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Moukharik: c’est le gouvernement qui a poussé les jeunes à s’exprimer dans la rue

La Génération Z crie sa colère dans la rue, appelant à des réformes sociales et économiques de nature à améliorer les conditions de vie des Marocains. Solidaire de cette jeunesse, Miloudi Moukharik, secrétaire général de l’Union marocaine du travail, dénonce l’inaction des pouvoirs publics et appelle à des réponses immédiates pour prévenir l’escalade des tensions.

Miloudi Moukharik.

06 Octobre 2025 À 16:46

Depuis quelques jours, la contestation des jeunes de la Génération Z s’impose comme sujet de débat et interroge le rôle des syndicats. Pour Miloudi Moukharik, secrétaire général de l’Union marocaine du travail (UMT), cette crise est le résultat du chômage massif des jeunes, l’affaiblissement de l’école publique, la dégradation des hôpitaux et l’érosion de la confiance dans les institutions. «Les revendications de ces jeunes sont justes et légitimes», affirme-t-il, tout en soutenant la protestation pacifique et en rejetant les débordements qui, selon lui, «desservent la cause et servent de prétexte aux arrestations».

Une colère «authentique», loin de toute manipulation

Pour Miloudi Moukharik, qui était Invité de l’émission «Nabd Al Omk» le 1er octobre, il ne subsiste aucun doute: la contestation incarnée par la Génération Z est authentique et reflète un malaise social profond. Loin d’être un mouvement téléguidé ou manipulé, elle est, selon lui, l’expression légitime d’une jeunesse privée d’avenir. Pour étayer ce constat, le secrétaire général de l’UMT rappelle les chiffres discordants du chômage: 13% selon le Haut-Commissariat au Plan, plus de 40% dans certaines estimations, et jusqu’à 47% en milieu urbain selon Bank Al-Maghrib. Ces écarts ne sont pas une simple question statistique: ils traduisent une crise structurelle, celle de milliers de diplômés qui se heurtent à l’absence de perspectives et voient leurs espoirs s’éteindre faute d’emploi. «Après avoir épuisé tous les moyens de persuasion et de communication, il ne restait à ces jeunes que la rue», insiste M. Moukharik, décrivant une génération contrainte à la contestation, non par goût de la confrontation, mais par nécessité vitale.

Pour illustrer l’aveuglement des pouvoirs publics, Miloudi Moukharik cite le cas d’Oujda. Dans cette ville de l’Est, des bus de transport public délabrés prennent feu presque quotidiennement, mettant en danger étudiants, travailleurs et habitants. L’UMT, par la voie de son bureau local, avait alerté sur l’urgence d’agir et réclamé des conditions minimales de sécurité. Mais loin d’apporter des solutions, les autorités ont choisi la mauvaise approche: les salariés mobilisés ont été licenciés, malgré les interpellations adressées au wali et aux ministères concernés.

Mais s’il réaffirme sa solidarité avec la jeunesse mobilisée, M. Moukharik trace néanmoins une limite claire: la contestation doit rester pacifique. Car si les revendications sont indiscutables, les débordements et actes de vandalisme sont condamnables. Car ils «desservent la cause et servent de prétexte aux arrestations». Seule une mobilisation disciplinée et non violente, martèle-t-il, peut contraindre les pouvoirs publics à répondre aux attentes exprimées.

Les urgences sociales: santé, éducation, emploi

Pour Miloudi Moukharik, trois priorités s’imposent dans tout projet de redressement: «La santé d’abord, l’éducation d’abord, l’emploi d’abord». Ces domaines, affirme-t-il, sont devenus les maillons faibles d’un modèle social qui ne répond plus aux besoins des citoyens. Concernant la santé, il appelle à un véritable plan d’urgence national afin de sauver l’hôpital public. Il cite l’exemple du CHU Hassan II d’Agadir, dont l’état incarne selon lui la crise généralisée du système. Sur le volet de l’éducation, le secrétaire général de l’UMT dénonce la décision de limiter l’âge de recrutement des enseignants à 30 ans: «c’est une absurdité, car c’est souvent après 30 ans que l’on est le mieux préparé à transmettre et à servir.» Il rappelle que l’école publique, jadis ascenseur social, est aujourd’hui fragilisée et nécessite une refondation profonde, loin des programmes d’urgence précipités et inefficaces. Quant à l’emploi, M. Moukharik fustige la prolifération de contrats précaires et de salaires indignes, souvent inférieurs au minimum légal. «Les jeunes ne réclament pas un simple travail, ils réclament un emploi digne, porteur de stabilité et de respect», martèle-t-il.

Un «dialogue social de façade»

À propos du dialogue social, Miloudi Moukharik se montre particulièrement sévère. Pour lui, il ne s’agit que d’un «dialogue de façade». «Le gouvernement se vante de dialoguer, mais en réalité il se dérobe», affirme-t-il, en référence aux protocoles signés avec des syndicats, mais qui ne produisent aucun changement tangible pour les travailleurs. Le constat s’étend à d’autres secteurs cruciaux. Dans la santé, M. Moukharik dénonce des concertations «factices», menées avec des syndicats «fabriqués», tandis que les organisations représentatives comme l’UMT sont écartées. Dans l’éducation, il cite le cas emblématique des enseignants dits de la «cellule 10», laissés sans solution malgré des années de promesses. Pour lui, ces pratiques traduisent un dialogue social vidé de sa substance, où les décisions sont prises unilatéralement par l’Exécutif.

Les coordinations, une voix à encadrer plutôt qu’à étouffer

Interrogé sur la montée en puissance des coordinations, notamment dans l’éducation et la santé, Miloudi Moukharik adopte une position nuancée. Loin d’y voir une menace pour le syndicalisme, il estime qu’elles expriment des besoins réels et traduisent la diversité des situations professionnelles. «Les enseignants, comme d’autres catégories, ont le droit de s’organiser. Mais il faut leur donner un cadre pour agir», souligne-t-il.

Pour le secrétaire général de l’UMT, le rôle du syndicat n’est pas d’étouffer ces mouvements, mais de les accompagner et de négocier dans l’intérêt de tous. «Le travail syndical est là pour encadrer l’ensemble et porter les revendications auprès des pouvoirs publics, en bonne intelligence avec ces coordinations, plutôt que de chercher à les effacer», insiste-t-il. Une manière de rappeler que le pluralisme de l’action sociale peut enrichir la lutte, à condition d’être structuré.

L’inflation, un poison qui annule les acquis salariaux

Sur le terrain économique, Miloudi Moukharik met en avant une évidence troublante. Les augmentations salariales arrachées de haute lutte par les syndicats ont été, selon lui, «immédiatement annihilées par la flambée des prix». «Ce que les travailleurs ont gagné d’une main, l’inflation l’a repris de l’autre», résume-t-il avec amertume. L’UMT affirme avoir proposé des mesures concrètes: plafonnement des prix des produits de base, réduction de la TVA, ou encore allègement de la pression fiscale sur les revenus modestes et moyens. Mais ces pistes ont été écartées par l’Exécutif, au nom d’une logique strictement budgétaire. «Ils parlent de manque à gagner pour le Trésor, mais ils oublient le coût social de la vie chère», fustige M. Moukharik, pour qui le gouvernement «raisonne en comptable», alors que la société souffre d’une érosion continue du pouvoir d’achat.

Un plan d’urgence pour sauver la santé publique

Au-delà des critiques, Miloudi Moukharik avance des pistes de réforme. Il appelle à la tenue d’une conférence nationale sur la santé, destinée à dresser un état des lieux transparent et à lancer un plan d’urgence pour redresser l’hôpital public. «Il ne suffit pas de construire des hôpitaux: il faut les équiper, les entretenir et surtout valoriser les ressources humaines», insiste-t-il. Pour le secrétaire général de l’UMT, la santé publique ne peut être restaurée qu’à travers une démarche collective et claire, associant syndicats, société civile et autorités. Seule une telle concertation permettrait de rétablir la confiance et d’éviter l’effondrement d’un service vital pour les citoyens.

Retraites: le refus du «triptyque maudit»

Autre sujet de tension social: la réforme des retraites. Miloudi Moukharik affiche à cet égard une position catégorique: «Non à l’allongement de l’âge, non à la hausse des cotisations, non à la baisse des pensions». Ce qu’il appelle le «triptyque maudit» est, à ses yeux, inacceptable, car il pèse toujours sur les mêmes: les salariés. Pour le secrétaire général de l’UMT, il est urgent de réactiver une véritable commission nationale des retraites, à la fois politique et technique, où les directeurs de chaque caisse seraient tenus de présenter l’état réel de leurs fonds respectifs. Il insiste sur la nécessité d’une transparence totale concernant les encours, les investissements, leur rentabilité et les bénéficiaires, dénonçant l’absence de représentants des cotisants dans les organes de gouvernance actuels. Son message est clair: aucune réforme paramétrique ne peut être acceptée tant que la vérité des comptes n’aura pas été établie publiquement et que la gestion des réserves ne sera pas alignée sur leur mission sociale fondamentale: garantir des pensions dignes aux retraités d’aujourd’hui et de demain.

Les syndicats en perte de vitesse ?

Aux critiques qui affirment que les syndicats auraient perdu leur influence ou seraient compromis, Miloudi Moukharik répond sans détour. «À ceux qui proclament la fin des syndicats, je dis qu’ils se trompent lourdement», tranche-t-il. Pour lui, l’UMT demeure fidèle à son principe fondateur: l’indépendance absolue à l’égard des partis politiques, du gouvernement et du patronat. Il insiste sur la présence constante de son organisation sur le terrain, dans des secteurs clés comme la santé, l’éducation ou les collectivités locales. Mais cet engagement a un prix: «Nos militants subissent la répression et parfois le licenciement pour avoir simplement exercé leur droit de protester ou pour avoir pris position publiquement, y compris en solidarité avec la Palestine.» Ainsi, loin d’être des structures figées, les syndicats demeurent, selon lui, un acteur incontournable du rapport de force social. Si leur rôle est fragilisé par la défiance et par l’attitude des pouvoirs publics, ils restent, affirme-t-il, indissociables de toute dynamique démocratique et sociale.

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