A.Rm
03 Juin 2025
À 20:00
La
Faculté de médecine dentaire de Casablanca est en pleine tourmente. Depuis plus de 80 jours, les étudiants boycottent cours pratiques et stages cliniques. Ce mardi, ils ont organisé un nouveau sit-in devant le centre de soins dentaires – le deuxième du genre depuis le début de la grève – pour dénoncer la dégradation continue de leurs conditions de
formation, le manque criant de
matériel médical et l’état alarmant des infrastructures. Autant d’éléments qui compromettent non seulement leur apprentissage, mais aussi la qualité des soins prodigués aux patients.
Des équipements vétustes et un matériel médical quasi inexistant
Au cœur de cette contestation étudiante : l’état délabré des fauteuils de soins. La majorité d’entre eux, installés depuis plus de douze ans, ne sont plus fonctionnels. «Les fauteuils électriques sont dans un état déplorable. Beaucoup sont cassés, inutilisables. Même lorsqu’ils fonctionnent, leur nombre est trop limité par rapport au nombre d’étudiants et de patients. Résultat : les patients attendent parfois des mois pour un simple rendez-vous, alors même que certains cas nécessitent une intervention urgente. Ce retard aggrave leur état, ce qui nous oblige ensuite à intervenir de manière plus invasive», explique
Ilyass Bakhabrine, président du bureau des étudiants.
Dans ces conditions, la formation clinique devient impossible, et c’est ce qui explique la grève des étudiants qui craignent aujourd’hui de ne pas pouvoir valider leurs
stages hospitaliers, une condition pourtant indispensable pour passer à l’année supérieure. «Il est devenu plus qu’urgent de trouver une solution pour sauver notre année universitaire. Dans l’état actuel des choses, il nous est impossible de reprendre la formation», poursuit M. Bakhabrine.
Un fardeau financier pesant sur les étudiants
Les «conditions déplorables» de formations ne concernent pas que les fauteuils. La faculté ne fournit plus certains matériaux de base essentiels, comme la résine pour la pose de
prothèses dentaires ou les composites pour la
restauration dentaire. «Imaginez un centre de soins où un dentiste ne dispose pas de composite ! C’est aussi absurde qu’inacceptable», s’indigne un étudiant.
Ce manque oblige parfois les étudiants à acheter eux-mêmes les matériaux nécessaires aux soins. Une charge financière lourde, surtout pour ceux issus de régions éloignées comme Laâyoune ou Dakhla, venus étudier à Casablanca au prix de sacrifices financiers énormes consentis par leurs familles. «On doit faire face aux frais de l’hébergement, de la vie quotidienne, et maintenant le matériel médical. Certains d’entre nous n’ont tout simplement pas les moyens. C’est catastrophique !», s’indigne le même étudiant.
Des traitements périmés : la santé des patients en jeu
Au-delà du manque d’équipements, les étudiants alertent sur un danger plus grave : l’utilisation de traitements de qualité douteuse. Selon plusieurs témoignages, certains produits utilisés sont inadaptés ou périmés, ce qui constitue un risque sanitaire majeur pour les patients. «Comment peut-on accepter de former des
professionnels de santé dans un tel contexte ? Nous mettons en danger nos patients, et cela est contraire à toute
éthique médicale», commente une étudiante en sixième année.
Une administration silencieuse... ou presque
Face à la montée de la colère des étudiants, l’administration affirme avoir pris des mesures. Selon elle, un marché public pour l’acquisition de nouveaux
fauteuils de soins a été lancé en janvier dernier. Mais cinq mois plus tard, aucune amélioration concrète n’est constatée. «On nous dit que le processus est en cours, mais rien ne bouge. On ne peut pas continuer à attendre des promesses non tenues, alors que l’année touche à sa fin», déplore un autre étudiant.
Les étudiants estiment que le silence ou l’inaction des responsables ne fait qu’aggraver leur situation. Ils dénoncent un manque de transparence sur l’évolution des procédures administratives et l’absence de communication efficace. «Nous avons déjà engagé le dialogue à plusieurs reprises. Mais on ne reçoit que des promesses vagues, jamais de calendrier précis ni d’actions concrètes», regrette Ilyass Bakhabrine.
Une mobilisation déterminée et des revendications claires
Pour mieux se faire entendre, les étudiants affirment que la grève est leur dernier recours. Ils réclament la rénovation des équipements, l’acquisition de matériel de qualité et en quantité suffisante, ainsi que l’amélioration générale des conditions de formation clinique. «Nous ne réclamons pas le luxe, seulement le minimum pour étudier et soigner correctement. Ce que nous demandons est élémentaire dans toute faculté de médecine digne de ce nom», soutient le porte-parole du mouvement étudiant. Ce dernier se dit d’ailleurs ouvert au dialogue, mais prêt à durcir la mobilisation si les responsables continuent de faire la sourde oreille. Les étudiants tiennent en effet l’administration de la faculté, mais aussi les autorités sanitaires et universitaires nationales, pour responsables de l’échec à garantir un environnement d’étude et de soins adéquat.
La crise qui secoue la Faculté de médecine dentaire de Casablanca (et avant elle celle qui avait paralysé toutes les facultés de médecines pendant plus de 10 mois) est à l’évidence révélatrice de l’écart entre les ambitions affichées et les moyens mobilisés. Alors que le secteur de la santé constitue le socle de toute la politique sociale, on continue à faire peu de cas de la formation des futurs médecins. Pourtant, ils sont au cœur de ce chantier. Ils en sont même la cheville ouvrière.