Hajjar El Haïti
25 Novembre 2024
À 16:57
Le Matin : L'Association démocratique des femmes du Maroc organise les journées portes ouvertes «Zéro tolérance à la violence contre les femmes» dans le cadre de la campagne mondiale de l'ONU des 16 Jours d'activisme contre les violences faites aux femmes. Quels sont les principaux objectifs de ces journées ?Amina Lotfi : L’objectif des journées portes ouvertes de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) est d’informer et sensibiliser à travers nos actions sur l'impact des lois discriminatoires sur et les femmes en particulier et sur la société en général et sur l’importance d’activer les réformes nécessaires pour lutter contre les violences et discriminations à l’égard des femmes.
Ces journées seront un espace d’échange et de dialogue entre les membres de l’association et les participant(e)s autour des questions liées aux violences faites aux femmes. Elles comprendront des présentations, des tables rondes, des discussions avec les jeunes, des ateliers artistiques, ainsi que le partage des publications de l’association.
Pensez-vous que la société marocaine est aujourd’hui plus sensibilisée à la question des violences faites aux femmes ?Pour pouvoir dire si la société est plus sensibilisée, il faut des indicateurs qui permettraient de procéder à cette évaluation. Or, à ce jour, bien que notre pays ait adopté très tôt une stratégie de lutte contre la violence, que notre Constitution défende fermement l’élimination de toutes formes de violence et de discrimination, et que nous disposions depuis 2018 d’une loi visant à lutter contre les violences faites aux femmes, bien qu’elle soit incomplète, force est de constater que ces efforts demeurent insuffisants. La violence persiste dans tous les espaces, qu’ils soient privés, publics ou virtuels. D’ailleurs, les statiques du Haut-Commissariat au Plan (HCP) sont inquiétantes et nous indiquent qu’il n’y a pas d’évolution et de diminution notable des statistiques. Les derniers événements également sont parlants tels que l’attaque de la jeune fille en pleine rue à Tanger par 3 individus, l’atteinte à la dignité des femmes marocaines, l’appel à la violence à leur égard par un YouTubeur...
Pensez-vous que les campagnes comme celle des 16 Jours d’activisme ont un impact durable sur les mentalités ?Les 16 Jours d'activisme contre la violence faite aux femmes ont le mérite de rappeler annuellement aux responsables leurs obligations et de sensibiliser et informer la population que la violence faite aux femmes a des effets multidimensionnels sur les victimes, leur famille, la société et l’économie dans son ensemble. Disons que les 16 Jours d'activisme sont des rappels ponctuels pour la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel ainsi que des mécanismes de recours pour protéger toutes les femmes contre tous les types de violence.
Pour avoir un impact réel et effectif sur les mentalités, il faut mettre en place une politique globale avec des mesures qui ciblent tous les canaux de transmission des préjugés et stéréotypes sexistes et qui promeuvent la culture de l’égalité et de la non-discrimination à travers tous les canaux éducatifs et médiatiques et toutes les institutions de socialisation.
Quels sont, selon vous, les principaux freins à l’éradication des violences faites aux femmes dans notre pays ?
Il y a de nombreux freins. Il s’agit notamment des normes sociales et culturelles conservatrices qui sont basées sur conceptions patriarcales et sexistes qui confèrent une légitimation à la violence afin d’assurer la domination et la supériorité des hommes. À titre d’exemple, le principe de la «Kiwama» qui place la famille sous l’autorité masculine.
Aussi, les lois discriminatoires qui ne protègent pas les femmes contre tous les types de violence et de discriminations et/ou qui encouragent l’impunité notamment : Le Code de la famille de 2004 comporte de nombreuses discriminations et nous espérons que le nouveau soit élaboré sur la base de l’égalité et l’intérêt supérieur de l’enfant. Le Code pénal qui date de 1962. Sa philosophie patriarcale et ses dispositions discriminatoires à l’égard des femmes ne permettent pas d’assurer une protection effective des femmes. La Loi 103-13 de lutte contre la violence à l’égard des femmes, qui s’est contentée de réviser certains articles de la législation pénale sans mesure de protection réelle des femmes. À titre d’exemple si la victime retire sa plainte, l’agresseur ne fait plus l’objet de poursuite. Une femme victime de viol doit prouver son non-consentement, sinon elle est poursuivie au regard de l’Article 490 du Code pénal, pour relation sexuelle hors mariage...
Il y a également des faiblesses du système judiciaire qui fait face à des défis importants dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Les poursuites peuvent être lentes, inégales et parfois marquées par des pratiques discriminatoires. Certaines victimes rencontrent des difficultés pour obtenir des preuves suffisantes ou pour surmonter la réticence de certaines autorités judiciaires à traiter ces cas de manière rigoureuse. La lenteur du système judiciaire décourage les victimes de porter plainte ce qui banalise et perpétue la violence.
Enfin, le manque de ressources économiques, qui rend les femmes particulièrement vulnérables à la violence, s’ajoute à une insuffisance de sensibilisation et de formation sur les droits des femmes au sein de la population. Cette carence touche également les juges et les forces de l’ordre, qui, dans leur grande majorité, ne disposent pas des outils nécessaires pour identifier et traiter efficacement les cas de violence faite aux femmes.
Les dispositifs d’accompagnement des victimes disponibles actuellement (centres d’accueil, lignes d’écoute, etc.) sont-ils suffisants ? Quels sont les besoins prioritaires à ce niveau ?
C’est principalement les ONG qui ont mis en place les dispositifs d’accompagnement des victimes aussi bien en termes de services d’orientation juridique, d’aide psychologique et de soutien matériel. Mais les associations ont du mal à répondre à la demande croissante en raison de ressources limitées. Les dispositifs d’accompagner restent insuffisants. Pour répondre à l’ampleur du problème, ils doivent relever de l’État pour parer au manque de ressources financières, à l’inégalité géographique de l’accès aux services, ainsi que la formation insuffisante des professionnels qui constituent des freins majeurs à un accompagnement efficace. Les priorités pour améliorer cette situation sont : l’institutionnalisation de ces dispositifs, l’extension géographique des services, la formation spécialisée des intervenants, l’accès à l’aide juridique, et un soutien psychologique renforcé.
Selon vous, comment la réforme du Code de la famille pourrait-elle contribuer à lutter contre les violences faites aux femmes ?
Au regard de l’impact négatif de l’application du Code de 2004, sur la vie des femmes et des enfants, le nouveau code de la famille peut contribuer à lutter contre les violences faites aux femmes. Pour ce faire, le nouveau code de la famille doit être épuré de toutes les dispositions discriminatoires, notamment celles relatives à la polygamie, au divorce, à la tutelle, au partage des biens et au système successoral. Toutes les dispositions de la juridiction de la famille doivent garantir l’égalité, l’équité, la justice sociale et faciliter l’accès des femmes à leurs droits.
Enfin, quels sont vos espoirs pour l’évolution des droits des femmes au Maroc dans les années à venir ?
L’éradication des violences faites aux femmes au Maroc à travers une approche globale qui inclut non seulement des réformes législatives, judiciaires, institutionnelles et des mécanismes de recours pour une bonne prise en charge des victimes, mais également une évolution des mentalités à travers l’éducation et la sensibilisation.