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L’association des Barreaux exige le retrait du projet de loi sur la profession d'avocat

Coup de théâtre dans le bras de fer qui oppose les avocats au ministère de la Justice. Au lendemain du rejet unanime prononcé par le Barreau de Casablanca, l'Association des barreaux du Maroc (ABAM) a annoncé, le mardi 23 décembre 2025, son refus catégorique du projet de loi n°23-66 relatif à la profession d'avocat. Réuni en urgence après réception de la version finale préparée par le secrétariat général du gouvernement, le bureau de l'Association constate que le texte «ne correspond pas» aux accords issus des négociations menées sous médiation parlementaire. L'ABAM exige désormais le retrait pur et simple du projet. Une demande inédite qui referme les rangs de la profession et place la tutelle face à un front totalement uni.

24 Décembre 2025 À 17:41

Vingt-quatre heures auront suffi pour sceller l'union sacrée des robes noires. Critiquée la veille par le Conseil de l'Ordre de Casablanca pour son silence et son refus de transmettre le projet aux instances régionales, l'Association des barreaux du Maroc (ABAM) a opéré, ce mardi 23 décembre, un virage spectaculaire. À la réception de la version finale du projet de loi n°23-66, son bureau s'est réuni en session extraordinaire. Le verdict est tombé dans la soirée, cinglant : rejet total du texte et exigence de son retrait du circuit législatif. Ce revirement marque un tournant majeur dans la crise qui secoue la profession. Car l'ABAM n'est plus seulement critique : elle se pose désormais en rempart contre un texte qu'elle avait pourtant contribué à négocier pendant des mois.

De la fracture interne au front commun

La veille encore, le Barreau de Casablanca tirait à boulets rouges sur le bureau de l'Association nationale, ABAM. Sous la présidence du Bâtonnier Mohamed Hissi, le Conseil de l'Ordre avait adopté à l'unanimité un communiqué au vitriol, accusant l'ABAM d'avoir «choisi de ne pas associer les Conseils des barreaux à la discussion du projet», en violation des recommandations du 32ᵉ Congrès de Tanger. Le lendemain, les rôles s'inversent. L'Association rejoint le camp du refus et adopte une position encore plus radicale : non seulement elle rejette le projet, mais elle exige son retrait. «Tous les Ordres des avocats des différentes villes ont la même position que nous, l'Ordre de Casablanca», confirme Maître Abdelkabir Tabih, membre du Conseil casablancais, qui annonce la publication prochaine d'une analyse détaillée des dispositions litigieuses. En l'espace de quarante-huit heures, la fracture interne s'est muée en front commun. Les dix-sept barreaux du Royaume parlent désormais d'une seule voix.

Le cœur du grief : un projet qui trahit les accords

Le communiqué de l'ABAM ne laisse place à aucune ambiguïté. Le bureau de l'Association «considère que la version présentée n'est pas consensuelle et contredit les conclusions des sessions de dialogue dont il détient les procès-verbaux définitifs». Une accusation lourde de sens, qui pointe directement la responsabilité du ministère de la Justice. L'Association rappelle que le processus de négociation avait été engagé «à la suite d'un mouvement professionnel global et par le biais d'une médiation parlementaire». Les discussions, étalées sur plusieurs mois, avaient abouti à des consensus sur l'ensemble des dispositions du projet. Or la version finale transmise aux barreaux s'écarte substantiellement de ces accords. Le bureau dénonce un «manquement à la méthodologie d'engagement mutuel» et une «violation de ce qui avait été convenu».

L'indépendance de la profession, ligne rouge infranchissable

Au-delà des questions de méthode, c'est le fond du texte qui cristallise les inquiétudes. L'ABAM alerte sur «une atteinte grave aux grands principes de la profession d'avocat, au premier rang desquels l'indépendance». Ce principe cardinal, consacré par les standards internationaux et les textes constitutionnels, constitue la pierre angulaire de l'exercice de la défense. Pour les instances représentatives, certaines dispositions du projet remettraient en cause des garanties consolidées depuis le premier texte autonome régissant la profession, adopté en 1924. Un siècle d'acquis serait ainsi menacé par une réforme conduite, selon elles, en dehors des règles du jeu préalablement établies.

Une exigence inédite : le retrait du projet

Face à ce constat, l'Association des barreaux franchit un pas supplémentaire dans l'escalade. Elle «exige des parties concernées le retrait du projet et le retour à la version consensuelle». Une demande sans précédent dans l'histoire récente des relations entre la profession et sa tutelle. Le communiqué précise que cette exigence vise à «garantir la poursuite d'un dialogue constructif, au service de la profession, de la justice et de la nation». Une formulation qui laisse entrevoir une porte de sortie : le retour à la table des négociations, mais sur la base des accords initiaux.

Un dialogue déjà fragilisé

Ce nouvel épisode s'inscrit dans une séquence plus large de tensions entre les avocats et le ministère de la Justice. En novembre 2024, les dix-sept barreaux avaient déclenché une grève générale illimitée pour protester contre le projet de loi sur la procédure civile, paralysant les tribunaux du Royaume pendant plusieurs semaines. Le président de l'ABAM, Houcine Ziani, dénonçait alors l'absence de «dialogue sérieux» avec le ministre Abdellatif Ouahbi. C'est précisément pour sortir de cette impasse qu'une médiation parlementaire avait été engagée, ouvrant la voie à un nouveau cycle de négociations. Des négociations que les avocats estiment aujourd'hui qu'elles ont été trahies.

Le ministère de la Justice n'a pas encore réagi à la demande de retrait formulée par l'ABAM. Mais l'équation politique s'est singulièrement compliquée. Avec l'alignement de l'ensemble des barreaux sur une position de rejet, le gouvernement se trouve face à un dilemme : maintenir le cap et risquer un nouveau blocage du système judiciaire, ou accepter de rouvrir le dossier.
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