La montée des protestations de la Génération Z au Maroc n’est pas un simple sursaut d’impatience : elle traduit une recomposition profonde du lien social. Le professeur de gestion de crise et d'études de sécurité, et chercheur principal au Policy Center for the New South, El Mostafa Rezrazi, y voit le symptôme d’un malaise global, où les réseaux sociaux fonctionnent comme des chambres d’écho émotionnelles.
Les plateformes transforment les frustrations sociales en récits binaires – jeunes contre vieux, peuple contre élite – et font de la colère un carburant d’audience. Cette mécanique de la viralité offre à la jeunesse l’illusion d’une libération, alors qu’elle la soumet à une nouvelle forme de contrôle : celle de l’attention. C’est ce que le chercheur nomme la « ruse psychopolitique » : une stratégie inconsciente du pouvoir numérique qui canalise les affects collectifs en mouvements impulsifs, sans projet politique durable.
La figure du jeune manifestant marocain incarne ainsi un paradoxe : connecté mais isolé, revendicatif mais désorienté, informé mais vulnérable. Entre éco-anxiété et perte de repères, la Génération Z reflète les fractures d’un monde globalisé qui a perdu sa boussole.
Pour M. Rezrazi, le danger n’est pas tant la révolte des jeunes que la "déliaison" entre générations. L’oubli du passé – alimenté par la vitesse numérique – crée une amputation de la mémoire collective. L’histoire devient suspecte, la transmission obsolète, le dialogue impossible. La société se fragmente en archipels d’opinions et d’émotions. Les institutions traditionnelles – école, famille, médias – peinent à jouer leur rôle de médiation symbolique. Le politique, soumis à la dictature de la réactivité, cède à la tentation populiste. L’émotion supplante la raison. La fracture générationnelle devient alors un instrument de gouvernance : elle détourne l’attention des vraies causes structurelles – inégalités, crise éducative, absence de mobilité sociale – pour entretenir une guerre des perceptions.
Au fond, l'analyse d’El Mostafa Rezrazi dépasse le cas marocain. Il dépeint une jeunesse mondialisée, miroir des contradictions contemporaines : connectée mais esseulée, lucide mais désenchantée, rebelle mais vulnérable. Dans le tumulte des manifestations, l’auteur voit moins une menace qu’un appel à repenser la transmission. « Plutôt que d’opposer passé et avenir, écrit-il, il faut faire du lien la matrice du changement. » La Génération Z n’est pas perdue : elle cherche une place dans un monde en transition. À condition qu’on entende sa colère non comme un verdict, mais comme un langage. Et qu’on lui offre, enfin, autre chose qu’une illusion d’émancipation.
Les plateformes transforment les frustrations sociales en récits binaires – jeunes contre vieux, peuple contre élite – et font de la colère un carburant d’audience. Cette mécanique de la viralité offre à la jeunesse l’illusion d’une libération, alors qu’elle la soumet à une nouvelle forme de contrôle : celle de l’attention. C’est ce que le chercheur nomme la « ruse psychopolitique » : une stratégie inconsciente du pouvoir numérique qui canalise les affects collectifs en mouvements impulsifs, sans projet politique durable.
De la taxonomie des générations à la mécanique psychique de la rupture
M. Rezrazi revisite d’abord les grandes catégories générationnelles – du Baby-boom à la Génération Alpha – et souligne leurs limites. Ces taxonomies séduisantes masquent souvent des fractures sociales, territoriales et économiques plus profondes. L’auteur propose ensuite un cadre d’analyse inédit, fondé sur trois mécanismes psychiques hérités de la psychanalyse :- La projection : imputer aux aînés la responsabilité de l’échec collectif (emploi, climat, inégalités) pour soulager la frustration de l’impuissance. "Les frustrations liées au chômage endémique, aux inégalités sociales persistantes et au manque de perspectives stables sont projetées sur les générations précédentes. Cellesci sont accusées d’avoir « gaspillé » l’avenir, en tolérant la corruption, en consolidant des logiques de rente et en transmettant un héritage socio-économique jugé insoutenable", explique l'auteur.
- La régression : Confrontée à un marché du travail saturé et à des institutions souvent jugées inopérantes, une partie de la jeunesse choisit le retrait plutôt que la confrontation. Décrochage scolaire, désengagement civique ou rejet global des cadres politiques et sociaux deviennent autant de formes d’auto-protection. Cette régression agit comme une défense psychique collective : elle permet d’éviter l’angoisse d’un avenir incertain tout en donnant l’illusion d’une autonomie. Derrière la posture de rupture se profile un retour à une adolescence prolongée, où la revendication remplace la construction et la dénonciation tient lieu de projet. Si cette attitude traduit une soif de contestation, elle révèle aussi une fragilité identitaire et une difficulté à transformer la colère en horizon commun.
- Le parricide symbolique : rompre avec le passé, rejeter toute autorité, jusqu’à effacer la mémoire collective. Mais cette rupture s’accompagne d’un coût élevé : l’affaiblissement de la continuité historique et de la mémoire collective, alerte l'auteur. "En refusant l’héritage des générations précédentes, la jeunesse se prive des ressources symboliques et culturelles nécessaires pour affronter la complexité contemporaine. L’acte de « tuer symboliquement le père » procure un sentiment temporaire de libération, mais fragilise le tissu social et accentue la fracture intergénérationnelle", souligne le Senior Fellow du Policy Center.
La Génération Z, entre puissance démographique et vulnérabilité sociale
Le focus marocain du policy paper éclaire crûment la situation. Née entre 1997 et 2012, la génération Z représente 26,3 % de la population, soit 9,6 millions de jeunes Marocains. Mais derrière ce poids démographique se cachent des fragilités structurelles :- 35,8 % de chômage chez les 15–24 ans (contre 12,8 % au niveau national)
- 21,9 % chez les 25–34 ans
- 15,2 % de sous-emploi dans la tranche 15–24 ans
- 1,5 million de NEET entre 15–24 ans, et 4,3 millions jusqu’à 34 ans
- 39 % des jeunes 15–24 ans hors emploi, éducation ou formation, dont un quart en exclusion totale.
La figure du jeune manifestant marocain incarne ainsi un paradoxe : connecté mais isolé, revendicatif mais désorienté, informé mais vulnérable. Entre éco-anxiété et perte de repères, la Génération Z reflète les fractures d’un monde globalisé qui a perdu sa boussole.
Pour M. Rezrazi, le danger n’est pas tant la révolte des jeunes que la "déliaison" entre générations. L’oubli du passé – alimenté par la vitesse numérique – crée une amputation de la mémoire collective. L’histoire devient suspecte, la transmission obsolète, le dialogue impossible. La société se fragmente en archipels d’opinions et d’émotions. Les institutions traditionnelles – école, famille, médias – peinent à jouer leur rôle de médiation symbolique. Le politique, soumis à la dictature de la réactivité, cède à la tentation populiste. L’émotion supplante la raison. La fracture générationnelle devient alors un instrument de gouvernance : elle détourne l’attention des vraies causes structurelles – inégalités, crise éducative, absence de mobilité sociale – pour entretenir une guerre des perceptions.
Trois pistes pour un nouveau pacte intergénérationnel
El Mostafa Rezrazi refuse la résignation et esquisse des solutions concrètes pour sortir du cycle de la défiance :- Refonder la médiation symbolique et mémorielle. Créer des espaces de transmission – écoles du souvenir, récits collectifs, dialogues intergénérationnels – où la mémoire critique devient un outil d’émancipation.
- Renforcer les politiques d’inclusion. Considérer l’éducation, l’emploi et la santé mentale des jeunes comme des priorités stratégiques, non comme des charges budgétaires.
- Réinventer l’usage civique du numérique. Transformer les réseaux en plateformes d’engagement, de débat et de co-construction de projets citoyens, capables de détourner l’économie de l’attention vers la participation démocratique.
Au fond, l'analyse d’El Mostafa Rezrazi dépasse le cas marocain. Il dépeint une jeunesse mondialisée, miroir des contradictions contemporaines : connectée mais esseulée, lucide mais désenchantée, rebelle mais vulnérable. Dans le tumulte des manifestations, l’auteur voit moins une menace qu’un appel à repenser la transmission. « Plutôt que d’opposer passé et avenir, écrit-il, il faut faire du lien la matrice du changement. » La Génération Z n’est pas perdue : elle cherche une place dans un monde en transition. À condition qu’on entende sa colère non comme un verdict, mais comme un langage. Et qu’on lui offre, enfin, autre chose qu’une illusion d’émancipation.
