Hiba Chaker
30 Octobre 2025
À 18:55
Avec une croissance démographique, une urbanisation rapide, l’essor industriel... et une
demande électrique qui explose, notamment avec l’approche de l’organisation d’événements majeurs à l’horizon 2030, dont la
Coupe du monde de football, les regards se tournent vers une équation devenue cruciale : comment répondre à une demande énergétique en forte croissance tout en respectant les
engagements climatiques du Royaume ? En effet, en 2023 seulement, la
facture énergétique nationale a dépassé les 140 milliards de dirhams, soit plus de 6% du PIB, alors que le coût du kilowattheure pour les ménages reste parmi les plus élevés de la région. Cette pression sur les
finances publiques et sur le
pouvoir d’achat des citoyens interroge directement la soutenabilité du
modèle énergétique actuel.
Or, selon l’Initiative
Imal pour le Climat et le Développement, le
Maroc possède déjà un atout largement sous-utilisé : ses toitures. Le rapport récemment publié par IMAL offre la première analyse intégrée du potentiel des systèmes énergétiques renouvelables décentralisés, en particulier celui du solaire sur toitures. Le message est clair, «le développement de
l’énergie solaire sur toitures et des
systèmes électriques décentralisés n’est plus un luxe, mais une nécessité économique et sociale». Avec une chute de plus de 80% du prix des panneaux photovoltaïques en dix ans et une baisse continue des coûts de stockage par batteries, la technologie est aujourd’hui mature et accessible. Ce virage est d’autant plus stratégique qu’il s’aligne parfaitement avec les objectifs de la nouvelle
Contribution déterminée au niveau national (CDN 3.0), ainsi qu’avec les orientations du
nouveau modèle de développement qui entend faire de la production décentralisée un levier de fiabilité, de résilience et de
compétitivité énergétique.
Jusqu’à 48 millions de tonnes de CO₂ évitées
Le rapport d’IMAL modélise plusieurs scénarios pour l’horizon 2035. Le plus ambitieux permettrait de produire 66,8 térawattheure (TWh) d’électricité solaire grâce à une capacité installée de 28,58 gigawattheure (GW), évitant ainsi 48,19 millions de tonnes de CO₂ et générant un marché économique estimé à 31,08 milliards de dollars. Même dans le scénario le plus modeste, les chiffres restent notables : 8,57 GW de capacité, 20 TWh produits, 14,46 millions de tonnes de CO₂ évitées et un marché potentiel de 9,3 milliards de dollars. L’étude, construite sur des données du Haut-Commissariat au Plan, évalue précisément la surface de toiture mobilisable par région, les rendements photovoltaïques attendus, et le coût moyen d’installation, tout en intégrant les technologies complémentaires comme les batteries ou les bornes de recharge bidirectionnelles. En plus de la production d’énergie, ce potentiel représente un levier socioéconomique important. En se basant sur le coefficient mondial de 15 emplois par mégawatt installé, l’étude estime qu’un déploiement à 17,15 GW créerait environ 26.000 emplois directs, tandis qu’un scénario haut atteindrait 43.000 emplois. Ce n’est donc pas qu’un pari technologique: c’est une promesse de dynamisation industrielle, de relance régionale et de création d’opportunités sur l’ensemble du territoire.
Un réseau électrique à réinventer, un consommateur à réengager
L’intégration massive du solaire décentralisé appelle une révision profonde du
système électrique. Le rapport insiste : «ces chiffres représentent une opportunité majeure pour
l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) et les
Sociétés régionales multiservices (SRM) de repenser et réévaluer le modèle économique actuel du secteur électrique, depuis la production jusqu’à la consommation». L’électricité produite localement permettrait de réduire la dépendance aux centrales thermiques fossiles, de stabiliser les coûts pour les ménages et d’absorber les pics de demande. Pour cela, il faudra moderniser les réseaux, adopter des tarifs dynamiques, renforcer les interconnexions régionales et déployer des infrastructures de gestion de la flexibilité. Mais c’est surtout le rôle du citoyen qui est redéfini. En combinant production photovoltaïque, stockage individuel, véhicules électriques et technologies numériques, «le citoyen peut évoluer de simple consommateur d’énergie vers un "prosumer”, capable de produire, stocker, consommer, vendre et distribuer de l’électricité». Le parc attendu de 2,5 millions de véhicules électriques d’ici 2035 pourrait ainsi offrir un stockage mobile de 39.420 GWh, l’équivalent de 91% de la demande nationale, tout en couvrant jusqu’à 98% des besoins de recharge grâce au solaire sur toitures. Un tel système, fondé sur la bidirectionnalité et la mutualisation, constitue une véritable réserve d’énergie citoyenne, malléable, connectée et résiliente.
Une révolution silencieuse... freinée par le cadre réglementaire
Entre 2011 et 2023, les ménages et industriels marocains ont déjà investi 3,36 milliards de dirhams pour installer 336 MWc (mégawatt-crête) de capacité solaire décentralisée. Le mouvement est amorcé, mais il reste largement entravé par l’absence de cadre structurant. Le rapport révèle ainsi qu’il n’existe toujours pas de registre national des installations, ce qui freine la visibilité du secteur et sa capacité à accéder aux financements. «Ce que nous avons raté», note le rapport, «c’est la reconnaissance institutionnelle et réglementaire d’un mouvement déjà en marche». Nombre de sociétés proposent aujourd’hui des solutions intégrées sans pouvoir bénéficier du statut officiel d’ESCO (Energy Service Company), limitant leur ancrage économique et leur rayonnement.
Face à ce constat, le rapport plaide pour une batterie de mesures urgentes. Il recommande notamment de finaliser les décrets d’application de la loi 82-21 sur l’autoproduction, de créer un fonds national pour soutenir l’investissement des ménages et PME, d’adopter de nouveaux codes du bâtiment intégrant les technologies vertes et de structurer la filière à travers la formation, la labellisation et le pilotage par données ouvertes. «La production décentralisée peut devenir un véritable pilier de la transition énergétique à travers la solidarité énergétique nationale», à condition qu’elle soit traitée à égalité avec les investissements traditionnels.