Qui est Dr. Youssef El Azouzi ?
Je suis médecin et inventeur marocain, né en 1991 à Rabat. Mon père, originaire de Ksar El Kebir, suivait des études de médecine à l’Université Harvard, aux États-Unis, avant de devenir neurochirurgien, lorsqu’il rencontra ma mère, Américaine. Après leur mariage, ils regagnèrent le Maroc pour y fonder notre famille.
À l’âge de seize ans, j’ai quitté mon pays natal pour intégrer un internat à Oxford, en Angleterre, où je préparai le Baccalauréat international. Peu après, je rejoignis une université américaine pour entamer des études en neurosciences. Toutefois, encouragé par mon père et animé par le désir profond de soigner, je choisis de me consacrer pleinement à la médecine, sans jamais renoncer à mon intérêt pour la recherche neuroscientifique.
Depuis l’enfance, la science et la médecine constituent pour moi une véritable vocation. J’ai certes, un temps, envisagé une échappée vers l’art et le chant ; mais cette parenthèse fut de courte durée. J’ai très vite compris que la voie scientifique demeurait le meilleur moyen de mettre mes connaissances au service du progrès médical et de l’humain.
De la médecine à l’invention médicale : quel a été votre déclic ?
À la fin de mes études de médecine, deux voies s’offraient à moi, me spécialiser ou exercer en médecine générale. J’ai choisi de ne pas me spécialiser, malgré les encouragements de mon père, parce que je voulais avoir un impact sur plusieurs disciplines médicales grâce à des inventions et des découvertes, plutôt que de me limiter à un seul domaine.
Juste avant l’obtention de mon diplôme en 2017, j’ai eu l’idée de créer ma propre entreprise, Aorto Medical. À cette période, je parachevais mes études de médecine en Turquie. En collaboration avec plusieurs ingénieurs, nous avons entrepris une première étape audacieuse consistant à concevoir un dispositif novateur destiné au traitement de l’insuffisance cardiaque. Nous avons élaboré un prototype que nous avons soumis à des simulations et les résultats, particulièrement concluants, ont été obtenus avant même la création officielle de l’entreprise.
Je suis ensuite parti aux États-Unis pour chercher des investisseurs. Entre 2017 et 2018, la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis a tendu le climat et rendu les investisseurs prudents, au point que beaucoup ont refusé de financer le projet.
Après mes tentatives de levée de fonds aux États-Unis, nous avons décidé de présenter notre appareil au programme Stars of Science, la grande compétition d’innovation organisée par la Qatar Foundation. En 2019, mon projet a décroché la première place parmi près de 2.000 candidatures. Avec les 300 millions de centimes du prix, j’ai pu fonder officiellement Aorto Medical à Tanger la même année. Nous avons ensuite lancé des essais précliniques sur l’animal aux États-Unis et en France, ainsi que des tests de fixation du dispositif. Il n’y a pas eu de grand buzz médiatique, car je n’ai pas communiqué sur les réseaux sociaux, mais l’essentiel était là : une innovation validée et prête pour des essais cliniques, qui eux nécessitaient 500 millions de centimes que nous n’avions pas.
Pourquoi n’avoir pas cherché des investisseurs au Maroc à l’époque ?
En 2017, je vivais à Istanbul pour terminer mes études de médecine. Naturellement, je me suis tourné vers l’étranger, convaincu, sous l’influence de la culture start-up et des médias que les États-Unis étaient la destination incontournable pour lever des fonds. Je n’ai pas envisagé le Maroc, car j’avais le sentiment que la culture d’investissement locale privilégiait surtout des secteurs tangibles et à rentabilité immédiate, comme l’immobilier ou l’événementiel, plutôt que des projets scientifiques encore immatériels.
Mon père, professeur et chirurgien expérimenté, partageait aussi ses inquiétudes pour mon avenir. Il me conseillait de suivre une spécialité médicale plus sûre et plus classique, car il savait qu’inventer un dispositif médical « made in Morocco » relevait d’une aventure audacieuse et risquée. Aujourd’hui, il m’appuie sans réserve. Ce qui compte pour moi, c’est l’ampleur de l’impact : je peux soit consulter 15 à 20 patients par jour, soit créer des dispositifs médicaux qui, eux, profiteront à des millions de malades.
Comment est née l’idée de cet implant intravasculaire présenté comme inédit et pensé pour réduire les rejets de greffe ?
Lorsque les essais cliniques sur l’humain de mon premier dispositif contre l’insuffisance cardiaque ont connu des retards et qu’aucun investisseur ne s’est manifesté, je me suis retrouvé face à un dilemme. Devais-je laisser sommeiller le capital restant sur notre compte (à peine le tiers du budget requis pour mener ces essais) en espérant une future levée de fonds, au risque de le voir s’éroder sous l’effet de l’inflation ? Ou fallait-il, au contraire, l’engager dans le développement d’un nouvel appareil fondé sur la même plateforme technologique, une sorte de stent innovant, mais destiné à d’autres pathologies et à d’autres marchés ?
Nous avons choisi de diversifier notre technologie pour préserver nos ressources et réduire notre exposition aux aléas : si un projet venait à échouer au stade clinique, l’autre pourrait prendre le relais. Le nouveau dispositif est conçu pour être implanté dans une artère ; il fonctionne comme un stent intelligent qui réorganise le flux sanguin et module le passage des globules blancs. L’objectif est de limiter les phénomènes d’inflammation et de rejet, notamment lors de transplantations ou dans certaines maladies chroniques.
Les premiers résultats en laboratoire et sur des modèles animaux sont prometteurs, mais nous n’avons pas encore franchi le cap des essais chez l’humain. Pour l’instant, les tests ont été réalisés sur un porc ; la prochaine étape sera d’évaluer le dispositif chez des patients. Pour nous, le véritable point de départ sera atteint le jour où un premier malade montrera des résultats positifs après implantation. D’ici là, nous restons rigoureux et factuels, sans embellir la réalité.
Votre appareil est-il vraiment une première mondiale ?
Oui, d’après ce qui existe dans la littérature scientifique, c’est bien une première mondiale. Lors des tests réalisés sur des porcs aux États-Unis, on a voulu s’assurer que l’appareil soit sûr et qu’il ne provoque pas d’inflammation. Les résultats ont été très encourageants : aucune fuite et pas de réaction inflammatoire sur la surface.
Pour vérifier tout cela, on a fait analyser des échantillons directement sur l’implant. Résultat : aucune agrégation de plaquettes et quasiment pas de cellules immunitaires collées, susceptibles de déclencher une inflammation. Le taux était proche de zéro. Ces tests ont été menés dans l’un des plus grands laboratoires spécialisés au monde NAMSA, et ils ont attribué à l’appareil la meilleure note possible en termes d’inflammation. Tout est documenté, et j’ai partagé les vidéos de ces étapes sur YouTube.
Sur le plan médical, l’une des premières applications visées est l’insuffisance rénale. Au Maroc, elle touche entre 10 et 15 % de la population, avec environ 10.000 à 15.000 personnes sous dialyse. Même après une greffe, près de la moitié des reins greffés échouent en dix ans à cause du rejet et de l’inflammation chronique.
Notre dispositif agit en « réorganisant » le passage des globules blancs pour réduire ces phénomènes. Si les résultats chez l’humain confirment ceux obtenus sur l’animal, cela pourrait avoir un impact majeur. Et pour donner une idée de l’investissement que cela représente : le développement de l’appareil a coûté environ 280 millions de centimes, répartis sur trois ans de travaux.
Pourquoi ne pas avoir publié l’étude dans une revue scientifique ?
Il faut comprendre qu’il y a deux logiques très différentes. Dans le monde académique, on publie pour avoir des citations, grimper dans les classements et attirer des étudiants. Dans une petite entreprise comme la nôtre, la priorité est de protéger l’innovation et de survivre.
Publier une étude nous obligerait à dévoiler en détail le fonctionnement de notre dispositif, ce qui reviendrait à livrer notre secret industriel. Nous ne sommes pas un grand groupe. Si nous donnions tout, des entreprises qui ont des milliards derrière elles pourraient reprendre notre idée avant même que nous arrivions en clinique.
Ce n’est pas une peur abstraite : on l’a déjà vécu. En 2018, avec notre premier dispositif, nous avons présenté le projet à une très grande société américaine (capital : 3 milliards $). Après une réunion où nous avions expliqué le principe, le contact a été coupé net. Quelques mois plus tard, cette même société déposait un brevet qui reprenait quasiment mot pour mot ce dont nous avions parlé.
Depuis, nous marchons sur une ligne étroite : d’un côté, des gens qui veulent des publications et des preuves ; de l’autre, la nécessité de protéger notre avance.
Aujourd’hui, nous avons déposé deux brevets et notre technologie est en grande partie protégée, mais elle ne l’est pas encore totalement. Nous l’avons évaluée et réévaluée en interne, ainsi qu’avec les équipes du laboratoire NAMSA. Tant que les essais cliniques validés n’ont pas encore abouti, publier les détails de notre dispositif reviendrait presque à un suicide. Lever des centaines de millions de centimes pour financer nos projets demeure déjà une épreuve, d’autant que nous faisons face à des géants capables de s’approprier le travail d’autrui avec des capitaux en dollars aux interminables zéros.
Quels sont vos plans pour la suite ?
Pour l’instant, nous devons rester concentrés sur nos deux projets jusqu’à générer des revenus pour Aorto Medical, puis continuer à innover. L’entreprise en est toujours à la phase de recherche et développement, il n’y a encore aucune vente et notre capital a beaucoup diminué.
Nous discutons avec une institution à Paris qui pourrait apporter le financement nécessaire, voire davantage, pour lancer les essais cliniques. Au Maroc, nous avons reçu l’engagement du Dr Ali Kettani, professeur anesthésiste-réanimateur et chef du service de réanimation à l’hôpital Moulay Youssef de Rabat. Il est prêt à collaborer et a même adressé une lettre d’engagement mobilisant les ressources de l’hôpital pour réaliser ces essais cliniques, mais rien n’a encore été signé.
Une institution nationale très respectée a déjà évalué nos deux projets et validé leur solidité scientifique. Mais l’accord a bloqué sur des détails contractuels, notamment la répartition des droits. J’ai frappé à de nombreuses portes au Maroc pour obtenir des financements, multiplié les réunions, mais les investissements n’ont pas suivi. Il faut préciser que le coût des essais est très élevé : hospitalisation, réanimation, assurance des patients... Ce sont des moyens lourds. Et souvent, les institutions marocaines disposent de budgets limités, avec une mentalité qui consiste à morceler l’enveloppe ; au lieu d’investir une somme conséquente dans un projet prometteur, elles dispersent les financements sur des dizaines d’initiatives.
Ne pensez-vous pas qu’un investissement collectif serait la meilleure solution pour soutenir de tels projets scientifiques au Maroc ?
C’est possible, mais il manque une véritable coordination entre les institutions au Maroc. Chacun travaille dans son coin, veut bâtir son propre écosystème et s’attribuer seul le mérite du projet. Résultat : on privilégie les initiatives « monosignature » plutôt que les co-financements. D’où la nécessité d’une communication transparente et d’une mise en synergie, comme on le voit aux États-Unis ou en Europe.
Il faudrait aussi des cellules spécialisées capables d’identifier et de courtiser elles-mêmes les talents et scientifiques marocains, qu’ils soient au pays ou à l’étranger, afin de créer de vraies collaborations. Beaucoup de choses sont possibles, mais cela exige du sérieux et de la clarté.
Il existe aujourd’hui un déficit de volonté. Parfois, on a l’impression que certains décideurs ne croient pas réellement que le Maroc, avec ses chercheurs et ses inventeurs, peut être à l’avant-garde mondiale de la science. La mentalité dominante reste souvent : « faire le minimum visible, à son rythme », alors que le monde scientifique, lui, ne pardonne pas le retard.
Je suis médecin et inventeur marocain, né en 1991 à Rabat. Mon père, originaire de Ksar El Kebir, suivait des études de médecine à l’Université Harvard, aux États-Unis, avant de devenir neurochirurgien, lorsqu’il rencontra ma mère, Américaine. Après leur mariage, ils regagnèrent le Maroc pour y fonder notre famille.
À l’âge de seize ans, j’ai quitté mon pays natal pour intégrer un internat à Oxford, en Angleterre, où je préparai le Baccalauréat international. Peu après, je rejoignis une université américaine pour entamer des études en neurosciences. Toutefois, encouragé par mon père et animé par le désir profond de soigner, je choisis de me consacrer pleinement à la médecine, sans jamais renoncer à mon intérêt pour la recherche neuroscientifique.
Depuis l’enfance, la science et la médecine constituent pour moi une véritable vocation. J’ai certes, un temps, envisagé une échappée vers l’art et le chant ; mais cette parenthèse fut de courte durée. J’ai très vite compris que la voie scientifique demeurait le meilleur moyen de mettre mes connaissances au service du progrès médical et de l’humain.
De la médecine à l’invention médicale : quel a été votre déclic ?
À la fin de mes études de médecine, deux voies s’offraient à moi, me spécialiser ou exercer en médecine générale. J’ai choisi de ne pas me spécialiser, malgré les encouragements de mon père, parce que je voulais avoir un impact sur plusieurs disciplines médicales grâce à des inventions et des découvertes, plutôt que de me limiter à un seul domaine.
Juste avant l’obtention de mon diplôme en 2017, j’ai eu l’idée de créer ma propre entreprise, Aorto Medical. À cette période, je parachevais mes études de médecine en Turquie. En collaboration avec plusieurs ingénieurs, nous avons entrepris une première étape audacieuse consistant à concevoir un dispositif novateur destiné au traitement de l’insuffisance cardiaque. Nous avons élaboré un prototype que nous avons soumis à des simulations et les résultats, particulièrement concluants, ont été obtenus avant même la création officielle de l’entreprise.
Je suis ensuite parti aux États-Unis pour chercher des investisseurs. Entre 2017 et 2018, la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis a tendu le climat et rendu les investisseurs prudents, au point que beaucoup ont refusé de financer le projet.
Après mes tentatives de levée de fonds aux États-Unis, nous avons décidé de présenter notre appareil au programme Stars of Science, la grande compétition d’innovation organisée par la Qatar Foundation. En 2019, mon projet a décroché la première place parmi près de 2.000 candidatures. Avec les 300 millions de centimes du prix, j’ai pu fonder officiellement Aorto Medical à Tanger la même année. Nous avons ensuite lancé des essais précliniques sur l’animal aux États-Unis et en France, ainsi que des tests de fixation du dispositif. Il n’y a pas eu de grand buzz médiatique, car je n’ai pas communiqué sur les réseaux sociaux, mais l’essentiel était là : une innovation validée et prête pour des essais cliniques, qui eux nécessitaient 500 millions de centimes que nous n’avions pas.
Pourquoi n’avoir pas cherché des investisseurs au Maroc à l’époque ?
En 2017, je vivais à Istanbul pour terminer mes études de médecine. Naturellement, je me suis tourné vers l’étranger, convaincu, sous l’influence de la culture start-up et des médias que les États-Unis étaient la destination incontournable pour lever des fonds. Je n’ai pas envisagé le Maroc, car j’avais le sentiment que la culture d’investissement locale privilégiait surtout des secteurs tangibles et à rentabilité immédiate, comme l’immobilier ou l’événementiel, plutôt que des projets scientifiques encore immatériels.
Mon père, professeur et chirurgien expérimenté, partageait aussi ses inquiétudes pour mon avenir. Il me conseillait de suivre une spécialité médicale plus sûre et plus classique, car il savait qu’inventer un dispositif médical « made in Morocco » relevait d’une aventure audacieuse et risquée. Aujourd’hui, il m’appuie sans réserve. Ce qui compte pour moi, c’est l’ampleur de l’impact : je peux soit consulter 15 à 20 patients par jour, soit créer des dispositifs médicaux qui, eux, profiteront à des millions de malades.
Comment est née l’idée de cet implant intravasculaire présenté comme inédit et pensé pour réduire les rejets de greffe ?
Lorsque les essais cliniques sur l’humain de mon premier dispositif contre l’insuffisance cardiaque ont connu des retards et qu’aucun investisseur ne s’est manifesté, je me suis retrouvé face à un dilemme. Devais-je laisser sommeiller le capital restant sur notre compte (à peine le tiers du budget requis pour mener ces essais) en espérant une future levée de fonds, au risque de le voir s’éroder sous l’effet de l’inflation ? Ou fallait-il, au contraire, l’engager dans le développement d’un nouvel appareil fondé sur la même plateforme technologique, une sorte de stent innovant, mais destiné à d’autres pathologies et à d’autres marchés ?
Nous avons choisi de diversifier notre technologie pour préserver nos ressources et réduire notre exposition aux aléas : si un projet venait à échouer au stade clinique, l’autre pourrait prendre le relais. Le nouveau dispositif est conçu pour être implanté dans une artère ; il fonctionne comme un stent intelligent qui réorganise le flux sanguin et module le passage des globules blancs. L’objectif est de limiter les phénomènes d’inflammation et de rejet, notamment lors de transplantations ou dans certaines maladies chroniques.
Les premiers résultats en laboratoire et sur des modèles animaux sont prometteurs, mais nous n’avons pas encore franchi le cap des essais chez l’humain. Pour l’instant, les tests ont été réalisés sur un porc ; la prochaine étape sera d’évaluer le dispositif chez des patients. Pour nous, le véritable point de départ sera atteint le jour où un premier malade montrera des résultats positifs après implantation. D’ici là, nous restons rigoureux et factuels, sans embellir la réalité.
Votre appareil est-il vraiment une première mondiale ?
Oui, d’après ce qui existe dans la littérature scientifique, c’est bien une première mondiale. Lors des tests réalisés sur des porcs aux États-Unis, on a voulu s’assurer que l’appareil soit sûr et qu’il ne provoque pas d’inflammation. Les résultats ont été très encourageants : aucune fuite et pas de réaction inflammatoire sur la surface.
Pour vérifier tout cela, on a fait analyser des échantillons directement sur l’implant. Résultat : aucune agrégation de plaquettes et quasiment pas de cellules immunitaires collées, susceptibles de déclencher une inflammation. Le taux était proche de zéro. Ces tests ont été menés dans l’un des plus grands laboratoires spécialisés au monde NAMSA, et ils ont attribué à l’appareil la meilleure note possible en termes d’inflammation. Tout est documenté, et j’ai partagé les vidéos de ces étapes sur YouTube.
Sur le plan médical, l’une des premières applications visées est l’insuffisance rénale. Au Maroc, elle touche entre 10 et 15 % de la population, avec environ 10.000 à 15.000 personnes sous dialyse. Même après une greffe, près de la moitié des reins greffés échouent en dix ans à cause du rejet et de l’inflammation chronique.
Notre dispositif agit en « réorganisant » le passage des globules blancs pour réduire ces phénomènes. Si les résultats chez l’humain confirment ceux obtenus sur l’animal, cela pourrait avoir un impact majeur. Et pour donner une idée de l’investissement que cela représente : le développement de l’appareil a coûté environ 280 millions de centimes, répartis sur trois ans de travaux.
Pourquoi ne pas avoir publié l’étude dans une revue scientifique ?
Il faut comprendre qu’il y a deux logiques très différentes. Dans le monde académique, on publie pour avoir des citations, grimper dans les classements et attirer des étudiants. Dans une petite entreprise comme la nôtre, la priorité est de protéger l’innovation et de survivre.
Publier une étude nous obligerait à dévoiler en détail le fonctionnement de notre dispositif, ce qui reviendrait à livrer notre secret industriel. Nous ne sommes pas un grand groupe. Si nous donnions tout, des entreprises qui ont des milliards derrière elles pourraient reprendre notre idée avant même que nous arrivions en clinique.
Ce n’est pas une peur abstraite : on l’a déjà vécu. En 2018, avec notre premier dispositif, nous avons présenté le projet à une très grande société américaine (capital : 3 milliards $). Après une réunion où nous avions expliqué le principe, le contact a été coupé net. Quelques mois plus tard, cette même société déposait un brevet qui reprenait quasiment mot pour mot ce dont nous avions parlé.
Depuis, nous marchons sur une ligne étroite : d’un côté, des gens qui veulent des publications et des preuves ; de l’autre, la nécessité de protéger notre avance.
Aujourd’hui, nous avons déposé deux brevets et notre technologie est en grande partie protégée, mais elle ne l’est pas encore totalement. Nous l’avons évaluée et réévaluée en interne, ainsi qu’avec les équipes du laboratoire NAMSA. Tant que les essais cliniques validés n’ont pas encore abouti, publier les détails de notre dispositif reviendrait presque à un suicide. Lever des centaines de millions de centimes pour financer nos projets demeure déjà une épreuve, d’autant que nous faisons face à des géants capables de s’approprier le travail d’autrui avec des capitaux en dollars aux interminables zéros.
Quels sont vos plans pour la suite ?
Pour l’instant, nous devons rester concentrés sur nos deux projets jusqu’à générer des revenus pour Aorto Medical, puis continuer à innover. L’entreprise en est toujours à la phase de recherche et développement, il n’y a encore aucune vente et notre capital a beaucoup diminué.
Nous discutons avec une institution à Paris qui pourrait apporter le financement nécessaire, voire davantage, pour lancer les essais cliniques. Au Maroc, nous avons reçu l’engagement du Dr Ali Kettani, professeur anesthésiste-réanimateur et chef du service de réanimation à l’hôpital Moulay Youssef de Rabat. Il est prêt à collaborer et a même adressé une lettre d’engagement mobilisant les ressources de l’hôpital pour réaliser ces essais cliniques, mais rien n’a encore été signé.
Une institution nationale très respectée a déjà évalué nos deux projets et validé leur solidité scientifique. Mais l’accord a bloqué sur des détails contractuels, notamment la répartition des droits. J’ai frappé à de nombreuses portes au Maroc pour obtenir des financements, multiplié les réunions, mais les investissements n’ont pas suivi. Il faut préciser que le coût des essais est très élevé : hospitalisation, réanimation, assurance des patients... Ce sont des moyens lourds. Et souvent, les institutions marocaines disposent de budgets limités, avec une mentalité qui consiste à morceler l’enveloppe ; au lieu d’investir une somme conséquente dans un projet prometteur, elles dispersent les financements sur des dizaines d’initiatives.
Ne pensez-vous pas qu’un investissement collectif serait la meilleure solution pour soutenir de tels projets scientifiques au Maroc ?
C’est possible, mais il manque une véritable coordination entre les institutions au Maroc. Chacun travaille dans son coin, veut bâtir son propre écosystème et s’attribuer seul le mérite du projet. Résultat : on privilégie les initiatives « monosignature » plutôt que les co-financements. D’où la nécessité d’une communication transparente et d’une mise en synergie, comme on le voit aux États-Unis ou en Europe.
Il faudrait aussi des cellules spécialisées capables d’identifier et de courtiser elles-mêmes les talents et scientifiques marocains, qu’ils soient au pays ou à l’étranger, afin de créer de vraies collaborations. Beaucoup de choses sont possibles, mais cela exige du sérieux et de la clarté.
Il existe aujourd’hui un déficit de volonté. Parfois, on a l’impression que certains décideurs ne croient pas réellement que le Maroc, avec ses chercheurs et ses inventeurs, peut être à l’avant-garde mondiale de la science. La mentalité dominante reste souvent : « faire le minimum visible, à son rythme », alors que le monde scientifique, lui, ne pardonne pas le retard.
