Société

Primé à Paris, Youssef El Azouzi séduit la France, mais regrette un appui limité au Maroc

À la 3ᵉ édition de la Semaine de l’Afrique des Solutions, tenue à Paris les 24 et 25 octobre 2025, l'inventeur marocain Youssef El Azouzi s’est imposé comme l’une des figures les plus marquantes de la recherche biomédicale africaine. Récompensé par trois distinctions, dont la médaille d’or, pour son dispositif médical révolutionnaire contre l’insuffisance cardiaque, il incarne l’émergence d’une Afrique scientifique capable d’innover au plus haut niveau mondial. Mais faute de soutien financier local, ce pionnier de la Deep Tech pourrait bien poursuivre son aventure en France, où son projet attire déjà l’intérêt des investisseurs et des institutions publiques.

05 Novembre 2025 À 11:15

L’Afrique ne veut plus être décrite comme un continent de problèmes, mais comme une terre de solutions. Ce message, la Semaine de l’Afrique des Solutions (SAS), tenue les 24 et 25 octobre à Paris, l’a incarné avec éclat en mettant en lumière des innovateurs africains qui transforment les défis du continent en leviers de progrès. Parmi eux, le docteur Youssef El Azouzi, inventeur marocain déjà primé en 2019 comme meilleur innovateur du monde arabe, a marqué cette 3ᵉ édition par la portée scientifique de ses travaux et par son message lucide : « Le monde n’a pas seulement besoin de nos ressources naturelles, il a besoin de nos esprits, de nos talents et de notre leadership ».

Fondateur de la société Aorto Medical, il a reçu à Paris trois distinctions prestigieuses – la médaille du mérite, la médaille d’or et un prix spécial du comité de sélection – pour son innovation médicale unique au monde : un dispositif intravasculaire capable de moduler le flux sanguin sans batterie, conçu pour traiter les patients atteints d’insuffisance cardiaque. Cette invention, classée Deep Tech de classe III, relève des technologies les plus complexes et les plus strictement réglementées du secteur médical. « Nous sommes la première entreprise africaine à développer ce type de dispositif implantable », explique-t-il.

Les premiers essais sur les animaux ont déjà démontré la validité scientifique du concept, ouvrant la voie aux essais cliniques sur l’homme. Une étape décisive mais exigeante. « Pour passer à la phase d’essais sur l’humain aux États-Unis, nous devons lever entre trois et quatre millions de dollars », confie-t-il. Une somme modeste au regard des enjeux, mais essentielle pour un continent où la recherche médicale peine encore à mobiliser les financements requis. Au-delà des aspects financiers, cette étape représente une occasion déterminante pour le Maroc, pays d’origine du chercheur, et plus largement pour l’Afrique, de consolider leur position dans le domaine de l’innovation biomédicale.

Faute de soutien, le pays pourrait voir partir un chercheur dont les travaux sont déjà reconnus au sein de la communauté scientifique internationale. Et c’est là que la frontière entre consécration et départ devient ténue. Car la reconnaissance venue de Paris, si elle consacre son talent, pourrait aussi en être le point de bascule. Durant la SAS, Youssef El Azouzi a été approché par des responsables français qui l’ont encouragé à relocaliser Aorto Medical, son entreprise basée à Tanger, en France. « Le gouvernement français subventionne jusqu’à 70 % les essais cliniques des start-up Deep Tech. On m’a proposé de transférer la société pour bénéficier de ce soutien », explique-t-il, tout en précisant qu’il n’a pas encore pris de décision et qu’il étudie les conditions de cette éventuelle relocalisation.

Ce scénario illustre une réalité amère : l’exode des talents africains n’est plus seulement humain, il devient technologique. Les idées, les brevets et les innovations quittent le continent avant même d’y avoir trouvé les conditions de leur épanouissement.



Cette reconnaissance, le Dr El Azouzi la perçoit avant tout comme une validation internationale de la crédibilité africaine. « Ce type de prix attire l’attention d’acteurs industriels et politiques capables d’accompagner notre recherche. C’est une forme d’attraction qui donne confiance à ceux qui veulent investir dans nos projets », affirme-t-il.

En parallèle de son dispositif principal, Aorto Medical travaille sur un second projet : un filtre sanguin destiné à prévenir le rejet d’organes après transplantation. Ce dispositif pourrait ouvrir la voie à des progrès considérables dans le domaine de la xénotransplantation, c’est-à-dire la greffe d’organes entre espèces différentes. « Dans le futur, le monde essaiera de permettre la transplantation d’un animal à l’humain. Si nous réussissons, il n’y aura plus de pénurie d’organes dans le monde », avance le chercheur.

Pour Youssef El Azouzi, l’Afrique entre dans une ère nouvelle, celle de la maturité scientifique. « D’ici la fin du siècle, un tiers de l’humanité vivra sur notre continent. Cette croissance démographique s’accompagnera d’une explosion de l’innovation...L’Afrique est déjà une force incontournable », assure-t-il. Et pourtant, derrière cet optimisme lucide se glisse une inquiétude sourde, celle d’un continent qui voit naître ses talents sans toujours réussir à les retenir.

Si le Maroc, et avec lui l’Afrique, ne trouvent pas la volonté de soutenir leurs plus grands esprits, ce chercheur — reflet d’un continent qui invente, soigne et rêve grand — pourrait bien être contraint de poursuivre son œuvre loin de sa terre. Et faute de vision et de soutien, c’est peut-être une flamme du génie africain qui brillera... mais sous d’autres cieux.
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