Yousra Amrani
21 Juillet 2025
À 17:49
C’est un ministre de la Justice sur la défensive qui s’est exprimé pour la première fois en vidéo et en audio, dans un
entretien accordé dimanche à Hespress, au sujet d’un document qui a fuité évoquant son implication dans une
transaction immobilière plutôt polémique. Le document ayant circulé massivement sur les réseaux sociaux concerne l’acquisition, puis la cession, d’un
bien immobilier de luxe à Rabat, d’une valeur estimée à 11 millions de dirhams. Le bien aurait été acheté en 2020 par
Abdellatif Ouahbi, alors avocat, grâce à un
crédit bancaire intégralement remboursé en quatre ans. Il l'aurait ensuite offert à son épouse à l’été 2024, en le déclarant à une valeur d’un million de dirhams seulement – un écart qui a soulevé de nombreuses interrogations, notamment d’ordre fiscal.
Justification ou habillage juridique ?
Le
ministre affirme qu’il s’agit là d’une
donation «en reconnaissance du travail domestique» que son épouse accomplit sans recevoir ni salaire ni pension, et que la démarche est conforme à ses convictions personnelles sur la
valorisation du travail des femmes au foyer. Une lecture que d’aucuns prennent avec des pincettes. Car si aucune infraction n’a été commise, la transaction demeure «suspecte» aux yeux de plusieurs observateurs, notamment en raison de la sous-évaluation déclarée du bien. Mais M. Ouahbi reste intransigeant et balaie les
accusations d’évasion fiscale, assure avoir tout déclaré aux autorités compétentes et se dit prêt à faire l’objet de contrôle de la part des autorités compétentes.
Fuites sélectives ou malaise éthique ?
Mais au-delà de ces considérations juridiques et des lectures que les uns et les autres en font, le ministre dénonce des fuites «incomplètes», «sélectives», venues de l’étranger, relayées selon lui par une «cinquième colonne». Il évoque des manœuvres malveillantes, des règlements de comptes politiques et une «guerre numérique» qui ne dit pas son nom. Ce discours, bien que cohérent, élude toutefois un point essentiel : qu’il y ait main étrangère ou pas, qu’il y ait volonté de nuire à un ministre ou pas, la transaction est «sujette à caution», relèvent les détracteurs de M. Ouahbi.
Le ministre, la posture et le silence
Dans sa défense, M. Ouahbi martèle à plusieurs reprises qu’il n’est «pas obligé» de répondre aux rumeurs du web. Pourtant, il le fait au format audiovisuel via sa sortie sur le canal de Hespress. Précisant qu’il ne peut actuellement saisir la justice contre ses détracteurs, il a promis de le faire «dans un an». M. Ouahbi se dit donc la cible d’attaques personnelles, en lien avec ses positions audacieuses, notamment sur la réforme de la Moudawana. Il évoque tour à tour les accusations qui l’ont visé par le passé, en relation notamment avec ses convictions et son intégrité. Au final, si Abdellatif Ouahbi rejette fermement toute accusation de manquement à la loi, ses explications soulèvent autant d’interrogations qu’elles n’apportent de réponses. Dans un climat de méfiance croissante envers les élites, cette affaire, abstraction faite de sa véracité et des objectifs de ses instigateurs, interpelle la classe politique dans son ensemble sur le souci d’exemplarité et de transparence qui doit guider leur choix en toutes circonstances.