Nabila Bakkas
16 Juillet 2025
À 17:35
Le Matin : Qu’entend-on exactement par «fibromyalgie» et quels en sont les symptômes les plus courants ?Dr Mehdi Chemlal : La fibromyalgie est une maladie chronique caractérisée par des douleurs diffuses persistantes dans tout le corps, souvent accompagnées d’une fatigue intense, de troubles du sommeil, de raideurs matinales, de troubles cognitifs, et parfois de migraines, de troubles intestinaux ou de troubles de l’humeur. Ce qui la rend particulièrement difficile à vivre, c’est son caractère invisible. Les analyses biologiques sont normales, les imageries aussi... mais la souffrance est bien réelle. Il s’agit d’une douleur non lésionnelle, mais fonctionnelle, qui impacte profondément la qualité de vie. Et parce que cette souffrance ne se voit pas, le patient entame souvent un véritable parcours du combattant. Il consulte plusieurs médecins, passe d’un spécialiste à l’autre, mais repart fréquemment avec le sentiment que personne ne le comprend vraiment. Ce manque de reconnaissance alourdit encore la charge émotionnelle et renforce l’isolement. D’ailleurs, on entend encore trop souvent que la fibromyalgie est un diagnostic d’élimination. En réalité, ce n’est pas tout à fait exact. Cette approche, lorsqu’elle est poussée à l’extrême, retarde inutilement le diagnostic – et avec lui, la mise en place d’une prise en charge adaptée.
Comment se déroule le diagnostic, sachant qu’il n’existe pas de test biologique spécifique pour détecter cette maladie ?La fibromyalgie doit être envisagée activement lorsqu’un patient présente un tableau clinique évocateur : douleurs diffuses, fatigue persistante, troubles du sommeil, troubles cognitifs... le tout sans anomalies biologiques ou radiologiques permettant d’expliquer ces symptômes. Le diagnostic repose sur une démarche structurée : on présente au patient une carte corporelle représentant les zones potentiellement douloureuses, puis on compte les points sensibles. Ensuite, un interrogatoire approfondi permet d’identifier plusieurs symptômes associés, selon des critères validés, notamment ceux de l’ACR 2016 (critères diagnostiques établis par l’American College of Rheumatology en 2016 pour identifier la fibromyalgie). On établit alors un score de probabilité, qui permet de poser un diagnostic plus objectif. Ce n’est donc pas un diagnostic «par défaut», mais bien un syndrome fonctionnel clairement défini, avec des critères cliniques concrets. Plus on tarde à le reconnaître, sous prétexte d’exclure toutes les autres pathologies possibles, plus le patient s’épuise, perd confiance dans le système de soins, et voit sa qualité de vie se détériorer.
Quelles sont les principales hypothèses sur les causes de la fibromyalgie ? Parle-t-on d’origine neurologique, inflammatoire, psychologique ?On ne connaît pas encore toutes les causes de la fibromyalgie, mais plusieurs pistes sérieuses se dessinent. La plus probable, c’est un dérèglement du système nerveux, qui fait que le cerveau perçoit la douleur de façon exagérée, comme si le volume de la douleur était bloqué sur le maximum, même sans lésion réelle dans le corps. D’autres facteurs semblent jouer un rôle important, comme le stress chronique, les chocs émotionnels, la fatigue accumulée ou même des traumatismes anciens (physiques ou psychologiques). On sait aussi que la maladie touche parfois plusieurs personnes dans une même famille, ce qui laisse penser à une prédisposition génétique. Enfin, certaines recherches suggèrent qu’il pourrait y avoir une inflammation de très bas niveau au niveau du système nerveux, mais cela reste encore à mieux comprendre. Ce qui est certain, c’est que la fibromyalgie n’est ni «dans la tête», ni une simple conséquence du stress. C’est un syndrome complexe, où plusieurs mécanismes s’emmêlent et où la douleur devient une expérience envahissante, sans cause visible, mais avec un impact bien réel.
Quel est l’impact réel de cette maladie sur la vie quotidienne des patients (fatigue, douleurs, isolement social, travail, etc.) ?L’impact est souvent majeur. La douleur chronique finit par épuiser autant le corps que l’esprit. Beaucoup de patients parlent d’un sentiment d’incompréhension, d’isolement, parfois même de culpabilité : «Je n’arrive plus à vivre comme avant, à m’occuper de ma famille, à travailler normalement...» Peu à peu, la confiance en soi s’effrite, l’entourage comprend mal, et certains finissent par se replier sur eux-mêmes. Sur le plan professionnel, nombreux sont ceux qui réduisent leur activité ou arrêtent de travailler. La vie familiale, sociale, intime en souffre aussi. C’est une souffrance globale, invisible à l’œil nu, mais bien réelle pour ceux qui la vivent. Et comme nous l’avons expliqué plus haut, le fait que certains praticiens considèrent encore la fibromyalgie comme un simple «diagnostic d’élimination» aggrave cette souffrance. Le patient, en errance médicale, finit par croire que personne ne le comprend, que sa douleur n’existe que pour lui. Et cela, parfois, fait encore plus mal que la douleur elle-même.
La fibromyalgie est-elle aujourd’hui pleinement reconnue par les autorités de santé au Maroc et dans d’autres pays ?Oui, dans plusieurs pays comme les États-Unis, la France ou l’Espagne, la fibromyalgie est reconnue comme une vraie maladie. Elle figure d’ailleurs dans la Classification internationale des maladies de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) depuis 1992. Pourtant, même là où elle est reconnue, les parcours de soins restent souvent flous, et beaucoup de patients peinent à trouver une prise en charge adaptée. Au Maroc, la reconnaissance est encore partielle. La fibromyalgie est souvent mal comprise, et les patients se retrouvent sans orientation claire, ballottés entre différents spécialistes. Mais les choses commencent à changer. Des centres spécialisés dans la douleur, comme le nôtre, s’engagent à proposer une prise en charge moderne, globale et humaine, fondée sur les recommandations scientifiques internationales. C’est un début, et surtout un signe d’espoir pour de nombreux patients.
Certains malades affirment que leurs symptômes sont apparus ou se sont aggravés après avoir reçu un vaccin contre la Covid-19. Existe-t-il un lien établi ou suspecté entre la vaccination et la fibromyalgie ?Il n’y a aucune preuve scientifique formelle établissant un lien direct entre les vaccins contre la Covid-19 et l’apparition de la fibromyalgie. Toutefois, certains patients rapportent une aggravation de symptômes douloureux après la vaccination. Cela pourrait être lié à une activation transitoire du système immunitaire ou à un contexte de stress et d’inflammation latente. Il est important de garder une approche prudente et non stigmatisante : le bénéfice global de la vaccination reste très supérieur aux risques, mais il faut écouter et suivre ces patients de près.
Quels traitements ou approches thérapeutiques sont actuellement recommandés pour soulager les patients ?Le traitement de la fibromyalgie repose sur une approche globale et progressive. Dans notre centre, nous commençons toujours par une prise en charge générale, appelée traitement systémique. L’idée est d’agir sur l’ensemble du corps, pour atténuer plusieurs symptômes à la fois, comme la fatigue, les douleurs musculaires diffuses, les maux de tête, les troubles du sommeil ou les douleurs articulaires modérées. Pour cela, nous utilisons des méthodes complémentaires : un rééquilibrage en vitamines et minéraux (notamment en vitamine D, magnésium, vitamines B1, B6, B12...), des perfusions de kétamine à très faible dose chez certains patients résistants, ou encore l’auto-hémothérapie majeure avec de l’ozone, qui permet de stimuler l’oxygénation cellulaire et de moduler l’inflammation. Ce traitement général est souvent accompagné d’une rééducation physique douce (comme la marche, les étirements ou la balnéothérapie) ainsi que d’un accompagnement psychologique, pour aider le patient à reprendre confiance en son corps. Ce n’est qu’après cette première phase que nous envisageons, si besoin, des traitements plus ciblés, pour les zones du corps qui restent douloureuses. Il peut s’agir d’infiltrations locales, d’injections de médicaments spécifiques, de séances de physiothérapie (comme la neurostimulation électrique ou la radiofréquence douce), ou encore d’applications locales d’ozone. Cette stratégie en deux temps – d’abord globale, puis localisée – permet une approche plus douce, plus personnalisée, et souvent mieux tolérée par les patients. L’objectif n’est pas seulement de calmer la douleur, mais aussi de redonner de l’autonomie, de la mobilité, et surtout, une qualité de vie.