Prendre soins des sols nécessite aussi une approche intégrée puisqu’ils sont utilisés dans de nombreux domaines. «L’agriculture n’est que l’une des dimensions de l’
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sont aussi exploitées dans l’activité minière et pour la production de l'énergie. Il y a aussi cette dimension liée au développement urbain qui occupe les sols. A ce titre, la gestion de toutes ces dimensions implique une approche intégrée», relève Louise Fresco.
«On ne peut pas comparer l'exploitation des phosphates par exemple, qui traite des matériaux inertes, et où la pollution est plus esthétique qu’autre chose, à des mines polymétalliques qui, eux, font affaire à des matériaux très réactifs qui génèrent beaucoup de pollution métallique», explique-t-il. De plus, les lois sont là pour cadrer, mettre des limites et réprimer. «Globalement, les pays ont une législation qui encadre justement cette question liée à la dimension environnementale de l’activité minière. Ce qu’il faut peut-être, c’est rendre cette législation plus contraignante», note le professeur. «Il faut surtout travailler sur cette question d'exploitation responsable, soit une exploitation gérée par des lois et respectueuse de l'environnement», insiste-t-il.
Questions à l'ancienne directrice du département Agriculture de la FAO
Louise Fresco : «Il manque un ‘’super ministère’’ pour gérer les multiples dimensions de l’utilisation des sols»
Le Matin : A l’occasion de la «Semaine de la Science», vous avez fait une intervention sur la thématique «Prendre soin du sol». Quel rapport avec les transitions ?
Louise Fresco : Le rapport est qu’on est aujourd’hui dans une phase de transition qui impacte l’utilisation des sols. Quoiqu'il n'y ait pas qu’une seule transition mais de multiples transitions. Il y a une transition technologique qui va influer sur la façon d'utiliser les sols, de les connaître, de les caractériser... Il y a aussi une transition d'énergie qui est très importante, et qui va déterminer comment on va travailler les sols. Il y a également une transition dans le domaine de l'eau qui est d’une extrême importance, et dont on ne parlait pas beaucoup auparavant.
Toutes ces transitions sont des changements majeurs. Mais le plus grand changement, c'est l'aspect socioéconomique, et même culturel. Au Maroc, et dans d'autres pays, il y a à différents degrés un gap entre le milieu rural et le milieu urbain. A l’aune de ces transitions, la grande question est la suivante : qui va être le paysan du futur et comment est-ce qu'on peut investir dans le milieu rural pour que ce soit un espace où ce paysan peut vivre et rester ? Comme vous le savez, on assiste depuis plusieurs années à un exode massif des jeunes vers les grandes villes. Et aussi longtemps que l'agriculture n'a pas d'appui ou très peu d'appui, ce n'est pas très intéressant pour ces jeunes de rester. Donc, l’autre grande question est qu'est-ce que le gouvernement et le privé vont faire pour appuyer le secteur agricole ?
Vous avez parlé de transitions socioéconomiques qui menacent l’avenir de l’agriculture avec des sols cultivables délaissés. Mais il y a aussi cet aspect écologique, lié notamment à la surexploitation des sols. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
En fait, il y a plusieurs cas de figure. Il y a des sols qui sont surexploités, qui ont besoin de repos et d'être reconstitués. Et comme le sol est un organisme vivant, ce n'est pas facile, il n'y a pas une formule magique. Il y a aussi des sols qui sont pollués et d’autres sont sous-exploités parce qu'il n'y a pas assez d’agriculteurs pour les travailler. Ce qu’il faut, c’est investir notamment dans la biologie des sols et mettre en place une politique nationale qui répond à tous ces cas de figure. Cette politique doit prendre en considération les questions suivantes : que faire ? commente le faire ? Et avec quels appuis le faire ? Et ce non seulement par le gouvernement mais aussi par le secteur privé.
Justement, dans ce contexte où les pratiques agricoles produisent des impacts négatifs sur l'environnement, on parle de plus en plus d’agroécologie comme une transition nécessaire. Est-on aujourd’hui bien engagés sur cette voie ?
En effet, c’est une transition, mais c'est aussi une transition qui ne dit encore pas grand-chose. Sauf qu'on veut procéder de façon écologique. Ça reste assez vague. Mais ce qui est très clair, c'est qu'il faut avoir un équilibre entre ce qu'on enlève du sol et ce qu'on lui remet. Quand vous récoltez une plante par exemple, vous enlevez aussi des éléments nutritifs du sol qu’il faut reconstituer. Ce qu’il faut faire, c’est essayer d’optimiser les rendements par rapport aux intrants qu'on utilise. Il faut réduire l’utilisation des produits chimiques au strict nécessaire, de même que l’utilisation de l’eau. Il faut aussi recycler le plus possible, notamment l'eau. Tout cela fait partie de cette approche écologique. Mais l’agroécologie, réduite à un niveau abstrait, reste un mot politique. Il n'a de signification que si on le traduit en systèmes précis. Et c'est toujours l’efficacité de l'utilisation qui est le plus important.
Quand on parle de sols, cela évoque aussi les territoires. Quelles sont les interactions qui peuvent se faire entre l’exploitation des sols et les territoires, le tout au bénéfice du développement global ?
Je crois que la question de base, c'est comment utiliser le territoire. Et l'agriculture n’est que l’une des dimensions de l’utilisation des sols. En effet, les terres sont exploitées non seulement pour l’agriculture, mais aussi pour les mines et pour la production d'énergie. Il y a aussi cette dimension liée au développement urbain qui occupe les sols. Le développement implique une approche intégrée dans la gestion de toutes ces dimensions. L’idée est d’avoir une hauteur de vue pour, par exemple, pouvoir utiliser les meilleures terres pour l'agriculture et les moins bonnes pour le développement urbain, pour les routes... Tout cela demande une conception intégrée qui manque aujourd’hui dans nos pays, car la gestion de ces différents aspects relève de plusieurs ministères. Il manque un «super ministère» qui intègre tous les aspects.
Quel regard portez-vous sur la situation de l’agriculture au Maroc ?
Au Maroc, il y a, d'une part, une agriculture moderne d'exportation, notamment des produits de contre-saison, et d'autre part, il y a encore une grande partie d'agriculture très traditionnelle. Cette agriculture traditionnelle n'a pas d’avenir dans le contexte actuel, parce que les fils des producteurs ne veulent pas devenir producteurs face à des rendements trop faibles. L’impératif aujourd’hui est de moderniser cette agriculture traditionnelle et de donner à ces petits agriculteurs les moyens de gagner une bonne vie et de le faire de façon durable. Ceci d’une part. D'autre part, il y a aussi ces grandes entreprises ou grandes exploitations qui ne respectent pas toujours les principes de la durabilité. Il est donc nécessaire de faire plus efforts dans ce sens.
Questions au directeur du «Geology & Sustainable Mining Institut» de l’UM6P
Mostafa Benzaazoua : «Arrêtons de perturber les écosystèmes naturels !»
Le Matin : On pointe souvent du doigt l'activité minière pour son un impact négatif sur l'environnement. Quelles sont les transitions et les nouvelles manières de faire envisageables pour adresser cette problématique ?
Mostafa Benzaazoua : Pour l'activité minière au Maroc, il faut subdiviser. On ne peut pas comparer l'exploitation des phosphates par exemple, qui traite des matériaux inertes, et où la pollution est plus esthétique qu’autre chose, à des mines polymétalliques qui, eux, font affaire à des matériaux très réactifs qui génèrent beaucoup de pollution métallique. Il faut déjà classifier, savoir à quel type d'exploitation on a affaire. Après, il y a une question de législation. Ce qui est sûr, c’est que les entreprises minières peuvent être volontaristes, à l’exemple de Managem et de l'OCP qui le sont parce qu’ils ont une réputation à sauvegarder. Globalement, les pays ont une législation qui encadre justement cette question liée à la dimension environnementale de l’activité minière. Ce qu’il faut peut-être, c’est rendre cette législation plus contraignante. Mais il ne faut pas qu’elle le soit trop pour ne pas étrangler cette industrie dont le Maroc a grandement besoin.
Il y a certains pays qui ont choisi de suspendre les activités minières, en Europe par exemple. Mais il ne faut pas oublier que les smartphones et nombre de nouvelles technologies proviennent de l'exploitation minière. On peut recourir au recyclage qui participe à préserver les réserves et la ressource en général. Mais il faut surtout travailler sur cette question d'exploitation responsable, une exploitation gérée par des lois et respectueuse de l'environnement.
Qu'en est-il du respect des règles dans les autres pays de notre d’Afrique, un continent réputé pour ses richesses minières ?
En Afrique, l'industrie minière peut être classée en deux catégories. Il y a l'exploitation artisanale pratiquée par des mineurs non qualifiés qui exercent souvent en dehors la loi. C’est une activité très répandue qui fait vivre plusieurs milliers de personnes et qui ne peut pas être suspendue sous peine de déclencher des révolutions. L’autre catégorie est l’exploitation assurées par des compagnies étrangères qui sont soumises à des standards internationaux et des règles qu’ils respectent pour sauvegarder leur réputation. Si on prend le cas du Maroc, il y a très peu de compagnies minières étrangères, mais on commence juste à s'ouvrir à des industries étrangères. Mais reste que Managem et OCP concentrent jusqu’à 70% de l’activité.
Dans l’exploitation minière, il y a cet aspect relatif au respect des sols, et plus globalement au respect des territoires. Quelles interactions entre ces trois éléments ?
Il y a un lien avéré entre l’exploitation minière, le respect des sols et le respect des territoires. Quand on développe des territoires, on a besoin de matériaux de construction en quantité (béton, sable,...). Ces matériaux sont parmi les plus consommés au monde justement pour développer ces territoires. Ils sont classés bien en avant des métaux, du charbon ou d’autre substances minérales. Et pour trouver ces matériaux de construction, on va souvent déranger des sols. Le cas du sable est un exemple très parlant. Des plages sont pratiquement pillées au Maroc. Des mafias de sable se sont carrément développées. Une plage est un sol certes assez spécial, mais c'est un sol dont la préservation est cruciale pour éviter certains problèmes comme les inondations et l'avancement des lignes côtières.
De même pour les briques et le ciment. On va aussi déranger des sols pour fabriquer ces matériaux. Donc, arrêtons de perturber ces écosystèmes naturels et allons chercher peut-être le matériel dont on a besoin chez d'autres industriels qui en produisent et qu’ils qualifient comme déchets. Le déchet de l'un devient un intrant pour l'autre et ainsi de suite. Je pense que c'est cette notion d'écologie industrielle ou d'économie circulaire que toutes les industries doivent adopter, le tout au bénéfice des territoires.