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Peines alternatives : Omar Benjelloun fait le procès de la loi 43.22

Le débat suscité par le projet de loi n°43.22 relatif aux peines alternatives s’atténue à mesure que le texte avance dans le circuit législatif. Pour autant, les critiques ne tarissent pas. Notamment celles des avocats qui mettent en doute son impact supposé sur l’allègement de la surpopulation carcérale. Ce doute a d’ailleurs été exprimé et largement argumenté par l’un des leurs, Omar Benjelloun en l’occurrence, avocat au Barreau de Rabat, lors de son passage à l’émission «L’Info En Face». L’occasion pour lui de faire aussi le procès des amendes journalières, une disposition très controversée, car jugée injuste et susceptible de creuser davantage le fossé des inégalités. Les détails.

Omar Benjelloun, avocat au Barreau de Rabat et membre du bureau national de l’Association des Barreaux du Maroc.

15 Novembre 2023 À 21:55

La polémique soulevée par le projet de loi relatif aux peines alternatives semble avoir désenflé avec le temps, mais elle ne passe toujours pas chez les avocats. Certes, le texte qui suit son petit bonhomme de chemin au Parlement constitue une avancée intéressante et bienvenue pour le système judiciaire. Mais ce qui fait tiquer les robes noires, ce sont les incongruités qu’il recèle et qui ont été soulignées par Omar Benjelloun, avocat au Barreau de Rabat et membre du bureau national de l’Association des Barreaux du Maroc.



Invité à l’émission «L’Info En Face» du Groupe «Le Matin», l’avocat a émis des doutes sur l’impact présumé de cette loi sur la réduction de la population carcérale. C’est en effet le principal objectif visé à travers cette cette loi qui s’inscrit dans le cadre de la réforme pénale, laquelle est portée par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi.

Pour Me Omar Benjelloun, cet argument, fièrement brandi par le ministre tout au long de sa campagne de communication sur le projet de loi, ne tient pas la route, car l’enjeu est ailleurs. C’est une loi bienvenue, mais accessoire, soutient-il. «La loi sur les peines alternatives ne répond pas vraiment à l’enjeu de surpopulation carcérale, ni à celui de l’économie des coûts. Elle ne répond pas non plus aux enjeux des droits humains liés aux conditions d’incarcération. C’est une politique publique qui plus est coercitive!» martèle Mr Omar Benjelloun. Ce qui serait mieux indiqué d’après lui, c’est de s’attaquer aux sources du problème. À commencer par le recours abusif à la détention provisoire qui, soit dit en passant, constitue une primo-incarcération et une entrave majeure au respect des droits humains.

Surpopulation carcérale et détention préventive, le problème est ailleurs !

«La dimension expéditive de la détention provisoire est la source du problème», affirme l’avocat qui tient à préciser que ses positions n’engagent que lui en tant qu’élu du bureau national et en tant qu’universitaire doté d’une légitimité scientifique. «Dans le code de procédure pénale, la détention préventive est considérée comme une mesure d’exception et non pas la règle. Malheureusement, vu le vide juridique de ce Code, les acteurs de la magistrature ont transformé l’exception en règle», déplore-t-il. L’avocat évoque dans ce sens un chiffre parlant : 48% de la population carcérale aujourd’hui relève de la détention préventive. Une statistique émise par le ministère public qui est, selon lui, responsable d’une grande partie de la détention préventive.

«Cela signifie que pratiquement un prisonnier sur deux est privé de sa liberté avant d’être jugé ! C’est anormal!» s’écrie l’avocat qui est également conseiller municipal. Il appelle à une réforme radicale de l’esprit du Code pénal et du Code de procédure pénale actuels. «Il y a deux grandes réformes à mener à ce niveau pour alléger la population carcérale. La première consiste à réguler la détention préventive. On ne peut pas mettre ce pouvoir entre les mains de l’institution du juge d’instruction et du ministère public qui l’utilisent de manière expéditive. Il doit y avoir une réforme qui verse dans le sens de la création d’un juge des libertés et de la détention, spécialisé dans la détention provisoire, lequel sera en mesure de déterminer si le prévenu est une menace pour la société et s’il doit être incarcéré avant d’être jugé», avance Me Omar Benjelloun. «Le Parquet (ministère public) est considéré dans d’autres pays comme une autorité administrative et non judiciaire», fait savoir le professionnel. «Cela signifie que, dans notre pays, c’est cette une autorité de type police administrative qui a le droit de vous placer en détention préventive, de vous priver de votre liberté, dans une condamnation avant l’heure ! C’est extrêmement grave !» note-t-il, exaspéré.

La deuxième réforme suggérée porte sur un allègement du Code pénal de tout ce qui est en rapport avec la délinquance «qui n’impacte pas notre société», faisant référence à certains délits mineurs passibles d’emprisonnement qui engagent inutilement des coûts financiers et sociaux dont on se passerait bien. «Cela concerne plusieurs niches où éventuellement la peine privative de liberté n’a absolument aucun impact, aussi bien sur le concerné que sur les victimes et la société», souligne-t-il.

Décisions expéditives : le rôle du juge d’instruction à reconsidérer

Une réflexion sur le rôle du juge d’instruction serait également à mener dans le même sillage. «Pourquoi un juge d’instruction au niveau des Chambres correctionnelles ? Les délits correctionnels n’ont pas forcément besoin d’une justice d’instruction qui envoie, de manière expéditive, de présumés coupables en détention préventive !» assure Me Omar Benjelloun. «La justice d’instruction en matière de Chambre criminelle est fondamentale, mais en première instance, sur des délits correctionnels, je pense que le Parquet pourrait faire le boulot aussi bien que la justice d’instruction avec les agents auxiliaires de la police judiciaire. À condition bien sûr d’augmenter les postes budgétaires et d’ouvrir les vannes de l’accès à la magistrature à la place de celles ouvertes à la profession d’avocat», insiste-t-il. D’ailleurs, rappelle-t-il, le déficit en moyens humains est une autre problématique qu’il faudra résoudre pour atteindre le même objectif, celui de freiner la surpopulation carcérale. «Comment voulez-vous rendre justice avec une pile de 500 dossiers par audience ?» s’interroge Me Omar Benjelloun. «Ce nombre excessif d’affaires à examiner exerce une pression énorme sur les juges, sachant que chaque affaire doit être traitée avec un raisonnement réfléchi et avec sagesse. Pourtant, le juge doit être à l’abri de toute influence ou pression, quelle qu’en soit la forme ou l’origine», souligne-t-il, ajoutant que plus ou moins 4 millions d’affaires sont traitées annuellement dans les tribunaux du Royaume par moins de 5.000 juges et 17.000 avocats.

Réduire la population carcérale, mais à quel prix ?

L’autre élément qui fait tiquer les avocats est une des dispositions phares du nouveau texte, défendu ardemment par le ministre Ouahbi. Il s’agit des amendes journalières qui permettraient à certains condamnés de racheter la période de leur incarcération en s’acquittant d’une amende allant de 100 à 2.000 DH pour chaque jour d’emprisonnement. Une disposition qui met en place un régime de ségrégation carcérale et qui fera le bonheur des riches uniquement, estime Me Omar Benjelloun. «Peut-être bien que cette loi pourrait réduire la population carcérale, mais à quel prix : le grand banditisme pourrait se payer des journées de liberté, alors que la délinquance qui, elle, est issue d’une certaine pression sociale n’aurait pas les moyens d’acheter sa liberté ?» s’interroge le professionnel. «Une prise en charge financière at-elle été prévue par l’État dans le cadre de l’aide juridictionnelle, à l’instar de celle mise à la disposition de la défense et des avocats ?» poursuit-il. «Tout cela a été mal réfléchi, parce que nous avons un gouvernement néolibéral qui n’a absolument aucune approche de service public dans son programme ou dans son fonctionnement institutionnel. Il n’a pas dans son état d’esprit la préoccupation de rendre justice, ou du moins de réduire les inégalités au sein de la société marocaine», accuse-t-il. «Si l’on doit permettre de racheter des journées de prison, il faut juste que cela soit accessible à tout le monde. Si nous ne réussissons pas à établir la justice dans cette société, il faut au moins éviter de creuser le fossé des injustices et des inégalités», résume Me Benjelloun.

Avocats et ministère de la Justice en froid, à quand la réconciliation ?

Interpellé sur l’absence d’une position officielle du Conseil de l’Ordre des avocats et de l’Association des Barreaux du Maroc au sujet de cette loi controversée, Me Omar Benjelloun a invoqué la rupture de dialogue avec le ministère de la Justice, qui remonte aux temps du scandale lié à l’examen d’accès à la profession d’avocat. «Avant cette rupture, le débat sur les peines alternatives était présent. En tant qu’institution, nous avons formulé différents mémorandums avec la première mouture de la loi. Mais le projet de loi d’avant la rupture n’est pas celui qui a été introduit dans le circuit législatif. Nous n’aurions pas laissé passer cet apartheid financier entre la criminalité des riches et la criminalité des pauvres si nous avions été saisis, comme nous l’avions été avant la rupture de la communication», explique-t-il. Mais qu’en est-il des consultations sur le Code de la famille ? «Nous avons en effet été sollicités en tant qu’Association des Barreaux du Maroc pour donner notre avis sur la Moudawana dans le cadre du respect de la clause constitutionnelle de la concertation et de la démocratie participative impliquant les professions concernées par toute réforme légale», répond l’avocat. «Peut-être que ce rapprochement permettra de rétablir cette communication interrompue», avancet-il. À bon entendeur... !
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