Nabila Bakkass
28 Décembre 2025
À 16:32
Plusieurs
médecins exerçant dans les
services d’urgences constatent une augmentation des consultations pour des symptômes physiques persistants. Ces plaintes prennent des formes diverses, allant des
douleurs musculaires chroniques aux
céphalées ou
migraines, en passant par les
douleurs thoraciques, les
troubles digestifs, la
fatigue inexpliquée ou encore les
palpitations.
Pourtant, face à cette symptomatologie souvent impressionnante, les bilans médicaux réalisés — parfois à plusieurs reprises — ne révèlent aucune cause organique identifiable. Dès lors, un paradoxe s’installe : la douleur est bien réelle, mais les examens demeurent normaux. Ce décalage entre l’intensité des plaintes exprimées et l’absence d’anomalies biologiques ou radiologiques ne fait qu’accentuer l’inquiétude des patients, souvent en quête d’une explication tangible à leur souffrance. C’est précisément dans ce contexte que le regard des praticiens évolue progressivement, les orientant vers une réalité encore largement méconnue du grand public : la
psychosomatisation. Selon les médecins interrogés, ce phénomène concernerait aujourd’hui un nombre croissant de patients jeunes, marquant une évolution par rapport aux années précédentes. Si aucune donnée statistique officielle ne permet, à ce stade, d’en mesurer précisément l’ampleur, les observations cliniques recueillies sur le terrain convergent néanmoins vers le même constat.
De quoi s’agit-il exactement ?«La psychosomatisation désigne l’expression corporelle d’une souffrance psychique, qu’il s’agisse du
stress, de l’
anxiété, de la
dépression, du
burnout ou du
surmenage chronique», explique le
Dr Hamza Hajbaoui, médecin urgentiste. En d’autres termes, ajoute-t-il, lorsque l’équilibre psychique est fragilisé de manière prolongée, le corps peut devenir le principal vecteur d’expression de ce mal-être. Les manifestations cliniques varient d’un patient à l’autre. «Elles incluent généralement des douleurs musculaires ou localisées, des céphalées chroniques, des palpitations, des
vertiges ou encore des
troubles du sommeil», précise le spécialiste. Le Dr Hajbaoui tient toutefois à lever une confusion fréquente : «Les patients ne simulent pas. Ils souffrent réellement et la douleur est authentique. Simplement, son origine est fonctionnelle et non organique».
Des facteurs multiples et aggravants
Comment expliquer l’augmentation des cas observée ces derniers mois ? Pour le médecin urgentiste, cette évolution s’inscrit dans un contexte global marqué par plusieurs facteurs aggravants :
- D’abord, le contexte socioprofessionnel actuel : ce facteur joue un rôle déterminant. Les exigences professionnelles accrues, les difficultés économiques persistantes et la pression sociale constante contribuent à une montée généralisée du stress, de l’anxiété et du burnout.
- Ensuite, l’impact de la
période hivernale, qui fragilise davantage les équilibres psychiques. La diminution de l’ensoleillement, la baisse de la
vitamine D et la perturbation des rythmes biologiques favorisent les
troubles de l’humeur, notamment la
dépression saisonnière, susceptible d’amplifier les mécanismes de somatisation.
- Enfin, l’usage excessif des réseaux sociaux : Il apparaît comme un facteur de plus en plus présent dans la pratique clinique, en particulier chez les jeunes. Cette
hyperconnexion permanente perturbe les mécanismes de
neuroplasticité et la régulation des neurotransmetteurs impliqués dans l’humeur et le
bien-être, comme la
dopamine et la
sérotonine. Maintenu dans un état de stimulation continue, le cerveau dispose de moins de temps de récupération, ce qui le rend plus vulnérable à l’anxiété chronique, aux
troubles du sommeil et, à terme, à l’expression somatique du stress.
Un diagnostic d’élimination indispensable
Pour autant, évoquer une psychosomatisation ne se fait jamais à la légère. «Ce n’est qu’après un
bilan médical sérieux et cohérent que l’on peut envisager une origine psychique», insiste le Dr Hajbaoui. Un diagnostic d’élimination s’impose donc afin d’écarter toute cause organique potentiellement grave. Dans ce processus, le rôle du médecin est central. «Il s’agit à la fois de mener les investigations nécessaires et de rassurer le patient, sans jamais minimiser sa plainte», souligne-t-il. Et d’ajouter que lorsque les symptômes deviennent chroniques, récidivants ou qu’ils altèrent significativement la qualité de vie, une orientation vers un spécialiste en
santé mentale devient indispensable. De même, note Dr Hajbaoui, la répétition des consultations, l’échec des prises en charge purement somatiques, la présence de
troubles anxieux ou dépressifs, de troubles du sommeil persistants ou d’un épuisement psychique doivent alerter. «La prise en charge repose alors sur une approche globale, associant accompagnement psychologique, psychothérapie et, si nécessaire, traitement médicamenteux», précise le spécialiste.
Prévenir la psychosomatisation, un enjeu de santé publique
Face à l’ampleur du phénomène, la prévention apparaît aujourd’hui comme un levier essentiel. Selon le Dr Hajbaoui, elle repose sur des mesures simples mais fondamentales : une alimentation équilibrée, une activité physique régulière, un sommeil de qualité respectant un rythme biologique stable, ainsi qu’une utilisation raisonnée des réseaux sociaux. «Il est également crucial de limiter l’exposition continue aux informations anxiogènes et de préserver de véritables temps de déconnexion», insiste-t-il. Car, à long terme, prendre soin de sa santé mentale n’est plus une option, mais une nécessité. Lorsque l’esprit souffre durablement, le corps finit toujours par parler.