable pôle régional d’intégration, capable de jouer un rôle majeur dans la géopolitique africaine et mondiale.