Nation

Karim Zidane : «L’investissement progresse, mais les entraves persistent»

À la Fondation Lafqui Titouani, le ministre délégué chargé de l’Investissement, Karim Zidane, a défendu sa vision d’un Maroc ouvert, dynamique, réconcilié avec ses compétences de la diaspora. Mais au-delà d’un discours soigné, les promesses peinent à masquer les lenteurs sur le terrain : centralisation, inégalités territoriales, défiance des investisseurs locaux.

26 Mai 2025 À 16:49

À Salé, face à une salle comble, le ministre délégué auprès du Chef du gouvernement, chargé de l’Investissement, déroule ses convictions. Oui, le Maroc change. Oui, l’investissement progresse. Oui, les compétences des Marocains du monde sont enfin mobilisées. Le ton est maîtrisé, le discours est ponctué de rappels de l’attachement au pays, à la vision Royale, à l’urgence des réformes. Pourtant, un malaise affleure : le sentiment d’un écart croissant entre les récits institutionnels et les réalités concrètes.
Invité de la Fondation Lafqui Titouani, Karim Zidane affiche une ambition claire : atteindre 550 milliards de dirhams d’investissement d’ici 2026, créer 500.000 emplois, inverser la tendance actuelle où le secteur public assure encore les deux tiers des investissements. À mi-parcours, 326 milliards sont engagés pour 191 projets approuvés par la Commission nationale de l’investissement. Sur le papier, la trajectoire est prometteuse. Mais plusieurs zones d’ombre subsistent. Où vont réellement ces investissements ? Selon les données disponibles, plus de 80% sont concentrés dans trois régions, laissant les provinces «de l’intérieur» , comme Figuig, Taounate ou Errachidia, à la marge. Une prime territoriale est certes prévue dans le nouveau dispositif, mais son application demeure floue. Le ministre parle de «justice spatiale», mais reconnaît que «certaines régions ne disposent pas encore de ressources humaines formées pour accueillir des projets industriels».
Par ailleurs, interrogé sur l’efficacité des aides publiques à l’investissement, Karim Zidane a précisé que la «subvention territoriale» visait à encourager l’implantation de projets dans les zones éloignées. Il a souligné que l’octroi de ces aides s’appuiyait sur une évaluation technique préalable, réalisée par des commissions regroupant jusqu’à quinze institutions publiques. Le ministre a détaillé le processus de décaissement : 30% de l’aide sont versés après la concrétisation d’une première tranche du projet sur le terrain, 40% supplémentaires après vérification des pièces justificatives, et le solde une fois les conditions finales remplies. Ce mécanisme, selon ses propos, permettrait d’assurer une utilisation conforme des fonds publics, tout en accompagnant les investisseurs dans la réalisation effective de leurs projets.


Marocains du monde : un capital mobilisé, mais peu intégré

Parallèlement, Karim Zidane a insisté sur la nécessité de renforcer le lien avec la diaspora, en particulier les cadres formés à l’étranger. Dans ce sens, une plateforme numérique en plusieurs langues est annoncée pour orienter les investisseurs issus de la communauté marocaine résidant à l’étranger. Une cellule dédiée dans chaque Centre régional d’investissement (CRI) est également prévue. Mais là encore, la politique semble avancer plus vite que l’infrastructure. Aucune évaluation précise n’a encore été rendue publique sur les résultats concrets de ces dispositifs. Les témoignages recueillis sur le terrain montrent que de nombreux projets portés par des Marocains de l’étranger se heurtent à des blocages administratifs classiques : lenteurs, absence de coordination, ou exigences opaques en matière de foncier.
Interrogé sur les lourdeurs administratives, le ministre admet qu’il n’est «pas acceptable qu’un investisseur attende six mois pour un accord». Il promet une réforme de fond, avec la réduction drastique des documents exigés et une plateforme de suivi en temps réel. Pourtant, des acteurs économiques présents dans la salle évoquent encore des demandes «kafkaïennes», des dossiers qui «dorment» dans les CRI et une défiance persistante des investisseurs marocains vis-à-vis de l’administration. Ainsi, Karim Zidane aura beau aligner les chiffres et défendre une gouvernance fondée sur la «performance», les témoignages du terrain rappellent une autre réalité : celle d’une dynamique d’investissement encore entravée par les lourdeurs administratives, la centralisation et l’absence d’impact visible dans les zones marginalisées.

Trafic de diplômes : «Même en Allemagne, tous les professeurs ne sont pas exemplaires»

Interpellé sur l’affaire des «Masters de Killich», du nom du professeur accusé d’avoir monnayé l’accès à des formations de master et de doctorat à l’Université d’Agadir, Karim Zidane a choisi la prudence. «La majorité des enseignants marocains sont des professionnels intègres», a-t-il affirmé, tout en reconnaissant l’existence de défaillances, au Maroc comme ailleurs. «Même en Allemagne, tous les professeurs ne sont pas exemplaires», a-t-il ajouté, appelant à relativiser. Sans commenter directement une affaire «en cours de traitement par la justice», le ministre a toutefois renvoyé implicitement à une responsabilité collective : «Le succès d’un système éducatif ne dépend pas seulement des moyens de l’État, mais de la capacité de la société à y adhérer.» Une manière de déplacer le débat, sans répondre à la question centrale : quelles garanties contre la marchandisation des diplômes dans les universités publiques ?
Copyright Groupe le Matin © 2025