Société

Lutte contre le Sida : l’effondrement des financements menace les acquis au Maroc et dans le monde

Malgré une prévalence faible et une couverture thérapeutique parmi les meilleures de la région, le Maroc voit aujourd’hui ses progrès dans la lutte contre le Sida menacés par l’effondrement des financements mondiaux. Face à cette situation inédite, l’Association de lutte contre le Sida appelle à un sursaut immédiat des pouvoirs publics, des collectivités et des partenaires pour éviter une crise sanitaire silencieuse qui mettrait en péril près de quarante ans de combats et de mobilisation contre le VIH.

30 Novembre 2025 À 13:25

La Journée mondiale de lutte contre le Sida, célébrée le 1ᵉʳ décembre de chaque année, rappelle que l’épidémie reste l’un des défis sanitaires les plus persistants de notre époque. Dans un contexte mondial marqué par la baisse historique des financements, les progrès réalisés depuis quarante ans sont aujourd’hui menacés. Le Maroc, qui a réussi à stabiliser l’épidémie grâce à des efforts ciblés, se retrouve lui aussi face à une équation délicate : comment maintenir ses acquis alors que les ressources se raréfient ?
Dans un communiqué diffusé à l’occasion de cette journée, l’Association de lutte contre le Sida (ALCS) alerte sur un risque majeur, affirmant que, malgré des progrès indéniables, la lutte contre le VIH reste menacée. L’organisation rappelle que ces acquis demeurent fragiles et subissent de plein fouet la crise mondiale des financements qui secoue aujourd’hui l’ensemble de la réponse internationale contre le VIH.

Un contexte mondial en crise

La situation mondiale décrite par le Programme commun des Nations unies sur le VIH/Sida (ONUSIDA) ne laisse aucune place au doute. Environ 40,8 millions de personnes vivent actuellement avec le VIH et l’année 2023 a enregistré 1,3 million de nouvelles infections, soit environ 3.500 par jour. En 2024, quelque 630.000 personnes sont mortes de causes liées au Sida et, si 77% des personnes séropositives accèdent au traitement antirétroviral et 84% des femmes enceintes bénéficient d’une prise en charge permettant d’éviter la transmission mère-enfant, les avancées réalisées depuis 2010 commencent à s’essouffler. Les nouvelles infections ont diminué de 40% et les décès de 54% depuis cette date, mais la baisse ralentit dangereusement alors que les besoins restent concentrés dans les populations les plus marginalisées.

Cette fragilisation globale intervient à un moment critique. Le 21 novembre dernier, lors du Sommet de reconstitution des ressources du Fonds mondial organisé à Johannesburg, les résultats ont été qualifiés de catastrophiques. L’objectif des 18 milliards de dollars – pourtant considéré comme un strict minimum pour maintenir les programmes vitaux – n’a pas été atteint, les contributeurs n’ayant réuni que 11,34 milliards. Cette somme représente 4 milliards de moins que la reconstitution précédente en 2022 et constitue l’une des baisses les plus abruptes de l’histoire du Fonds. Les États-Unis conservent leur rang de premier contributeur malgré les coupes du PEPFAR et de l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international) en début d’année, tandis que la France, deuxième contributeur historique, n’a même pas été représentée au sommet et n’a annoncé aucune contribution, une première inquiétante.

Pour l’ALCS, ces chiffres ne sont pas abstraits. Ils signifient une menace directe pour les associations communautaires, premières lignes de la riposte. Les données dévoilées par des analyses internationales montrent une projection alarmante : 22,6 millions de décès supplémentaires pourraient survenir d’ici 2030 en raison des coupes budgétaires des États-Unis et de plusieurs pays européens. Cette estimation dépasse largement le bilan global de la pandémie de la Covid-19, évalué à 14,9 millions de décès. Il ne s’agit donc pas d’un simple ralentissement, mais d’un véritable effondrement qui pourrait renverser quarante années de lutte mondiale contre le VIH.

Le Maroc face à ses propres vulnérabilités

Dans ce tableau mondial alarmant, le Maroc présente un profil spécifique, souvent qualifié d’épidémie concentrée. «Selon les chiffres du Programme national de lutte contre le Sida et de l'ONUSIDA pour 2024, environ 23.500 personnes vivent aujourd’hui avec le VIH dans le pays, dont plus de 1.080 enfants de moins de 15 ans. Chaque année, près de 990 nouvelles infections sont estimées et le virus cause environ 400 décès. Le pays affiche pourtant l’un des taux de couverture les plus élevés d’Afrique du Nord, avec 77% de personnes vivant avec le VIH ayant accès aux traitements antirétroviraux. La transmission mère-enfant mesurée à 6 semaines a reculé de manière notable, passant à 7%, un résultat lié à l’extension du dépistage chez les femmes enceintes», affirme l’ALCS dans son communiqué.

L’épidémie reste néanmoins concentrée dans des populations clés particulièrement exposées. Dans la population générale, la prévalence demeure faible, à 0,08%, mais cette apparente stabilité masque une réalité plus complexe. La lutte contre le VIH au Maroc repose en grande partie sur des approches ciblées, sur le dépistage communautaire, la réduction des risques, la présence de centres associatifs, ainsi que sur l’accès gratuit au traitement et à des outils innovants de prévention comme la prophylaxie pré-exposition (PrEP). Ces dispositifs ont permis d’éviter une expansion plus large du virus et de stabiliser la situation nationale.

Toutefois, comme le souligne l’ALCS, tous ces acquis sont aujourd’hui menacés. La baisse mondiale des financements réduit progressivement les marges de manœuvre dont dépend le fonctionnement quotidien des associations et des programmes de proximité. Le Maroc, qui bénéficie du soutien direct du Fonds mondial, pourrait être parmi les premiers pays touchés par l’impact de la contraction financière. Dès lors, la question n’est plus de savoir si la riposte nationale sera affectée, mais dans quelle proportion et à quelle vitesse.

Le recul des financements menace aussi la riposte marocaine

La chute des financements internationaux fait peser des risques immédiats et profonds. Partout dans le monde, la lutte recule quand les financements reculent. Les estimations montrent que cette insuffisance budgétaire pourrait entraîner plus de huit millions de décès additionnels dans les années à venir. Les coupes priveront par ailleurs près de 147 millions de personnes de moyens de prévention qui auraient pu éviter une contamination et empêcheront près de 10 millions de personnes d’accéder aux traitements antirétroviraux indispensables.

La pénurie de ressources signifie également que 9 millions de personnes n’accéderont pas au dépistage de la tuberculose et que plus de 733 millions de moustiquaires ne seront pas distribués dans les zones où le paludisme représente encore un danger mortel. Ces reculs aggravent l’exclusion sanitaire des populations les plus marginalisées, fragilisent les systèmes de santé les plus précaires et créent un risque global dont aucun pays n’est à l’abri.

Pour le Maroc, la perspective d’une réduction de l’enveloppe du Fonds mondial signifierait l’affaiblissement de programmes communautaires essentiels, la diminution du dépistage ciblé, des ruptures potentielles d’intrants et un recul dans l’accès à la PrEP ainsi qu’à la prise en charge complète des personnes vivant avec le VIH.

L’urgence de maintenir les acquis et de renforcer l’engagement national

Face à cette situation, l’ALCS appelle à une mobilisation nationale immédiate. L’association insiste d’abord sur la nécessité de sécuriser les financements actuels, dont ceux du Fonds mondial, qui demeure le principal contributeur de la lutte contre le VIH au Maroc. Toute baisse du financement global se traduirait mécaniquement par une diminution des ressources allouées au pays, ce qui risquerait d’entraîner une réduction drastique des investissements dans la prévention, le dépistage communautaire et la prise en charge.

L’ALCS demande également que les intrants mis à disposition par le ministère de la Santé, notamment les tests de dépistage et les moyens de prévention, soient gérés de manière à éviter les ruptures de stock, comme cela a été le cas ces dernières années. Elle appelle en parallèle au renforcement de l’engagement des régions et des communes afin qu’elles soutiennent les associations communautaires, dont l’action constitue un élément vital de la stratégie nationale.

Enfin, l’association exhorte le secteur privé à prendre part à cet effort en soutenant les programmes de prévention destinés aux jeunes et en contribuant à l’accompagnement des personnes vivant avec le VIH. Pour l’ALCS, la fin du Sida comme menace de santé publique d’ici 2030 reste possible, mais seulement si les ressources humaines, financières et politiques sont réunies de façon cohérente.

La Journée mondiale de lutte contre le Sida ne se limite donc pas à une commémoration symbolique. Elle constitue un rappel urgent que le combat contre la maladie n’est pas terminé et que la baisse des financements menace des décennies de progrès pour lesquels des millions de personnes se sont mobilisées. Les associations communautaires restent en première ligne et affirment que l’insuffisance des financements ne fera jamais taire la colère légitime des personnes affectées.
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