Hiba Chaker
07 Novembre 2025
À 19:35
Le 31 octobre 2025, la
résolution 2797 du
Conseil de sécurité des Nations unies a marqué un basculement discret mais décisif : pour la première fois,
l’initiative marocaine d’autonomie est reconnue comme
«base» des
négociations, reléguant de fait l’option du référendum aux marges du débat. Cette validation onusienne vient couronner près de deux décennies de glissements sémantiques progressifs au sein de l’institution, au fil desquelles les termes «réalisme» et «pragmatisme» ont graduellement remplacé ceux de «référendum» ou d'«autodétermination». Un tournant ? Oui. Un aboutissement ? Pas encore. «Dans le droit fil de la Résolution onusienne, le Maroc procédera à
l’actualisation et à la
formulation détaillée de la
Proposition d’Autonomie en vue d’une soumission ultérieure aux
Nations unies. En tant que solution réaliste et applicable, elle devra constituer la seule base de négociation», avait annoncé
Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le jour même dans un discours prononcé à suite de l'adoption de la résolution consacrant la souveraineté marocaine sur le Sahara. Car si l’autonomie sous souveraineté marocaine gagne du terrain dans les enceintes diplomatiques, sa concrétisation sur le terrain reste un défi à plusieurs dimensions : politique, institutionnelle, économique et sociale. C’est tout l’objet du rapport analytique publié le 6 novembre 2025 par le Centre africain d’études stratégiques et de la digitalisation (CAESD), qui propose une cartographie précise des acquis... mais aussi des défis à relever.
L’autonomie, socle constitutionnel et enjeu territorial
Depuis la révision constitutionnelle de 2011, la «régionalisation avancée» est érigée en pilier de la gouvernance territoriale. C’est dans ce cadre que l’autonomie des provinces du Sud s’est progressivement bâtie : conseils régionaux élus au suffrage direct, compétences renforcées, gestion budgétaire décentralisée... La transformation est réelle, notamment à Laâyoune et Dakhla. Mais pour le CAESD, il ne s’agit encore que d’une phase transitoire. L’autonomie pleine implique bien plus : un transfert plus massif de prérogatives, une simplification des procédures, une responsabilisation accrue des élus locaux et, surtout, une inclusion véritable de la jeunesse et des femmes dans les instances décisionnelles. Encore faut-il que cette ambition soit portée avec la même intensité de l’action diplomatique qui l’a rendue possible.
Une économie en mutation, encore dépendante
Les chiffres sont là : depuis le lancement du nouveau modèle de développement des provinces du Sud, plus de 77 milliards de dirhams ont été injectés dans les trois régions concernées. La seule région de Laâyoune-Sakia El Hamra a concentré 44 milliards, contre 26 milliards à Dakhla-Oued Eddahab et 7 milliards à Guelmim-Oued Noun. Les taux d'exécution avoisinent les 80%, signe d'une mise en œuvre soutenue. Des chantiers emblématiques cristallisent cette dynamique : la voie express Tiznit-Dakhla, levier majeur d'intégration territoriale, ou encore le futur port Dakhla Atlantique, présenté comme une future plateforme stratégique entre le Maroc, l’Afrique de l’Ouest et l’Amérique latine. À cela s’ajoutent les investissements dans les énergies renouvelables (solaire, éolien, et bientôt hydrogène vert), la pêche, les infrastructures touristiques et les zones logistiques.
Mais cette vitalité économique repose encore massivement sur l’impulsion étatique. Le rapport du CAESD souligne un déséquilibre structurel : la majorité des investissements reste d’origine publique, avec une faible proportion de capitaux privés ou locaux. Résultat : l’autonomie économique tarde à émerger. Le risque est connu, celui d’une économie portée par de grands projets, mais peu connectée à un tissu productif local. Pour éviter cet écueil, l’analyse plaide pour un tournant stratégique : encourager la création de chaînes de valeur locales, imposer des quotas de contenu local dans les projets structurants et transformer les avantages comparatifs en moteurs de croissance diversifiée. En parallèle, un cadre juridique clair devra garantir la souveraineté économique, notamment en interdisant la cession des actifs stratégiques (ports, ressources naturelles, réseaux). Le potentiel est là. Encore faut-il que le modèle bascule d’un pilotage centralisé vers une économie territoriale pleinement assumée.
L’autonomie, laboratoire ou vitrine ?
L’autre défi est symbolique : faire du Sahara non seulement un territoire autonome, mais un modèle exportable pour l’ensemble du Royaume. Le nouveau modèle de développement (NMD) l’avait déjà formulé en 2021 : il faut passer du «développement des territoires» au «développement par les territoires». À ce titre, les provinces du Sud, avec plus de 77 milliards de dirhams déjà engagés, pourraient devenir un laboratoire d’expérimentation en matière de gouvernance, d’innovation et de diplomatie économique. Mais cette ambition suppose de lever certains freins. L’analyse met en garde contre «les inerties administratives, les chevauchements de compétences et le risque d’une recentralisation rampante». Pour crédibiliser l’autonomie au-delà du discours, plusieurs leviers sont jugés prioritaires : la digitalisation des services publics, la mise en place de plateformes de transparence budgétaire, ou encore la publication systématique des performances régionales. Des outils, écrit le rapport, «décisifs pour renforcer la redevabilité et la confiance citoyenne».
Diplomatie parallèle, jeunesse locale, justice territoriale : les clés de la suite
Le rapport du CAESD propose une série de recommandations concrètes pour la suite. Certaines sont techniques (création de zones économiques spéciales, quotas de contenu local, plateformes numériques de suivi), d’autres relèvent du politique : autonomisation des jeunes, valorisation du patrimoine hassani, diplomatie régionale incarnée par des acteurs locaux. Une constante traverse toutes ces propositions : la nécessité d’ancrer l’autonomie dans la société elle-même. L’autonomie ne pourra pas se décréter depuis le Centre ni se limiter à un projet infrastructurel. Elle devra s’incarner dans la vie quotidienne, dans les décisions économiques, dans l’identité culturelle valorisée et dans la capacité de ces régions à dialoguer avec le continent africain et le reste du monde, en leur nom propre, mais dans le cadre de la souveraineté nationale. Ainsi, avec la résolution 2797, le Maroc a consolidé une victoire diplomatique majeure, fruit d’un patient travail de fond. Mais cette reconnaissance est une base, pas encore un édifice. L’autonomie, pour être pleinement opérante, devra être institutionnalisée, productive, participative et visible. La question n’est donc plus : l’autonomie est-elle une option ? La question est désormais : comment la rendre irréversible, efficace, et équitable pour tous les citoyens du Sud ?