Brahim Mokhliss
06 Avril 2025
À 15:05
Le vendredi 15 novembre 2024, lors de l'émission religieuse «
Dine Wa Dounia» (Religion et Vie) diffusée par
Chada FM, des propos controversés sur la mixité dans l'enseignement et le travail des femmes ont été tenus. Ces déclarations n'ont pas tardé à susciter l'indignation de la
société civile qui a saisi le gendarme de l’audiovisuel.
Un contenu médiatique sous surveillance
En effet, la Fédération des Ligues des droits des femmes a réagi promptement en déposant, le 17 décembre 2024, une plainte formelle auprès de la HACA, examinée par le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle (CSCA). L'ONG féministe y dénonçait «des propos portant atteinte à l'image et à la dignité des femmes» diffusés pendant l'émission animée par Cheikh Abderrahmane Skakech et Amina Ahariss. L'émission, programmée chaque vendredi de 9 h à 12 h, se veut un espace de réponses aux questionnements religieux des auditeurs. Selon la description officielle du programme, les animateurs «mettent toutes leurs connaissances au service du public de Chada FM, dans une tentative de les aider à nourrir et renforcer leur foi».
Mais c'est précisément cette position d'autorité morale qui a inquiété le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle (le CSCA est investi de missions d'avis et de proposition, de régulation, de réglementation, de contrôle et de sanction), l'organe décisionnel de la HACA. Après l'examen minutieux du contenu incriminé, le Conseil a relevé plusieurs manquements graves. «Les propos de l'invité permanent de l'émission véhiculent un discours stéréotypé, discriminatoire et dévalorisant à l'encontre des femmes exerçant une activité professionnelle, en minimisant leurs compétences, leurs capacités et leurs contributions importantes à la société», a souligné le CSCA dans sa décision.
Des stéréotypes en contradiction avec les engagements nationaux
Le Conseil a particulièrement déploré que ces propos aient été tenus alors même que «la présence de la femme sur le marché du travail représente un atout essentiel pour le développement, le progrès social, la stabilité familiale, l'amélioration du niveau de vie et la garantie de la dignité». Plus préoccupant encore, l'instance de régulation a constaté que l'animatrice elle-même «a tenu des propos tendant à relativiser la légitimité et la pertinence du travail de la femme». Selon le CSCA, ses interventions «ont à plusieurs reprises abondé dans le sens du discours tenu par l'invité permanent», révélant un manquement dans son devoir de maîtrise d'antenne.
Cette absence de modération adéquate constitue une violation des obligations légales relatives à «la promotion dans les contenus audiovisuels de la culture de la parité et de l'égalité entre les hommes et les femmes», a précisé la HACA, soulignant que la question est d'autant plus sensible qu'elle «concerne l'une des questions essentielles pour les jeunes». La décision intervient dans un contexte où le Maroc s'est engagé fermement en faveur de l'égalité hommes-femmes, notamment à travers le Programme gouvernemental pour l'égalité (PGEIII 2023-2026), auquel la HACA est partie prenante aux côtés d'autres institutions nationales.
Des progrès fragiles à consolider
Cette affaire met en lumière les défis persistants malgré les avancées enregistrées ces dernières années. Selon le dernier rapport annuel de la HACA, les interventions des personnalités publiques féminines dans les programmes d'information ont connu une légère hausse, passant de 16,64% en 2022 à 18,01% en 2023. Un chiffre qui, bien qu'en progression, reste largement insuffisant au regard de l'article 10 de la décision du CSCA n°20-18 qui stipule que «les opérateurs de communication audiovisuelle œuvrent pour la mise en application du principe de parité entre les hommes et les femmes dans les programmes d'information».
Cette affaire s'inscrit dans un contexte où les sanctions du CSCA suivent une tendance baissière notable. Selon le dernier rapport annuel de la HACA, seuls 2 avertissements ont été prononcés en 2023, contre 3 en 2022 et 4 en 2021. Par ailleurs, aucune décision de suspension de diffusion de programme n'a été prise récemment, tandis qu'une seule décision de diffusion de communiqué du CSCA a été prononcée en 2023, un chiffre similaire à celui de 2021.
Par ailleurs, dans le cadre du Plan gouvernemental pour l'égalité, la HACA joue un rôle stratégique, notamment en tant que porteuse de l'indicateur relatif à l'état des lieux de la lutte contre les stéréotypes sexistes. L'institution est également chargée de produire un MOOC sur les stéréotypes sexistes dans les médias audiovisuels. «La HACA n'est pas récipiendaire de fonds. Elle est partie prenante» de cette initiative nationale structurée autour de trois axes stratégiques : «Autonomisation et Leadership», «Protection et Bien-être», et «Droits et Valeurs».
La sanction, bien que symbolique, envoie un signal fort aux médias audiovisuels quant à leur responsabilité dans la promotion d'une culture d'égalité. Elle rappelle que la HACA est déterminée à veiller au «respect du pluralisme linguistique, culturel et politique de la société marocaine et de l'expression pluraliste des courants d'opinion et de pensée», conformément à son mandat constitutionnel.