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Sahara marocain : trois signaux forts qui confirment un possible basculement diplomatique

Entre l’ouverture inédite de la Russie au plan d’autonomie marocain, la médiation américaine annoncée entre Rabat et Alger et la fuite d’un projet de résolution onusienne confirmant la primauté de la solution marocaine, jamais le dossier du Sahara marocain n’avait semblé si proche d’un tournant historique. Décryptage de ces trois signaux forts avec Yassine El Yattioui, enseignant-chercheur à l’Université Lumière Lyon 2 et secrétaire général et chercheur associé à NejMaroc : Centre marocain de recherche sur la globalisation.

21 Octobre 2025 À 18:18

À quelques jours de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies consacrée au Sahara, le dossier connaît une accélération inédite. Trois développements récents, à savoir la déclaration du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, la sortie de l’envoyé spécial américain Steve Witkoff et la fuite d’un projet de résolution onusienne, témoignent d’un tournant stratégique. Pour le Maroc, ils consacrent la reconnaissance croissante du plan d’autonomie comme unique base réaliste de règlement. Selon l’analyste Yassine El Yattioui, enseignant-chercheur à l’Université Lumière Lyon 2, «le monde ne se demande plus s’il faut reconnaître la marocanité du Sahara, mais comment organiser l’autonomie dans le cadre de cette reconnaissance».

Une recomposition géopolitique favorable au Maroc

Depuis près d’un demi-siècle, le dossier du Sahara a cristallisé les tensions régionales et figé le Maghreb dans une rivalité stérile. Mais la diplomatie marocaine, patiente et méthodique, semble aujourd’hui récolter les fruits d’un long travail de conviction. «La déclaration du ministre russe Sergueï Lavrov, affirmant que Moscou était disposé à soutenir le plan d’autonomie marocain à condition qu’il soit accepté par toutes les parties, revêt une importance géopolitique et diplomatique majeure», souligne M. El Yattioui. Pour ce chercheur, cette position traduit «une évolution perceptible dans la posture de la Fédération de Russie», qui, tout en ménageant Alger, reconnaît implicitement la crédibilité du plan d’autonomie marocain, présenté en 2007 sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.



Conçu dans «une logique de compromis, de réalisme et de légitimité», ce plan garantit une large autonomie aux populations du Sahara tout en préservant l’intégrité territoriale du Royaume. Depuis, rappelle-t-il, cette proposition a reçu le soutien d’une majorité de puissances mondiales, de Washington à Berlin, en passant par Madrid et Londres, et d’une trentaine de pays africains et arabes qui ont ouvert des consulats à Laâyoune et Dakhla.

La position russe s’inscrit dans un contexte international mouvant où Moscou, affaiblie par son isolement occidental, cherche à renforcer son influence sur le continent africain. «En affichant une ouverture envers la proposition marocaine, la Russie envoie un signal de pragmatisme diplomatique et d’équilibre», analyse M. El Yattioui. Cette évolution ne constitue pas une rupture frontale avec Alger, partenaire militaire historique de Moscou, mais traduit «une finesse diplomatique» visant à adapter la politique russe aux réalités régionales, tout en reconnaissant le rôle du Maroc comme puissance d’équilibre.

Pour Rabat, ce glissement représente une avancée majeure. «Il s’agit d’une reconnaissance, même implicite, du sérieux du plan d’autonomie comme cadre de solution», estime le politologue. Dans un monde multipolaire où les alliances se redessinent, le Maroc apparaît de plus en plus comme un acteur fiable, capable de dialoguer aussi bien avec Washington et Bruxelles qu’avec Pékin ou Moscou.

Washington confirme sa ligne : de la reconnaissance à la médiation

Deuxième signal fort : l’entrée en scène des États-Unis par la voix de Steve Witkoff, envoyé spécial du Président américain pour le Moyen-Orient. Dans une interview à l’émission «60 Minutes» sur CBS News, M. Witkoff a révélé que son équipe «travaille sur un accord de paix entre le Maroc et l’Algérie». Une annonce inattendue, mais lourde de sens. Pour M. El Yattioui, cette initiative «confère un poids particulier au dossier», car elle s’inscrit dans la continuité d’une politique américaine déjà bien établie. Depuis la reconnaissance, en décembre 2020, de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, les États-Unis ont constamment soutenu le plan d’autonomie. La sortie de Steve Witkoff ne fait donc que confirmer cette orientation, tout en introduisant une nouvelle dimension : celle de la médiation régionale.

«L’initiative américaine reflète la reconnaissance du rôle central du Maroc dans la stabilité régionale et traduit la volonté de Washington d’encourager une dynamique de désescalade en Afrique du Nord», explique-t-il. Cette démarche s’aligne sur les priorités américaines : stabiliser la rive sud de la Méditerranée, contenir l’influence russe et chinoise et sécuriser les flux énergétiques vers l’Europe. Dans cette stratégie, le Maroc s’impose comme un partenaire clé : un État stable, doté d’institutions solides et d’une diplomatie équilibrée.

«Le Maroc, grâce à sa stabilité et à sa vision Royale tournée vers le développement humain, incarne aujourd’hui un modèle de responsabilité dans une région marquée par les tensions», poursuit M. El Yattioui. Les États-Unis voient également dans une détente entre Rabat et Alger une opportunité de relancer l’intégration régionale. Une paix durable ouvrirait la voie à de vastes projets économiques : corridors énergétiques, marchés communs, coopération transfrontalière. «Dans cette perspective, le Maroc apparaît comme le moteur naturel de la dynamique», analyse-t-il. À l’inverse, l’Algérie, «affaiblie par un système politique figé et une économie dépendante des hydrocarbures», peine à proposer une vision constructive. La diplomatie américaine, pragmatique, cherche donc à capitaliser sur la constance marocaine.

Cette initiative confirme aussi la pertinence de la démarche Royale : «Le Souverain a toujours prôné le dialogue, la coopération et le respect de la souveraineté des États. Les appels constants de S.M. le Roi Mohammed VI à l’Algérie pour un dialogue franc et direct en témoignent», relève M. El Yattioui. En soutenant cette approche, insiste-t-il, Washington valide une vision fondée sur la paix et la stabilité plutôt que sur la confrontation.

Le projet de résolution de l’ONU : la consécration du réalisme

Le troisième développement, peut-être le plus décisif, concerne la fuite d’un projet de résolution onusienne – non encore authentifié – portant sur le Sahara. Selon les éléments disponibles, le texte proposerait d’ouvrir des négociations entre le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et le polisario, mais «exclusivement dans le cadre du plan d’autonomie marocain».

Pour M. El Yattioui, si cette version se confirmait, «elle consacrerait un basculement profond : la communauté internationale passerait d’une logique de gestion du conflit à une dynamique de mise en œuvre de la solution marocaine». L’un des aspects les plus frappants du texte résiderait dans la réduction du mandat de la Minurso à trois mois, jusqu’au 31 janvier 2026. Une durée inédite depuis la création de la mission en 1991. Ce raccourcissement traduit, selon le chercheur, «la volonté claire du Conseil de sécurité d’en finir avec un statu quo devenu obsolète».

L’ONU, si ce draft est validé, reconnaîtrait ainsi la primauté du plan d’autonomie comme seule base crédible de règlement, rompant avec les illusions anciennes d’un référendum irréalisable. Ce tournant souhaité s’inscrit dans la continuité de la diplomatie marocaine, caractérisée par sa constance et sa modération. «Le plan d’autonomie n’est pas une simple offre politique», insiste M. El Yattioui, «mais une architecture institutionnelle élaborée, offrant aux populations sahariennes des garanties de gouvernance locale et de participation effective au développement national».

En ce sens, la résolution présumée serait l’aboutissement d’un travail de fond mené depuis près de deux décennies. Le projet irait plus loin encore en instaurant un mécanisme de suivi renforcé, demandant au Secrétaire général de l’ONU des rapports réguliers dès six semaines après le vote. Cette cadence resserrée trahirait «la volonté d’instaurer un contrôle rapproché sur les avancées politiques» et de pousser vers un règlement concret. «L’ONU ne souhaite plus prolonger indéfiniment un statu quo sans issue. Elle acte, de fait, l’efficacité de la diplomatie marocaine, fondée sur la persuasion, la légitimité et la constance», observe l’universitaire.

Une victoire diplomatique mûrie

Au-delà de l’actualité immédiate, les trois signaux, russe, américain et onusien, traduisent la montée en puissance d’un Maroc sûr de sa légitimité et confiant dans sa diplomatie. Le Royaume a su transformer la constance en stratégie et la stratégie en victoire. «C’est la transition d’une bataille diplomatique vers une architecture de paix», se réjouit Yassine El Yattioui. En effet, ce basculement marque une rupture dans l’histoire du dossier. Longtemps, Rabat a dû défendre la légitimité de sa position. Aujourd’hui, c’est le plan d’autonomie qui s’impose comme norme de référence. «Le Maroc voit sa position élevée au rang de référence normative», explique l’expert. «C’est un basculement rare dans les relations internationales : un différend régional transformé en modèle de résolution conforme au droit international et aux impératifs de stabilité», ajoute-t-il.

Cette évolution confirme la doctrine marocaine : diplomatie du temps long, refus de la surenchère, diversification des partenariats. «Le Royaume a toujours privilégié la patience, la cohérence et la confiance de ses alliés», rappelle-t-il. Ce cap constant, soutenu par la vision Royale, a permis au Maroc d’atteindre un «point d’inflexion» historique : celui où sa souveraineté sur le Sahara n’est plus un sujet de débat, mais une réalité en voie de consolidation.

Le Royaume récolte aussi les fruits de sa stratégie africaine : l’ouverture de plus de trente consulats à Laâyoune et Dakhla illustre la densité de son réseau diplomatique et la force de son ancrage continental. Trois membres permanents du Conseil de sécurité (les États-Unis, la France et, plus récemment, le Royaume-Uni) appuient désormais la marocanité du Sahara. Pour Yassine El Yattioui, cette conjonction d’appuis «consacre le Maroc comme acteur incontournable, porteur d’une vision de développement, de paix et de coopération Sud-Sud». Elle témoigne aussi d’un changement de paradigme : la communauté internationale ne discute plus du cadre, mais des modalités d’application du plan marocain, conclut-il.
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