LE MATIN
19 Janvier 2025
À 18:35
Alors que la fronde contre le projet de loi organique n°97.15 définissant les conditions et modalités d'exercice du
droit de grève ne cesse de monter – une marche nationale de protestation a eu lieu hier à Rabat –, il serait opportun de revenir sur le parcours législatif de ce texte, ses nouveautés, les amendements validés et le contexte politique et constitutionnel de son élaboration.
Contexte politique et constitutionnel
Le processus législatif visant la réglementation de l’exercice du droit de grève s’inscrit dans le cadre du parachèvement de l’édifice constitutionnel marocain, qui a consacré, dès la première
Constitution du Royaume en 1962, et dans toutes les Constitutions suivantes, y compris celle de 2011, la garantie de l’exercice de ce droit. Le projet de loi organique n°97.15 ambitionne donc de renforcer l’expérience démocratique marocaine et consolider les bases de l’État de droit.
Ce texte vise également à consacrer l'État social, comme horizon politique et social prôné par
Sa Majesté le Roi Mohammed VI et que le gouvernement s’engage à concrétiser. L’enjeu par ailleurs est d’améliorer l’environnement d’investissement en instaurant un climat social de confiance de nature à favoriser le développement économique et social. Cet enjeu est d’autant plus important que le Maroc se prépare à des échéances nationales et internationales majeures, nécessitant un cadre institutionnel solide et fiable. En instaurant un cadre équilibré pour l’exercice du droit de grève, ce projet de loi organique renforcera la justice sociale ainsi que les droits et libertés de toutes les parties prenantes. Car l’adoption de ce projet contribuera également à établir un modèle politique et social unique, conciliant entre les exigences de la démocratie représentative et l’approche participative nécessaire à l’édification démocratique.
Depuis 2016, pour diverses raisons, la discussion de ce projet de loi a été impossible. En effet, en l'absence d’un dialogue social institutionnalisé et faute d’une d’implication réelle des partenaires sociaux dans la préparation du texte avant son dépôt au Parlement, il était difficile d’enclencher le processus législatif relatif à ce chantier.
Définition des principes fondamentaux et démarrage du processus législatif
Depuis son avènement, le gouvernement actuel s’est attelé à institutionnaliser le dialogue social à travers notamment la signature de la Charte nationale du dialogue social. Dans ce cadre, il a favorisé la signature de deux accords sociaux historiques. Ces accords incluent, parmi leurs engagements, la mise en œuvre de la loi organique relative aux conditions et modalités d’exercice du droit de grève.
L’accord social du 29 avril 2024, qui visait à exécuter les engagements restants de l’accord social du 30 avril 2022, a prévu la programmation de la discussion de ce projet de loi et son adoption au cours de la session parlementaire du printemps 2024. Cet accord a également défini les principes fondamentaux de cette loi organique, notamment :
• Assurer la conformité du projet de loi organique avec les dispositions de la Constitution et les conventions internationales relatives à l’exercice du droit de grève.
• Encadrer l’exercice du droit de grève dans les secteurs public et privé, en veillant à l’équilibre entre ce droit constitutionnel et la liberté de travail.
• Préciser les différents concepts liés à l’exercice du droit de grève.
• Réguler les services qui, en raison de leur nature et de leur caractère vital, nécessitent la mise en place d’un service minimum pendant la durée de la grève.
• Renforcer les mécanismes de dialogue, de conciliation et de négociation pour résoudre les conflits collectifs du travail.
Des consultations menées suivant une approche participative
Dans cette optique, le gouvernement a mené des consultations élargies impliquant les partenaires sociaux et les départements ministériels concernés au sujet de ce projet de loi organique. Une série de rencontres consultatives s’étendant sur plus de 22 mois a eu lieu, totalisant plus de 65 réunions, dont 30 avec les partenaires sociaux, 20 avec les départements gouvernementaux concernés, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et le Parquet général, ainsi que 15 sessions de travail avec le chef du gouvernement consacrées aux consultations et discussions sur la version initiale du projet de loi. Dans ce cadre, les partenaires sociaux ont exprimé leur forte volonté de participer aux consultations avec sérieux et responsabilité, en contribuant au débat pour rapprocher les points de vue et enrichir les dispositions du projet par des propositions liées aux pratiques concrètes de grève et aux expériences internationales pertinentes. Le processus législatif de ce projet a inclus quatre sessions de discussion approfondie avec la participation de tous les représentants des partis et groupes parlementaires siégeant au Conseil des représentants. Une séance de présentation a eu lieu le 16 juillet 2024 devant la Commission des secteurs sociaux de la Chambre des représentants, suivie d’une discussion générale le 18 juillet 2024.
Après l’avis du Conseil économique, social et environnemental et du mémorandum du Conseil national des droits de l’Homme, suite à une saisine du président de la Chambre des représentants, une discussion détaillée des dispositions du projet a eu lieu le 31 octobre 2024. Le 3 décembre 2024, la Commission des secteurs sociaux a adopté à la majorité le projet de loi organique, après des discussions longues de plus de 17 heures. La première phase au sein de la Chambre des représentants s’est conclue par une session plénière consacrée à la discussion et au vote du projet de loi organique n°97.15 dans son ensemble, le 24 décembre 2024.
Selon le gouvernement, le texte a connu des amendements substantiels
À la lumière des sessions de dialogue social sur ce projet de loi organique, le gouvernement a pu introduire des amendements substantiels qui ont permis d’atteindre un consensus sur plusieurs articles fondamentaux, notamment l’article 1er et l’article 4, ainsi que la suppression des grèves interdites, des peines privatives de liberté et de tout renvoi à des sanctions pénales plus sévères.
Parmi les principales nouveautés du projet de loi organique approuvé par la Chambre des représentants, on peut citer :
- L’élargissement des catégories concernées par l’exercice du droit de grève aux professionnels, aux travailleurs indépendants et travailleurs non salariés (TNS), travailleurs domestiques, mineurs, marins, concierges, journalistes et autres catégories spécifiques de travailleurs.
- Une révision de la définition de la grève, incluant l’expression «arrêt total ou partiel du travail» et supprimant l’expression «de manière planifiée».
- La modification de la définition du secteur public pour inclure «les services publics relevant de l’État, des collectivités territoriales, des personnes morales de droit public qui leur sont rattachées, ainsi que des établissements publics n’ayant pas un caractère industriel ou commercial, ainsi que toute personne morale de droit public».
- L’ajout d’une définition du secteur privé comme étant «les personnes physiques ou morales, autres que celles mentionnées dans la définition du secteur public, qui entretiennent une relation de travail avec leurs employés».
- La suppression des interdictions de grèves à caractère politique ou alternées.
- L’élargissement des entités habilitées à appeler à la grève, y compris les syndicats représentatifs dans les services publics.
- L’octroi à un certain nombre de salariés du secteur privé du droit d’appeler à une grève via un comité de grève, avec des conditions assouplies pour la prise de décision.
- La suppression de la procédure de réquisition.
- La suppression des sanctions privatives de liberté et du renvoi à des sanctions pénales plus sévères.
- L’harmonisation de la structure du texte, la cohérence des articles et la précision des termes employés.