Brahim Mokhliss
14 Juillet 2025
À 17:00
Le rapport annuel 2024 de l'
Organisation internationale pour les migrations (OIM) Maroc révèle des chiffres impressionnants. Selon le document, l'organisation a assisté 28.604 personnes en 2024, soit une augmentation de 21% par rapport à 2023. Avec un budget de près de 14 millions de dollars américains, l'OIM a mis en œuvre 26 programmes dans sept villes du Royaume, en partenariat avec 21 associations.
Laura Palatini, cheffe de Mission de l'OIM Maroc, souligne dans l’avant-propos de ce document : «Au cours de l'année 2024, l'OIM Maroc a franchi de nouvelles étapes significatives dans sa mission d'accompagnement des migrants et des communautés d'accueil. Fidèles à notre approche résolument humaniste, territorialisée et durable, nos équipes et partenaires ont pu atteindre plus de 36.000 personnes à travers le pays».
Le Maroc, carrefour migratoire complexe
Le contexte migratoire marocain reste marqué par sa complexité. D'après le Recensement général de la population et de l'habitat 2024, cité dans le rapport, le Maroc accueille 148.152 migrants étrangers, dont 60.902 dans la région de Casablanca-Settat et 29.233 à Rabat-Salé-Kénitra. Le ministère de l'Intérieur, selon les données rapportées par l'OIM, a intercepté 78.685 personnes tentant de rejoindre l'Union européenne en 2024, dont 58% provenaient d'Afrique de l'Ouest. Le rapport note également le démantèlement de 210 réseaux de trafiquants et le sauvetage de plus de 14.260 personnes en mer.
Des histoires de survie et de renaissance
Le cas de Aïcha illustre la vulnérabilité extrême de certains migrants. Arrivée au Maroc en 2022 avec 65.000 dirhams économisés, elle raconte : «Lorsque je suis arrivée au Maroc, je ne connaissais personne. J'étais perdue et seule, sans aucun moyen de subsistance». Son cousin, qui avait promis de l'aider, a disparu avec son argent. «Chaque jour, je me demandais comment j'allais survivre. Les voisins étaient gentils, mais ce n'était pas suffisant», se souvient-elle. C'est grâce au docteur Paul, un médecin guinéen travaillant au Maroc, que Aïcha a trouvé un refuge. «Je suis infiniment reconnaissante au docteur Paul. Sans lui, je ne sais pas ce que je serais devenue», dit-elle. Aujourd'hui, elle rêve d'apprendre la pâtisserie : «J'aimerais apprendre quelque chose de nouveau, comme la pâtisserie, pour avoir un avenir».
La traite des êtres humains : un fléau combattu
Alice, une Ivoirienne venue au Maroc avec l'espoir de devenir cheffe pâtissière, représente un autre visage de la migration. Son témoignage révèle l'horreur de l'exploitation : «La princesse est devenue une servante, une esclave», dit-elle avec tristesse. «J'ai tellement travaillé... mais je n'ai jamais reçu de compensation équitable. C'était comme si mon travail ne valait rien». Le rapport indique que 40 victimes de traite ont été identifiées et assistées en 2024, dont 32 femmes et 8 hommes. Un Mémorandum d'entente a été signé entre les Commissions nationales de lutte contre la traite du Maroc et de la Côte d'Ivoire, renforçant selon le document «la coopération bilatérale pour lutter contre ce fléau».
Alice, après avoir été jetée à la rue et avoir échappé à une agression sexuelle, a finalement trouvé refuge auprès d'une association partenaire de l'OIM. «Quand j'ai trouvé l'association, j'ai eu l'impression d'avoir une chance de reprendre le contrôle de ma vie. Ils m'ont tendu la main quand j'étais au plus bas», se rappelle-t-elle. «Ils m'ont donné tellement plus que de la nourriture et un abri. Ils m'ont donné de l'espoir».
Protection et assistance : des chiffres qui parlent
Le département Protection et Résilience de l'OIM Maroc a intensifié ses efforts en 2024. Le rapport détaille que 10.404 personnes ont reçu une aide alimentaire et non alimentaire, 8.588 ont eu accès à des soins médicaux (une hausse de 60,7% par rapport à 2023), et 1.368 personnes en grande détresse ont été hébergées en urgence. Le renforcement des capacités institutionnelles figure également parmi les priorités. Selon le bilan, 852 représentants d'institutions gouvernementales et de la société civile ont vu leurs compétences renforcées, soit une progression de 129% par rapport à 2023. Dans le domaine de la santé, 104 professionnels ont été formés pour une meilleure prise en charge des migrants.
Les enfants, victimes invisibles
Le rapport révèle une autre réalité poignante : 1.024 enfants non accompagnés et séparés (ENAS) ont été identifiés en 2024, dont 375 Marocains et 639 étrangers issus de 26 pays. Le document précise que 93% de ces enfants avaient entre 13 et 17 ans. L'OIM et ses partenaires ont permis à 62 d'entre eux d'accéder à l'éducation formelle, professionnelle ou non formelle.
Le programme d'Aide au retour volontaire et à la réintégration (AVRR) a facilité le retour de 2.196 migrants vers 32 pays d'origine, principalement vers la Côte d'Ivoire (523 personnes), la Guinée (410 personnes), le Sénégal (453 personnes) et le Mali (265 personnes). Le rapport souligne que 685 migrants ont reçu un appui post-retour incluant des aides financières, des formations professionnelles et un accompagnement psychosocial.
Parallèlement, 2.712 Marocains ont été accompagnés dans leur retour volontaire, principalement de Turquie (2.550 personnes). Parmi eux, 426 personnes ont bénéficié d'un soutien varié pour faciliter leur réintégration, dont 57% d'aide financière directe et 13% d'investissement dans des activités génératrices de revenus.
Innovation dans la gouvernance migratoire
Laura Palatini souligne dans son avant-propos que «l'année a également été marquée par un renforcement remarquable de la coordination inter-agences au sein du système des Nations unies.» Cette collaboration s'est traduite par des avancées majeures, notamment l'intégration de la migration dans le Recensement général de la population et de l'habitat 2024, positionnant le Maroc comme le 5e pays au monde et le 2e en Afrique à adopter cette approche.
Des partenariats stratégiques ont été noués avec les municipalités d'Agadir et Tanger pour territorialiser la politique migratoire. Le rapport indique que 115 acteurs territoriaux ont été formés sur la gouvernance migratoire et l'intégration de la migration dans les stratégies de développement local. Un partenariat structuré entre le Maroc et l'Italie a été initié dans le secteur de la mécatronique, avec un objectif ambitieux selon le rapport : 500 placements professionnels d'ici 2026. Cette initiative s'inscrit dans la volonté de l'OIM de «faciliter des voies de migration régulières», comme le souligne Laura Palatini dans son avant-propos.
Le vivre ensemble célébré
Le Festival international de la culture africaine à Tanger a rassemblé plus de 1.500 participants, illustrant selon le rapport «la promotion du vivre ensemble et la valorisation des contributions des migrants». La Journée internationale des migrants 2024, célébrée le 18 décembre à Rabat, a réuni plus de 350 acteurs autour du thème «Vers une mobilité sûre et choisie pour tous», avec notamment un match de basketball inclusif rassemblant 66 joueurs marocains, migrants et réfugiés.
Le programme «Forsaty», clôturé en 2024 après plus de dix ans d'existence, laisse un bilan impressionnant selon les chiffres du rapport : près de 100.000 jeunes et membres de la communauté touchés, 10.684 jeunes placés en stage ou en emploi avec un taux de maintien de 85%, et 16.822 jeunes ayant bénéficié d'un soutien pédagogique avec un taux de réussite scolaire de 84%.
Perspectives 2025 : consolider et innover
Le rapport esquisse les priorités pour 2025 : amélioration des dispositifs de référencement et de protection des victimes de traite via le Plan national de lutte contre la traite des êtres humains 2023-2030, élargissement de la couverture géographique des interventions et opérationnalisation des schémas structurés de migration de travail. Laura Palatini conclut dans son avant-propos : «Forts de ces succès partagés, nous abordons l'avenir avec optimisme, déterminés à poursuivre sur cette lancée afin que la migration soit gérée de manière humaine, ordonnée et bénéfique pour tous, sans laisser personne pour compte !»
Le témoignage d'Alice résonne comme un écho à cet optimisme. Aujourd'hui formatrice en pâtisserie pour d'autres jeunes femmes migrantes, elle affirme : «Je veux retourner dans mon pays un jour et ouvrir ma propre pâtisserie. Ce sera ma façon de dire "Je suis plus forte que mes épreuves”». C'est peut-être là la plus grande réussite de l'OIM Maroc en 2024 : avoir transformé la vulnérabilité en résilience, et les statistiques en histoires d'espoir tangibles. Dans un contexte migratoire complexe, le Maroc, avec l'appui de l'OIM, démontre qu'une approche humaine et structurée de la migration est non seulement possible, mais porteuse de transformations durables pour tous.