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Transport aérien arabe : reprise confirmée, marges solides mais menaces sur la durabilité

À l’occasion de la 58ᵉ Assemblée générale de l’Association des compagnies aériennes arabes, son secrétaire général, Abdul Wahab Teffaha, a livré une analyse lucide du secteur : une industrie redevenue prospère après la crise, mais désormais freinée par la complexité des normes environnementales et des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les détails.

04 Novembre 2025 À 17:20

Après avoir surmonté le choc de la pandémie, les compagnies aériennes arabes affichent des résultats supérieurs à ceux de 2019 et une marge d’exploitation deux fois plus élevée que la moyenne mondiale. Mais le secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes arabes (AACO), Abdul Wahab Teffaha, alerte : la durabilité environnementale, les coûts du carburant et les politiques européennes risquent de peser lourdement sur la rentabilité du secteur.

Le transport aérien mondial a retrouvé en 2023 et 2024 son niveau d’activité d’avant-crise. «Après le grand choc qu’elle a subi entre 2020 et 2022, l’industrie a dépassé le niveau de 2019», a rappelé Abdul Wahab Teffaha, en ouverture des sessions de la 58ᵉ Assemblée générale de l’AACO, qui s’est tenue le 4 novembre 2025 à Rabat. Selon les données présentées, le taux d’efficacité de l’industrie aérienne mondiale atteindra 83,9% en 2025, contre 83,5% en 2004, illustrant la robustesse du redressement.

Les compagnies arabes, elles, devraient enregistrer une croissance de 2,3% du trafic passagers-kilomètres en 2025, confirmant leur rôle moteur dans la reprise régionale. En 2024, la marge d’exploitation mondiale entre revenus et coûts opérationnels a atteint 6,4%, avec une projection à 6,7% en 2025. «Les compagnies arabes ont fait mieux : 12,2% en 2024, et devraient encore réaliser 11,2% en 2025», a souligné M. Teffaha. Un différentiel qui traduit, selon lui, la compétitivité structurelle et la discipline financière du secteur dans la région.

Pression croissante sur les chaînes d’approvisionnement

Malgré ces indicateurs positifs, le secrétaire général a averti que le premier défi direct aujourd’hui pour les compagnies aériennes est celui des chaînes d’approvisionnement.

En 2024, quelque 1.611 avions ont été commandés par les compagnies, mais seuls 1.422 ont été livrés, soit un déficit d’environ 12%.

Résultat : le taux de remplacement des appareils a chuté, les retraits du service représentant 40,6% des livraisons, contre 44,4% en 2019.

Cette situation «entraîne un vieillissement de la flotte, une consommation de carburant accrue et donc un impact environnemental plus fort», a expliqué M. Teffaha, évoquant aussi les tensions géopolitiques et les perturbations logistiques qui accentuent la pression sur le fret aérien.

L’enjeu stratégique de la durabilité environnementale

Mais au-delà des défis opérationnels, c’est la question de la durabilité environnementale qui préoccupe désormais les compagnies arabes.

Rappelant la décision de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) de 2010 sur la neutralité carbone, M. Teffaha a retracé l’évolution du cadre mondial menant à l’accord CORSIA, adopté en 2016, visant une croissance neutre en carbone à partir de 2020.

Or, le bilan à mi-parcours reste préoccupant. «Malgré les progrès technologiques, les efforts des constructeurs ne permettront pas à court terme une réduction radicale de l’empreinte environnementale», a-t-il estimé.

De plus, les retards dans la mise en œuvre du Ciel unique européen (SESAR) privent le secteur d’une baisse immédiate estimée à 10% des émissions.

Le casse-tête du carburant durable

Sur le carburant d’aviation durable (SAF), l’écart se creuse entre les modèles américain et européen. «Les États-Unis ont choisi la voie de l’incitation et disposent déjà d’une production suffisante», a expliqué M. Teffaha, précisant que l’Union européenne, en revanche, a opté pour des quotas et des pénalités, ce qui a freiné la production. Ainsi, seuls 60% des besoins du marché européen seront couverts en 2025.

Cette situation pourrait se compliquer davantage d’ici 2030, lorsque l’obligation d’incorporation passera de 2% à 6%.

À la fin de 2025, selon les projections du programme CORSIA, l’industrie devra compenser 121,4 millions de tonnes de carbone, alors que seulement 18,4 millions de tonnes de certificats validés sont actuellement disponibles.

«Les compagnies devront donc se tourner vers les carburants durables pour combler un déficit de 103 millions de tonnes de CO₂», a signalé M. Teffaha, estimant les besoins à 38,4 millions de tonnes de SAF ayant une réduction carbone d’au moins 85%. Or, le volume disponible aujourd’hui selon les normes CORSIA ne dépasse pas 182.000 tonnes.

Coûts environnementaux en forte hausse

La différence de coût est abyssale : 950 dollars pour éliminer une tonne de CO₂ via le SAF, contre 25 dollars via les certificats de compensation. Et les normes divergentes entre l’Union européenne et l’OACI aggravent la facture.

«Les compagnies opérant des vols au départ de l’Union européenne devront payer deux fois pour la même réduction d’émissions», a dénoncé M. Teffaha.

Il a donné un exemple concret : «Les compagnies arabes paieront cette année environ 182.000 tonnes de SAF pour leurs vols européens, obtenant des certificats équivalant à 490.000 tonnes de CO₂, mais non reconnus par CORSIA. Elles devront donc acheter de nouveaux crédits, pour un coût supplémentaire estimé entre 112 et 465 millions de dollars».

Selon l’AACO, ces contraintes devraient faire augmenter les coûts globaux de l’industrie de 8,8% d’ici 2030 et de 12,9% d’ici 2035, avec un impact direct sur la croissance, l’emploi et la contribution du secteur au PIB.

Des appels à la cohérence et au partenariat

Le secrétaire général a dénoncé la multiplication des initiatives unilatérales et régionales, contraires à l’esprit de coordination défendu par l’OACI.

«CORSIA devait être le seul cadre mondial pour gérer l’impact environnemental du transport aérien. Or, certains gouvernements ont choisi d’imposer leurs propres taxes ou programmes, souvent irréalistes», a-t-il regretté.

Pour lui, l’avenir dépendra d’un partage équitable des responsabilités entre États, constructeurs, énergéticiens et compagnies. «Les compagnies arabes sont pleinement engagées à réduire leur empreinte carbone. Ce que nous demandons, c’est que les gouvernements fassent aussi leur part», plaide-t-il.

Transformation numérique et montée en compétence

Sous mandat de son comité exécutif, l’AACO a par ailleurs engagé plusieurs initiatives pour accompagner ses membres :

• Adoption du programme ECO-EON avec la société SITA, pour optimiser les opérations aériennes et réduire les coûts environnementaux.

• Développement de solutions numériques pour la gestion des vols et l’interaction avec les passagers.

• Création d’un groupe de travail sur la transformation digitale, visant la dématérialisation complète des processus, de la réservation à l’embarquement.

M. Teffaha a réaffirmé la volonté de l’AACO de «rester la voix collective des compagnies arabes», en collaboration étroite avec l’Organisation arabe de l’aviation civile et l’OACI.

En clôturant son intervention, Abdul Wahab Teffaha a rappelé le rôle vital du secteur aérien : «Le voyage et le tourisme représentent 10% du PIB mondial et 10,6% des emplois, alors que leur impact environnemental ne dépasse pas 3% des émissions de carbone».

Le message est clair : pour l’AACO, la croissance durable du transport aérien passe par une régulation équilibrée et un engagement collectif à la hauteur des enjeux.
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