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Code de procédure pénale : les principales nouveautés

Vingt-trois ans après la dernière réforme, le Maroc s’est doté d’un nouveau Code de procédure pénale, publié au Bulletin officiel le 8 septembre 2025. Le ministère de la Justice salue «un moment historique» qui traduit la volonté du Royaume de «consolider l’État de droit et moderniser la justice». Mais en dépit des avancées qu’incarne le nouveau Code, certaines dispositions ne semblent pas faire l’unanimité. Il en est ainsi de l’article qui réserve le pouvoir d’engager des poursuites dans les affaires de corruption et de crimes financiers aux seules autorités du Ministère public. D’où les réserves du CNDH et du CESE qui redoutent un affaiblissement des mécanismes d’alerte démocratique et une marginalisation des contre-pouvoirs civils.

15 Septembre 2025 À 18:07

La publication, le 8 septembre 2025, de la loi n°03-23 au Bulletin officiel consacre l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale marocain. Vingt-trois ans après l’adoption de la précédente version (loi 22.01 de 2002), ce texte s’inscrit dans une dynamique de rénovation structurelle du système judiciaire, appelée de longue date par la magistrature, les professionnels du droit et plusieurs institutions nationales. Dans son communiqué, le ministère de la Justice qualifie cette adoption de «moment historique qui illustre la volonté politique forte du Royaume, sous la conduite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, de consolider l’État de droit et de moderniser la justice». La loi, qui entrera pleinement en vigueur d’ici trois mois, est présentée comme «la charte générale encadrant l’exercice par l’État de son droit de punir», en fixant les règles d’enquête, de poursuite, de jugement et d’exécution des peines.

Garanties élargies pour les justiciables et les victimes

Sur le plan procédural, la réforme introduit plusieurs nouveautés censées garantir un procès plus équitable. En garde à vue, le suspect devra désormais être informé de ses droits dès sa privation de liberté, avec l’obligation d’accès à un avocat, la possibilité de contacter un proche et, le cas échéant, l’assistance d’un interprète. Le silence de l’accusé ne pourra plus être assimilé à un aveu, un principe déjà consacré dans plusieurs juridictions européennes. Le recours à la détention provisoire est encadré de manière plus stricte. Il devra être limité aux cas où aucune autre mesure ne peut garantir la bonne conduite de la procédure ou la sécurité publique, et toute décision de placement devra être motivée par écrit. Des alternatives, telles que la surveillance électronique ou la médiation pénale, sont désormais formellement prévues. Les victimes, quant à elles, voient leurs droits renforcés : accès à l’information sur le suivi de la procédure, accompagnement social et juridique, dispositifs spécifiques pour les femmes et enfants victimes de violences. Un Observatoire national de la criminalité est également institué, afin de fournir aux autorités des données empiriques pour orienter la politique pénale.

Un pouvoir d’action publique resserré autour du ministère

Au-delà de ces évolutions attendues, la réforme opère un changement de paradigme dans le déclenchement de l’action publique. L’article 3 réserve désormais le pouvoir d’engager des poursuites dans les affaires de corruption et de crimes financiers aux seules autorités du Ministère public, sur saisine d’instances officielles telles que la Cour des comptes ou les inspections générales. Les signalements citoyens, tout comme les dénonciations émanant d’associations, perdent ainsi leur portée procédurale directe. C’est une réorientation nette du dispositif de lutte contre la corruption, qui, selon le ministère, vise à «garantir l’unité du parquet» et à «éviter les dérives ou poursuites hasardeuses». Mais cette recentralisation inquiète de nombreux acteurs.



Le Conseil national des droits de l’Homme, l’Instance nationale de probité et le CESE ont tous exprimé leurs réserves, redoutant un affaiblissement des mécanismes d’alerte démocratique et une marginalisation des contre-pouvoirs civils.

Un accès restreint à l’action civile pour les associations

Autre point de friction : l’article 7 de la loi. Désormais, seules les associations reconnues d’utilité publique et disposant d’une autorisation préalable pourront se constituer partie civile. Cette double condition, encore floue dans ses modalités d’application, est perçue comme un filtre politique. Le ministère défend cette mesure en invoquant la nécessité d’un «encadrement institutionnel rigoureux» de la procédure pénale, afin d’éviter «toute instrumentalisation judiciaire à des fins militantes». Pour les organisations de la société civile, il s’agit d’un recul préoccupant, en contradiction avec les engagements du Royaume en matière de participation démocratique.
Quoi qu’il en soit, cette réforme du Code de procédure pénale semble s’inscrire dans un agenda politique plus large. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, l’a affirmé : cette réforme n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un chantier global de transformation judiciaire, aux côtés de la révision du Code pénal, de la modernisation des professions juridiques et de la transformation numérique des tribunaux. Il s’agit aussi, selon le ministère, d’un levier stratégique pour renforcer la sécurité juridique du pays, à l’approche d’échéances internationales majeures, comme l’organisation de la Coupe du monde 2030. «La justice est une vitrine de l’État de droit et un facteur d’attractivité pour les investisseurs», souligne le ministère. Le nouveau Code de procédure pénale est donc autant un instrument juridique qu’un signal institutionnel.
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