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Sahara marocain : les intérêts stratégiques peuvent-ils infléchir les positions de la Chine et la Russie ?

Longtemps prudentes et en retrait, la Chine et la Russie réajustent imperceptiblement leurs positions sur le Sahara marocain. À la confluence des intérêts économiques, stratégiques et diplomatiques, les postures de Moscou et de Pékin évoluent mais sans donner lieu, jusqu’à présent du moins, à un appui tranché à la thèse défendue par Rabat. Dans une récente note, le Policy Center for the New South analyse une possible convergence inédite autour du Plan d’autonomie marocain.

21 Septembre 2025 À 17:00

Ouvert depuis le départ des Espagnols dans le milieu des années 1970, le différend autour du Sahara marocain ressurgit aujourd’hui dans les calculs stratégiques de grandes puissances telles que Pékin et Moscou, deux membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU qui jusqu’ici adoptaient une certaine forme de neutralité prudente. Mais «la stabilité régionale offerte par une solution d’autonomie négociée pourrait aussi servir les agendas stratégiques de la Chine et de la Russie». C’est ce qu’avancent Rida Lyammouri, senior fellow auprès du Policy Center for the New South (PCNS), think tank relevant du groupe OCP, et Fadoua Ammari, docteure en relations internationales et droit international public de l’Université Hassan-II de Casablanca, dans un rapport qu’ils ont publié au mois de juin 2025 pour le compte du PCNS.

Avec son plan d’autonomie proposé en avril 2007, le Maroc souhaite sortir de l’impasse et récolte depuis un soutien croissant sur la scène internationale. «Il importe d’examiner comment Pékin et Moscou abordent ce dossier épineux», souligne le rapport, intitulé «La Chine et la Russie face à la question du Sahara marocain : vers une convergence des intérêts stratégiques». Sont ainsi décryptés les votes à l’ONU des deux pays, ainsi que leurs gestes bilatéraux et leurs investissements dans la région.

Pékin : la neutralité qui s’efface

Historiquement, la Chine s’est montrée prudente. Elle n’a jamais reconnu la pseudo «RASD», autoproclamée par le Polisario en février 1976... mais elle n’a pas non plus (encore) appuyé officiellement la souveraineté marocaine sur la région. Pourtant, «un tournant notable est intervenu ces dernières années», à savoir le vote en faveur de la résolution 2602 (2021), considérée comme «très favorable» au plan d'autonomie marocain, comme le rappellent Rida Lyammouri et Fadoua Ammari.

Pékin se rapproche aussi de Rabat sur le terrain. En 2023, les échanges commerciaux ont dépassé 8 milliards de dollars. «Le Maroc est un partenaire de choix pour sa stratégie en Afrique et en Méditerranée occidentale», note le rapport. Des projets phares, comme la gigafactory de Gotion High-Tech à Kénitra ou la présence active dans le port de Tanger Med, renforcent cette dynamique. Fait éloquent : lors du dernier Forum sino-africain (FOCAC 2024), la RASD n’a pas été conviée. Pour les auteurs, c’est «un refus implicite de reconnaître le Polisario comme représentant légitime du Sahara».

Moscou : du tropisme algérien à un équilibre fragile

La Russie, elle, est restée longtemps alignée sur les positions algériennes. Mais depuis la Déclaration de partenariat stratégique avec le Maroc en mars 2016, à l’occasion de la visite historique de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à Moscou, elle ajuste sa posture. Le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, l’avait ainsi affirmé : «Aucune solution ne peut être imposée à l’une des parties». De ce fait, Moscou appelle à un compromis mutuel sous l’égide de l’ONU.

Mais dans les faits, la Russie s’abstient systématiquement lors des votes sur la Minurso, la mission de paix onusienne, facilitant leur adoption tout en exprimant ses réserves. Un changement relevé : «Moscou choisit l’abstention plutôt qu’un veto», ce qui «traduit une volonté de ne pas contrarier ses nouveaux partenariats», en particulier avec Rabat. Autre indicateur à retenir : la Russie a signé un accord de pêche avec le Maroc incluant les eaux du Sahara marocain. Ni l’Algérie ni le Polisario n’ont protesté. Une première.

Une convergence pragmatique autour du plan marocain

Pour les auteurs, le plan d’autonomie marocain incarne une solution qui «parle» à la Chine comme à la Russie. Pourquoi ? Parce qu’il s’appuie sur trois piliers que ces deux pays défendent dans leur diplomatie globale, à savoir la non-ingérence, le respect de la souveraineté et la stabilité régionale. «La Chine voit dans le maintien des frontières héritées et dans la non-création de nouveaux États une garantie de stabilité», expliquent Rida Lyammouri et Fadoua Ammari. Une logique liée à ses propres vulnérabilités internes (Tibet, Xinjiang, Taïwan). Quant à Moscou, elle perçoit le Maroc comme un «partenaire stable et influent en Afrique», notamment utile pour diversifier ses leviers d'influence au Sahel.

Transformer l'élan discret en posture claire

En tout état de cause, le Maroc bénéficie d’une dynamique favorable, mais encore informelle. Le rapport invite Chine et Russie à rejoindre «la dynamique positive enclenchée par d'autres membres permanents du Conseil de sécurité», tels que les États-Unis, la France ou l’Espagne. L’enjeu est de taille : faire du consensus discret un levier de stabilité dans tout le Maghreb et au-delà. Le Sahara marocain devient, dans cette lecture, non plus un écueil diplomatique, mais un pont potentiel entre puissances. «Une telle évolution garantirait la sécurité des investissements, renforcerait l’ancrage diplomatique au Maghreb et offrirait une opportunité concrète de promotion des principes directeurs», note le rapport. Cela dit, la diplomatie du silence pourrait-elle se transformer en engagement explicite ? La question reste ouverte. Mais le nouveau «Grand Jeu», lui, est déjà en plein déroulement.
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