Société

Cancer : Au Maroc, les soins de support restent peu accessibles (Dre Myriam Nciri)

Souvent relégués au second plan face aux traitements médicaux, les soins de support s’imposent pourtant comme un maillon essentiel du parcours des personnes atteintes de cancer. L’étude menée par l’association Dar Zhor auprès de 164 bénéficiaires en apporte une preuve éclatante : 93% des patients déclarent une amélioration significative de leur bien-être global, une réduction de l’anxiété et une meilleure tolérance aux traitements. Plus de détails sur cette étude dans cet entretien avec la présidente de l’association de Dar Zhor, Dr Myriam Nciri.

04 Novembre 2025 À 17:15

Le Matin : Pourquoi avoir lancé cette étude, et quels en étaient les objectifs ?

Dr Myriam Nciri : Je tiens d’abord à rappeler que Dar Zhor est la première maison marocaine de soins de support non médicaux dédiée aux personnes atteintes de cancer et à leurs proches. Notre mission est à la fois simple et exigeante : améliorer la qualité de vie pendant et après les traitements grâce à un accompagnement psychologique, à l’activité physique adaptée, à la socio-esthétique, à la nutrition, à l’art-thérapie et à l’information/sensibilisation. Au quotidien, nous constations déjà l’utilité de ces soins dans la vie réelle des patients, et c’est dans ce même cadre que nous avons lancé cette étude. Nous sommes partis du principe qu’au-delà du vécu, il fallait apporter la preuve scientifique, ici, au Maroc. Des études existaient à l’étranger, mais peu de données locales validaient l’impact des soins de support dans nos conditions culturelles, sociales et organisationnelles.

Comment cette étude a-t-elle été menée ?

Pour bien mener cette étude, nous avons demandé à la sociologue Pr Wassila Benkirane de réaliser une évaluation indépendante de la situation au Maroc afin d’obtenir un travail rigoureux, contextualisé et irréprochable sur le plan méthodologique et éthique. Nous nous sommes basés sur une méthodologie à la fois quantitative et qualitative, avec une triangulation comprenant des questionnaires auprès des bénéficiaires, des entretiens semi-directifs (patients, proches aidants, intervenants, équipe) et une analyse de nos ressources de communication. Il convient de préciser que l’étude a obtenu l’approbation du comité d’éthique de la Faculté de médecine de Casablanca (N° 01/25), avec consentement éclairé, anonymisation et garanties de confidentialité. Nos objectifs étaient dès le début clairs :

• Mesurer l’impact des soins de support de Dar Zhor sur la qualité de vie (physique, psychologique, sociale).

• Identifier les profils de patients qui en tirent le plus de bénéfices et comprendre les mécanismes d’action (réduction du stress, regain de confiance, meilleure adhésion).

• Évaluer la satisfaction des patients et l’effet sur les proches aidants.

• Formuler des recommandations pour intégrer et pérenniser ces soins dans les pratiques et politiques publiques marocaines.

Quels sont les résultats les plus marquants ?

Cette étude a été menée auprès de 164 bénéficiaires de l’association Dar Zhor. Ses résultats rejoignent pleinement ceux observés dans les grands travaux internationaux et confirment que l’intégration des soins de support dans la prise en charge du cancer permet d’améliorer la tolérance aux traitements, renforce l’adhésion thérapeutique et, par conséquent, redonne espoir et dignité aux patients. En d’autres termes, cette étude démontre l’impact majeur des soins de support sur la santé mentale, la qualité de vie et le bien-être global des patients. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

• 93,3% des patients déclarent une amélioration significative de leur bien-être global après les soins de support, contre 71,4% qui rapportaient auparavant une détérioration de leur qualité de vie.

• 68% des patients témoignent d’une réduction marquée de l’anxiété et de la dépression, d’un regain de confiance et d’une meilleure

acceptation de la maladie.

• 73% constatent une amélioration du sommeil, de l’énergie et de la gestion de la douleur.• 97% se disent satisfaits ou très satisfaits du programme d’accompagnement.

À noter que les proches aidants témoignent eux aussi d’une réduction de la fatigue, d’une amélioration du moral et d’un meilleur équilibre émotionnel. Autant dire que ce type de soins ne relève plus du luxe ou du confort, mais constitue un pilier essentiel de la médecine moderne, indispensable pour accompagner les patients tout au long de leur parcours de vie et de soins.

Que disent ces conclusions de l’état des soins de support au Maroc ?

Les conclusions dressent un constat à la fois très encourageant et lucide. Elles démontrent, certes, l’importance des soins de support sur la qualité de vie des patients, mais elles mettent aussi en lumière les limites du système actuel.

Au Maroc, les soins de support restent peu prescrits, peu financés et inégalement accessibles. Ils ne figurent pas dans le panier de soins pris en charge par les assurances et dépendent largement des initiatives associatives et du bénévolat, alors qu’ils sont intégrés au Plan national de prévention et de contrôle du cancer 2020-2029. Cette étude démontre qu’il est urgent de leur donner une place institutionnelle et financière, au même titre que les traitements médicaux.

Enfin, et c’est un point essentiel, les soins de support ne représentent pas seulement un enjeu humain et sociétal, mais aussi un enjeu économique majeur. De nombreuses études internationales, notamment celles de l’AFSOS (troisième baromètre des soins oncologiques de support) et de l’Institut Raphaël dirigé par le Dr Alain Toledano, ont montré que leur intégration précoce dans le parcours du patient cancéreux permet de réduire les hospitalisations évitables, les passages aux urgences et la durée moyenne des séjours hospitaliers. Autrement dit, mieux accompagner, c’est aussi mieux soigner et plus efficacement. Ces données confirment que les soins de support participent à l’optimisation des coûts de santé, tout en améliorant la qualité de vie, l’observance thérapeutique et la réinsertion professionnelle des patients. Investir dans les soins de support, c’est investir dans une médecine plus humaine, plus performante et plus durable, où chaque dirham investi a un impact mesurable, à la fois sur la santé des personnes et sur la santé économique du système.

Quels sont, aujourd’hui, les plus grands défis auxquels font face les patients qui ont besoin de ce type d’accompagnement ?

Les résultats de l’étude montrent que les patients marocains font face à plusieurs obstacles majeurs pour accéder aux soins de support, malgré leur efficacité prouvée :

• Défi structurel et institutionnel : Il n’existe aucun cadre réglementaire ni mécanisme de financement permettant d’intégrer systématiquement ces soins dans le parcours de traitement du cancer. En l’absence de prise en charge par l’assurance maladie, les associations de patients comme Dar Zhor assument aujourd’hui un rôle essentiel, mais limité, faute de ressources suffisantes et de couverture nationale.

• Défi géographique et social : L’offre reste concentrée à Casablanca, alors que les besoins s’étendent à tout le pays. Les patients issus de zones rurales ou à faible revenu peinent à accéder à ces services, ce qui crée une profonde inégalité d’accès aux soins complémentaires.

• Défi de reconnaissance médicale et culturelle : Les soins de support restent encore perçus comme des «à-côtés» du traitement, alors qu’ils en sont une composante essentielle, notamment lorsque le patient doit se reconstruire physiquement et psychologiquement après des traitements lourds.

• Défi économique transversal : Le financement. Comme le souligne le rapport, il est beaucoup plus difficile pour une structure de santé associative de trouver des financements que pour des projets d’éducation ou d’entrepreneuriat. Pourtant, investir dans les soins de support, c’est investir dans la santé publique au sens large. Plusieurs études, notamment celles de l’AFSOS et de l’Institut Raphaël, ont montré qu’ils réduisent les hospitalisations évitables, les passages aux urgences et la durée moyenne de séjour à l’hôpital. En d’autres termes, mieux accompagner, c’est aussi mieux soigner et à moindre coût.

En résumé, les défis des patients relèvent autant de l’inégalité d’accès et du manque de moyens que d’un retard culturel et politique à reconnaître que les soins de support ne sont pas un luxe, mais une nécessité humaine, médicale et économique. Dar Zhor, pionnière dans ce domaine, plaide aujourd’hui pour une intégration nationale de ces soins, leur reconnaissance officielle et leur financement durable, afin que chaque patient au Maroc puisse, au-delà de survivre à la maladie, retrouver la qualité et la dignité de vie qu’il mérite.

Le Maroc a beaucoup investi dans les infrastructures sanitaires, mais où en est-on en matière d’accompagnement humain, psychologique et social ?

C’est sans doute là que se situe le grand paradoxe de notre système de santé. Le Maroc a considérablement renforcé ses capacités médicales et techniques – nouveaux hôpitaux, équipements performants, oncologues qualifiés –, mais l’accompagnement humain, psychologique et social reste encore le parent pauvre de la prise en charge du cancer.

Les politiques nationales ont, dans un premier temps, privilégié les volets diagnostic et thérapeutique, avant de commencer, plus récemment, à reconnaître l’importance de la qualité de vie comme objectif à part entière. Le Plan national de prévention et de contrôle du cancer 2020-2029 marque une avancée majeure en inscrivant noir sur blanc que le bien-être psychologique, social et physique doit faire partie intégrante du parcours de soins.

Mais sur le terrain, cette vision reste difficile à traduire dans les faits : il n’existe pas encore de cadre réglementaire ni de financement pérenne permettant de déployer les soins de support à l’échelle nationale. Ce sont donc les associations qui comblent aujourd’hui ces manques. En somme, si le Maroc a bâti des murs solides, il lui reste à construire des ponts humains : ceux de l’écoute, du soutien psychologique, de la réinsertion et de la dignité.

Quel rôle joue concrètement Dar Zhor dans la promotion et la mise en place des soins de support au Maroc ? Vos recommandations ?

Dar Zhor est aujourd’hui le premier modèle marocain de maison de soins de support dédiée aux personnes atteintes de cancer. Son rôle est clair : contribuer à une oncologie véritablement intégrative, où le soin ne se limite pas au traitement médical, mais englobe la dimension humaine, psychologique, sociale et existentielle du patient.Depuis sa création, Dar Zhor offre gratuitement des soins de support d’excellente qualité : consultations psychologiques, activité physique adaptée, art-thérapie, socio-esthétique, ateliers de nutrition, groupes de parole et accompagnement des proches aidants. Ce modèle, rigoureusement évalué et scientifiquement validé, a aujourd’hui démontré son impact réel sur la qualité de vie, la santé mentale et la résilience des patients.

À travers cette étude d’impact, Dar Zhor apporte la preuve marocaine qu’un accompagnement global et humain améliore non seulement le bien-être, mais aussi la tolérance aux traitements, l’adhésion thérapeutique et la réinsertion sociale. Il s’agit donc d’une innovation sociale et sanitaire qui complète les dispositifs médicaux existants et incarne une nouvelle manière d’envisager le cancer : soigner la personne dans toutes ses dimensions.

Pourtant, malgré ces résultats probants, Dar Zhor ne bénéficie d’aucun soutien institutionnel, ni de la part des communes, ni des ministères de tutelle, ni d’aucun mécanisme public de financement. Cette absence de reconnaissance limite notre capacité à essaimer ce modèle dans d’autres régions du Maroc, alors que les besoins sont immenses.C’est pourquoi nous lançons aujourd’hui un appel à la mobilisation collective : il est temps que les institutions publiques, les entreprises, les fondations et les collectivités locales s’engagent à nos côtés pour ouvrir d’autres maisons de soins de support à travers le pays. L’enjeu dépasse largement Dar Zhor : il s’agit de bâtir, ensemble, une médecine plus humaine, plus performante et plus durable, où chaque patient marocain, où qu’il vive, puisse bénéficier de soins de support reconnus, validés scientifiquement et accessibles à tous.
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