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Redonner du sens au vote : le pari d’une réforme électorale crédible

Le 29 juillet 2025, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a placé la réforme du Code général des élections au cœur de Ses Orientations Stratégiques, à l’occasion du 26ᵉ anniversaire de Son accession au Trône. Par-delà le respect du calendrier constitutionnel pour les élections législatives de 2026, le Souverain a exigé la finalisation de l’ensemble du cadre électoral avant la fin de l’année en cours, insistant sur l’urgence de rétablir la confiance dans les institutions représentatives et de préserver la régularité démocratique. En réponse à cet appel, le ministre de l’Intérieur a réuni, le 2 août, l’ensemble des partis politiques pour lancer un cycle de concertation politique autour des ajustements nécessaires du système électoral. «Le Matin» a recueilli des points de vue pluriels, à la fois politiques et académiques, sur les attentes, les propositions et les limites de cette réforme annoncée. L’objectif étant de nourrir un débat constructif sur les mécanismes électoraux, la représentativité et les conditions d’un véritable renouvellement démocratique.

04 Août 2025 À 17:30

Face à une abstention croissante, à la crise de confiance entre les citoyens et leurs représentants, et à l’essoufflement des mécanismes électoraux, l’appel de S.M. le Roi Mohammed VI à finaliser la réforme du Code électoral avant la fin de l’année 2025 vient consacrer une volonté forte de réarmement démocratique. Le débat est désormais lancé. Politiques, experts et forces vives du pays se mobilisent pour esquisser les contours d’un nouveau pacte électoral, à même de revitaliser la représentativité et de garantir des élections à la fois régulières, crédibles et porteuses de sens.

Concertations politiques : une mise en œuvre immédiate sous la houlette du ministère de l’Intérieur

Conformément aux Hautes Instructions Royales, le ministre de l’Intérieur a présidé, le samedi 2 août, deux réunions successives réunissant les dirigeants de l’ensemble des formations politiques nationales. Ces consultations inaugurales, marquées par un haut niveau d’engagement et de responsabilité, ont été unanimement saluées comme l’acte fondateur du processus de refonte électorale souhaité par le Souverain.

L’ensemble des partis, toutes sensibilités confondues, ont exprimé leur pleine adhésion à une méthode fondée sur la concertation, la transparence et l’anticipation. Ils se sont engagés à transmettre leurs contributions écrites au ministère de l’Intérieur d’ici la fin du mois d’août. Objectif partagé : permettre l’élaboration d’un consensus national sur les réformes législatives à engager, en vue de leur adoption définitive au cours de la session parlementaire d’automne, conformément au calendrier fixé par les Hautes Directives Royales.

Le PPS : «Réconcilier les citoyens avec la politique»

Mohamed Nabil Benabdallah, secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme, salue l’appel du Souverain comme une initiative à haute portée démocratique. Pour l’ancien ministre, la nouvelle réforme ne saurait se limiter à une reconfiguration technique du dispositif électoral. «Nous pensons que cela doit contribuer à réconcilier les citoyens avec la politique et avec les institutions», affirme-t-il. Pour lui, il faut créer les conditions d’un processus électoral crédible et porteur de confiance, capable de mobiliser les électeurs autour de choix clairs et portés par des candidats légitimes. Cette réforme ne peut réussir que si elle est issue d’une large concertation nationale, «un dialogue entre les différentes forces politiques et le ministère de l’Intérieur», afin de faire émerger «un Code électoral de haut niveau, en phase avec les aspirations réalistes du pays».

L’alerte : une abstention massive qui menace le pacte démocratique

Le chef du PPS tire la sonnette d’alarme au sujet d'un phénomène préoccupant : l’érosion massive de la participation électorale. «Il y a aujourd’hui une abstention massive qui risque de dépasser tous les seuils précédents», prévient-il. Il rappelle les chiffres : 27 millions de Marocains en âge de voter, 18 millions inscrits, mais à peine la moitié ayant voté lors du dernier scrutin. Cela signifie que plus de 18 millions de citoyens sont restés en dehors du processus électoral. «C’est une panne démocratique d’ampleur», martèle-t-il. Si cette tendance se poursuit, les élections de 2026 risquent de subir un désaveu massif. «Ce serait très grave pour notre démocratie. Il faut créer les conditions de la confiance, de la crédibilité et redonner du sens à l’acte de voter», insiste-t-il.

Restaurer la confiance : une priorité absolue

Pour redresser la barre, M. Benabdallah estime qu’il est impératif de restaurer un lien de confiance entre les citoyens et la politique. Cela passe, selon lui, par un message fort : «Il faut que les citoyens sachent que le choix qu’ils exprimeront dans les urnes déterminera réellement la direction politique du pays à partir de 2026». Il rattache cet enjeu aux grandes ambitions nationales, en particulier «la réussite du cap 2030 avec la Coupe du monde, le renforcement de notre démocratie, la création d’un développement économique réel, équitable et une justice sociale effective sur l’ensemble des territoires».

L’assainissement du champ politique : une exigence vitale

Mais il met aussi en garde contre les dérives récurrentes qui sapent la légitimité du processus électoral : l’usage massif de l’argent, l’achat de voix, la candidature de profils sans légitimité ni éthique. «Il faut éloigner du champ politique ceux qui viennent s’y abriter pour couvrir leurs pratiques néfastes», tranche-t-il. Il dénonce la présence de candidats issus de l’informel, sans engagement réel, qui investissent la politique comme un espace de protection. «Ces profils nuisent à la démocratie et à la confiance des citoyens», affirme-t-il. Il appelle à un encadrement strict de toutes les étapes du scrutin, à travers une commission nationale regroupant l’Intérieur et les partis politiques.

Inscription automatique et refonte du découpage électoral

M. Benabdallah défend avec force l’idée d’une inscription automatique des électeurs sur la base de la carte d’identité nationale (CIN). «Il faut passer à une inscription universelle, transparente et continue», déclare-t-il, en appelant à la mise en place d’un guichet permanent d’enregistrement. Il critique également la configuration actuelle du découpage électoral : «Il n’est pas normal que certaines circonscriptions ne comptent que deux sièges. Cela empêche la compétition et fausse la représentativité». Il milite pour un minimum de quatre sièges par circonscription, et jusqu’à sept ou neuf dans les pôles urbains. Il propose en parallèle la création de circonscriptions pour les Marocains du monde, ainsi qu’une liste nationale mixte et paritaire permettant de promouvoir les compétences et la diversité.

Contre l’argent et pour des candidats porteurs de projets

Le secrétaire général du PPS revient longuement sur la domination artificielle de certains partis : «Il y a des partis qui ne sont pas dominants politiquement, mais qui se maintiennent grâce à un usage massif de l’argent. Cela dépasse toutes les limites», dénonce-t-il. Il exige, dans ce sens, un encadrement strict du financement politique et une transparence totale sur l’utilisation des fonds publics. «Il faut contrôler l’argent, sanctionner tout achat de voix et donner des exemples clairs par la justice», dit-il. Pour lui, les candidats doivent être évalués sur leurs compétences, leur éthique et leurs propositions, pas sur leur capacité à mobiliser des réseaux financiers.

Redonner du sens au vote

Au fond, M. Benabdallah défend l’idée d’un renouveau démocratique qui redonne toute sa noblesse à l’acte de voter. «Il faut que les citoyens aient la certitude que ceux qui se présentent sont des candidats de haut niveau, compétents, honnêtes, quel que soit leur parti», insiste-t-il. Le scrutin doit être fondé sur des débats de fond, des projets clairs, des programmes crédibles. «Il faut que les citoyens sentent que la démocratie sert à quelque chose. Que le vote a un impact. Qu’il est respecté. Et que l’État veille à l’éthique et à l’intégrité de tout le processus», souligne-t-il.

Un développement sans démocratie est une impasse

En conclusion, Mohamed Nabil Benabdallah insiste sur un principe fondamental : la politique et le développement doivent marcher ensemble. «Il ne peut y avoir de développement réel sans portage politique et démocratique», affirme-t-il. Il appelle à une classe politique renouvelée, des institutions fortes, capables de porter une vision, de mobiliser les citoyens et de bâtir ensemble l’avenir du pays. C’est à cette condition que le Maroc pourra réussir sa transformation, en phase avec les Hautes Orientations Royales, et en réponse aux attentes profondes de ses citoyens.

Le Mouvement populaire : une réforme pour réhabiliter la médiation démocratique

Dans un communiqué officiel, Mohammed Ouzzine, secrétaire général du parti Mouvement populaire (MP), a exprimé son adhésion pleine et entière aux Hautes Orientations Royales et salué l’impulsion donnée à la réforme du Code électoral comme une opportunité stratégique de refondation du pacte démocratique. Le chef du parti voit dans cette réforme l’occasion d’initier une revitalisation profonde de la démocratie représentative et de réancrer l’action institutionnelle dans une dynamique de proximité, d’inclusion et de légitimité renforcée. Articulant son approche autour d’un double impératif, le MP plaide, d’une part, pour une revalorisation de la médiation politique, à travers un renforcement tangible du lien entre les citoyens et les institutions représentatives et, d’autre part, pour une modernisation substantielle du cadre législatif, fondée sur une redéfinition ambitieuse de la composition, des fonctions et des moyens du Parlement. Il affirme son intention de défendre des propositions ambitieuses, visant à élargir la participation électorale, à améliorer la qualité de la représentativité, et à rehausser le rôle structurant des partis politiques dans l’encadrement de la vie publique et l’animation de la scène démocratique.

Le PJD : entre introspection et engagement moral

Le Parti de la justice et du développement (PJD), par la voix de son secrétaire général, se dit déterminé à contribuer positivement à la réforme électorale en cours. Tout en reconnaissant sa part de responsabilité dans l’échec subi lors des élections de 2021, le parti dénonce «les irrégularités ayant entaché cette échéance», pointant du doigt «l’usage excessif de l’argent et les atteintes à la probité du processus électoral». «Toute fraude ou instrumentalisation politique à des fins personnelles affaiblit l’État et la Nation», affirme Abdelilah Benkirane.

Le PJD appelle à une réhabilitation profonde de l’éthique politique, recentrée autour des valeurs fondamentales du parti : discipline organisationnelle, engagement religieux et probité morale. Il propose que l’année politique à venir soit placée sous le signe d’un effort spirituel collectif (prière, jeûne, lecture du Coran), perçu comme socle d’un redressement militant.

Parallèlement, le parti défend une stratégie de mobilisation ciblée en faveur de la participation : identification et accompagnement des électeurs non inscrits, communication de proximité et sensibilisation à l’échelle locale. Il plaide également pour une limitation du nombre de bureaux de vote afin de garantir un meilleur contrôle électoral par les partis. Enfin, le PJD place la jeunesse au centre de son projet de relance politique, en la qualifiant de «fer de lance» d’un renouveau démocratique fondé sur la probité, l’engagement et la clarté de la ligne politique.

Houda Sikaoui : «Sans réforme des partis, le nouveau Code électoral sera vain»



Pour Houda Sikaoui, experte en communication stratégique et en gouvernance démocratique, l’appel de S.M. le Roi Mohammed VI à réformer le Code électoral ne doit pas être perçu comme un simple exercice juridique ou procédural. Il constitue une opportunité politique rare, mais encore faut-il que l’ensemble des parties prenantes en mesure la portée et s’en saisisse pleinement. À ses yeux, l’appel Royal, clair et solennel, témoigne de la volonté du Souverain de garantir à la fois la régularité des échéances électorales et leur crédibilité politique. «Sa Majesté veille personnellement à la stabilité du processus électoral. Depuis 26 ans, ce mécanisme a été institutionnalisé, consolidé, respecté dans ses délais comme dans ses formes, et c’est là un acquis incontestable de Son règne», affirme-t-elle. Mais si cette stabilité constitue un socle, elle ne saurait suffire à elle seule à répondre aux attentes actuelles en matière de représentativité, de participation et de renouvellement démocratique.

Pour qu’elle marque un tournant, la réforme du Code électoral doit impérativement dépasser le strict champ technique. Si elle se limite à réviser les règles sans interroger la confiance des citoyens ou la qualité de la représentation, elle risquera de rester une consolidation procédurale, certes utile, mais insuffisante. «Ce travail doit être abordé comme une réflexion politique globale. La balle est désormais dans le camp des acteurs politiques. C’est à eux qu’il revient de prendre leurs responsabilités et d’ouvrir enfin les vrais débats», avertit-elle.

Selon Houda Sikaoui, ces débats doivent porter d’abord sur l’efficacité du mode de scrutin actuel. Le système proportionnel au plus fort reste a permis le pluralisme et produit aujourd’hui une représentation éclatée, sans majorité cohérente et engendre des coalitions de circonstances plus arithmétiques qu’idéologiques. Ce système, appliqué à des circonscriptions locales, empêche non seulement la lisibilité de l’action publique, mais contribue aussi à la défiance généralisée des citoyens. «Notre société a évolué. Les jeunes générations, les mouvements citoyens, les causes comme la justice sociale, l’égalité des genres ou l’environnement ne trouvent plus leur traduction dans l’hémicycle. Le mode de scrutin actuel ne favorise pas l’émergence de nouvelles forces, il reconduit les équilibres établis ».

Ce constat, explique-t-elle, rejoint les préoccupations déjà exprimées par le Souverain, notamment dans le message Royal adressé aux participants au symposium du 60e anniversaire du premier Parlement élu. Ce message, pourtant essentiel, n’a pas trouvé d’écho réel dans la pratique des partis, encore trop repliés sur leurs équilibres internes. «Les formations partisanes continuent de prioriser les calculs électoraux et les arrangements d’appareil au détriment des enjeux de fond posés par le Roi. C’est regrettable.»

Au cœur du problème se trouve, selon elle, la question du fonctionnement même des partis politiques. Si ceux-ci étaient censés, historiquement, refléter les dynamiques sociales du pays, ils apparaissent aujourd’hui largement en décalage avec les attentes de la société marocaine contemporaine. «Les partis souffrent d’un manque de renouvellement des élites, d’une opacité dans leurs mécanismes internes et d’une déconnexion profonde avec les réalités sociales. Ils peinent à attirer les jeunes, les femmes, les compétences issues de la société civile

Houda Sikaoui évoque une rupture symbolique et structurelle entre les formations partisanes et le tissu social. Leurs logiques internes, souvent verrouillées, limitent leur légitimité comme espaces de médiation. «La demande de proximité, de redevabilité, de transparence, elle, ne cesse de croître. Et les partis n’y répondent pas.» Face à cela, elle plaide pour une transformation en profondeur. Il ne s’agit plus d’ajustements cosmétiques, mais bien d’une refonte : repenser les structures, ouvrir les portes, démocratiser la désignation des responsables, reconnecter les idées aux territoires. «Si les partis veulent redevenir crédibles, il faut qu’ils s’ouvrent à la diversité du Maroc réel. C’est une condition de survie démocratique.»
Mais la réforme électorale ne peut être dissociée, selon elle, d’un projet institutionnel global. «Réformer les règles électorales sans repenser l’ensemble du système politique reviendrait à vider cette réforme de sa portée transformatrice. Il faut inscrire ce chantier dans une dynamique plus large.» Elle identifie plusieurs volets à cette démarche. D’abord, repenser le fonctionnement des deux Chambres. Il ne s’agit pas simplement de corriger leur composition, mais de renforcer leur efficacité législative, leur rôle de contrôle et leur capacité à évaluer les politiques publiques. Ensuite, donner à l’opposition un statut véritablement effectif : plus de moyens, plus d’espace dans le débat, plus de pouvoir de proposition. Aujourd’hui, l’opposition reste selon elle cantonnée à une posture symbolique, marginalisée dans les rapports de force parlementaires.

Troisième enjeu, et non des moindres : le renouvellement des élites. «C’est l’un des défis majeurs. La mobilité politique est faible, les mécanismes de cooptation persistent, les opportunités offertes aux jeunes, aux femmes, aux talents issus des territoires périphériques sont trop rares.» Elle appelle à créer des dispositifs structurés de formation, de repérage et de promotion de nouveaux profils. Il faut revoir les critères d’éligibilité, valoriser la compétence, l’éthique et la proximité avec les citoyens. «La démocratisation interne des partis est la clé d’un véritable renouvellement».

Enfin, Houda Sikaoui revient sur ce qui constitue à ses yeux l’enjeu fondamental de la période actuelle : le rétablissement de la confiance entre les citoyens et le processus politique. Cette confiance, dit-elle, s’est effondrée sous le poids des promesses non tenues, du manque d’exemplarité, de la distance croissante entre les élus et la société.

«La confiance ne se décrète pas. Elle ne peut résulter d’un simple affichage ou de discours convenus. Elle se construit dans la durée, sur le terrain, à travers des engagements concrets. Elle suppose de l’écoute, de la présence, de l’intégrité.» Pour elle, trois axes s’imposent. D’abord, une ouverture réelle des partis à la diversité sociale et générationnelle du pays. Ensuite, une moralisation effective de la vie politique : mettre fin aux scandales, aux conflits d’intérêts, aux logiques d’enrichissement personnel. Enfin, un travail de terrain régulier, soutenu, ancré, pour reconnecter les élus aux préoccupations réelles des citoyens. Elle résume ainsi sa pensée : «Un parti qui ne se renouvelle pas de l’intérieur ne peut prétendre représenter la société. Et sans représentativité, il n’y a pas de légitimité.» Pour elle, les partis doivent saisir cette réforme comme une chance. Non seulement pour actualiser les règles du jeu, mais pour se reconstruire, regagner la confiance et contribuer à un projet démocratique à la hauteur des transformations en cours. «Le Maroc a aujourd’hui une opportunité politique et historique. Il ne faut pas la rater.»
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