Addiction aux jeux en ligne et achats intégrés : entre risques numériques et tensions familiales

L’addiction aux jeux en ligne touche un nombre croissant d’enfants, captant leur attention et leur temps libre de manière préoccupante. Même plusieurs semaines après la reprise des cours, certains restent prisonniers de leurs écrans, où ces jeux exercent une attraction quasi irrépressible, au grand désarroi de leurs familles. Les spécialistes tirent la sonnette d’alarme et appellent à une vigilance accrue pour protéger les enfants d’une pratique qui, si elle n’est pas encadrée, peut largement dépasser le simple cadre du loisir.

«Bien que les jeux vidéo en ligne puissent favoriser le développement cognitif et social des enfants, ils les exposent néanmoins à plusieurs dangers spécifiques en matière de sécurité numérique. L’espace des jeux en ligne constitue un terrain propice pour les cybercriminels, qui ciblent les enfants et usurpent souvent l’identité de jeunes afin d’établir des relations de confiance menant à l’exploitation sexuelle, au grooming, voire au recrutement dans des réseaux criminels», explique le Pʳ Youssef Bentaleb, président du Centre marocain de recherches polytechniques et d’innovation (CMRPI) et directeur de l’Espace Maroc Cyberconfiance.

Le spécialiste insiste également sur d’autres formes de menaces : «D’autres pratiques incluent la cyberextorsion, le chantage ou encore le cyberharcèlement, qui affectent l’estime de soi et la sécurité psychologique des enfants. L’usage excessif des jeux en ligne peut aussi entraîner une addiction aux conséquences multiples : anxiété, isolement social, troubles du sommeil, sédentarité... Les enfants peuvent également être exposés à des contenus inappropriés, violents ou à caractère sexuel, ainsi qu’à des publicités malveillantes.»

Pour le Pʳ Bentaleb, ces différents risques soulignent la nécessité d’une vigilance renforcée et d’une sensibilisation accrue des enfants, parents et éducateurs. Il attire aussi l’attention sur la question des données personnelles, un enjeu crucial de la sécurité numérique.

«Directement ou par le biais de cookies, les plateformes de jeux en ligne collectent et analysent massivement les données personnelles des enfants, ce qui constitue une menace majeure. Souvent naïfs et peu conscients des dangers, les enfants partagent sans précaution des informations sensibles – nom, prénom, adresse, photos, géolocalisation, habitudes – avec des inconnus. Cela les expose à l’usurpation d’identité, au piratage de comptes et à diverses formes de cybercriminalité», alerte le spécialiste.

Il ajoute : «Les algorithmes d’intelligence artificielle (IA) intégrés à ces plateformes exploitent ces données à des fins initialement commerciales, créant des profils détaillés des habitudes et comportements des jeunes joueurs. Cela soulève des risques de manipulation ciblée et d’atteinte à la vie privée. Ces données laissent des traces numériques qui peuvent être exploitées par des cybercriminels utilisant l’ingénierie sociale pour manipuler les enfants».

Le Pʳ Bentaleb aborde également un autre point critique : les achats intégrés dans les jeux. Ces microtransactions, souvent présentées comme anodines, deviennent un piège pour les enfants dépendants. «L’addiction qu’ils développent les pousse à effectuer des achats impulsifs et répétés, sans mesurer les conséquences financières. Cela peut créer des tensions familiales et exposer les enfants à des fraudes ou des piratages bancaires.» Et d’ajouter : «Ces jeux étant des services en ligne payants, les enfants, souvent dépendants des cartes bancaires de leurs parents, peuvent être tentés de les utiliser, avec ou sans autorisation, pour obtenir des contenus payants».

Le spécialiste détaille les techniques marketing déployées pour inciter à la dépense, tirant parti de la dépendance des jeunes joueurs. «Le marché mondial des jeux en ligne, estimé à près de 187 milliards de dollars en 2024, dépasse le PIB de certains pays comme le Maroc. Les enfants en sont le maillon faible. Pour stimuler les dépenses, de nombreux jeux utilisent des stratégies sophistiquées : personnalisation poussée grâce à l’IA, systèmes de récompenses aléatoires (Loot boxes) similaires à des jeux de hasard, blocages artificiels incitant à payer pour progresser, microtransactions répétées, offres limitées dans le temps, ou encore enregistrement des cartes bancaires facilitant les achats impulsifs».

Pour sécuriser l’usage des jeux en ligne, le Pʳ Bentaleb propose des mesures concrètes : «Les parents doivent éviter de déléguer les paiements en ligne à leurs enfants et s’assurer qu’ils sont effectués en leur présence. Il est aussi recommandé de ne pas enregistrer les cartes bancaires sur les appareils des enfants, d’utiliser des cartes prépayées ou des portefeuilles numériques à plafond limité, et d’activer les contrôles parentaux ou mots de passe pour chaque transaction».

Enfin, il préconise d’initier les enfants à reconnaître les plateformes fiables pour éviter fraudes et phishing. Il insiste aussi sur la nécessité de surveiller certains signes de dérive : temps de jeu excessif, recherche compulsive de contenus payants, contournement des règles, changements d’humeur liés au jeu, ou encore partage imprudent de données sensibles. «Une vigilance régulière, alliée à un dialogue ouvert et à une sensibilisation adaptée à l’âge, demeure le meilleur rempart contre les risques psychologiques et financiers liés aux jeux en ligne», conclut-il.