«Il n’y a qu’une chose qui puisse rendre un rêve impossible à réaliser : la peur d’échouer.» Cette citation de l’écrivain Paulo Coelho pourrait parfaitement résumer le parcours de
Racha Belokda, une jeune ingénieure devenue poétesse, que nous avons reçue la semaine dernière au siège du Groupe Le Matin, à Casablanca. À seulement 31 ans, Racha fait preuve d’une sérénité qui force le respect. Son visage calme, souvent éclairé d’un sourire, ne laisse rien deviner du combat qu’elle mène chaque jour.
En effet, atteinte de
sclérose en plaques, une maladie auto-immune qui attaque le système nerveux central, elle ne peut plus marcher, sa vue est très faible, et ses mains peinent à saisir un simple objet. Soutenue par sa mère, présente à ses côtés comme un pilier discret, elle incarne pourtant une force intérieure immense. Elle a d’ailleurs réalisé son rêve de devenir ingénieure en génie mécanique à l’École nationale supérieure d’arts et métiers (ENSAM) de Casablanca, et poursuit aujourd’hui des études en littérature anglaise.
Animée par une volonté farouche d’aller au bout de ses rêves, Racha est convaincue que «quand le corps lâche, c’est l’âme qui prend le relais». Son entourage proche reconnaît que c’est par la poésie qu’elle a trouvé un nouvel espace d’expression. Son premier recueil, Hope, présenté au public en avril dernier lors du Salon international de l’édition et du livre de Rabat, constitue justement un cri de vie. À travers cet ouvrage, elle explore la douleur, le courage, mais aussi l’espoir et la lumière.
Cependant, ce parcours n’a pas été facile. Aujourd’hui, Racha accepte de nous livrer ce chemin difficile, fait de douleurs, de rechutes, mais aussi d’espoir et de résilience.
Sclérose en plaques : entre perte d’autonomie et coûts élevés
C’est en 2019 que tout a commencé. À l’époque, Racha était en deuxième année à l’ENSAM de Casablanca. Elle avançait bien dans ses études, portée par sa passion pour les sciences et animée par une énergie discrète, mais constante.
Dans le même temps, elle vivait une épreuve personnelle difficile : la perte récente de son père. «C’est peut-être ce qui a déclenché la maladie», estime-t-elle. Malgré tout, elle s’accrochait, jusqu’au jour où son corps a commencé à envoyer des signaux inhabituels.
«J’étais constamment fatiguée et je perdais l’équilibre sans raison, avec des troubles de la vision par moments.»
Face à ces symptômes inquiétants, les consultations s’enchaînaient et les examens médicaux se multipliaient. Finalement, le diagnostic est tombé : la sclérose en plaques, une pathologie complexe et encore mal comprise dans tous ses mécanismes», se souvient-elle.
Dès lors, ajoute Racha, la maladie a commencé à s’installer : le corps se fragilisait de plus en plus, avec une perte progressive des membres inférieurs. Aujourd’hui, les gestes les plus simples – tenir une cuillère, signer un papier, lire une page – demandent un effort considérable.
«D’une part, je trouve du mal à tenir les objets, et d’autre part, je commence à perdre de plus en plus la vue. Ce n’est pas une maladie visible. Mais elle grignote tout», dit-elle avec calme.
Ce qui frappe chez Racha, c’est qu’elle ne dramatise jamais. Elle raconte les faits avec pudeur, sans chercher à émouvoir. Sa voix reste posée, et son visage toujours éclairé d’un sourire.
Cependant, ce qui lui pèse le plus, ce n’est pas tant la
douleur physique que la
perte d’autonomie. «Je ne peux pas rester seule, ni à la maison ni en dehors. Il faut toujours quelqu’un pour m’accompagner, et ça me travaille énormément. D’ailleurs, je dis toujours à ma mère que ça me manque, ce sentiment de pouvoir faire les choses seule», nous confie-t-elle.
Ainsi, c’est une maladie qui bouleverse le quotidien, aussi bien du patient que de sa famille. À cela s’ajoute une autre dimension difficile : la pression financière, car les traitements sont coûteux et leur efficacité incertaine.
«Dans mon cas, il faut compter environ 320.000 dirhams par an. Une seule injection intraveineuse peut coûter jusqu’à 80.000 dirhams», explique-t-elle. Mais au-delà du coût, le plus difficile, reconnaît Racha, c’est de vivre avec l’idée que ces traitements ne visent pas à guérir, mais simplement à contenir. «Mon médecin fait de son mieux. Mais on le sait tous les deux : le but, c’est juste de stabiliser, et non pas d’améliorer», confie-t-elle.
Désormais, Racha n’espère pas remarcher. Son plus grand souhait est plus simple, plus vital encore : conserver ce qu’il lui reste de vue.
«Lire, écrire, voir les visages... ce sont des choses simples. Mais ce sont celles que je redoute le plus de perdre», note-t-elle.
Racha marque une pause, puis ajoute, d’une voix douce, mais déterminée : «La santé, on croit que c’est acquis. Jusqu’au jour où elle vous glisse entre les doigts». Pour mieux comprendre cette maladie, nous avons contacté des professionnels de la santé. Tous ont souligné sa gravité et le fait que de nombreux patients, ainsi que leurs familles, en souffrent en silence. Et même si les progrès scientifiques ont permis d’améliorer la prise en charge, cette maladie reste aujourd’hui incurable. (Nous reviendrons sur ce sujet dans nos prochaines éditions.)
Quand la technologie prend le relais... et redonne espoir
Face à tous ces obstacles, Racha n’a pourtant jamais renoncé. Pour elle, décrocher son diplôme d’ingénieure n’était pas seulement un accomplissement académique, mais un véritable acte de résistance, une preuve tangible qu’elle refusait de se laisser abattre par la maladie.
Cette détermination ne doit rien au hasard. Elle s’ancre dans une philosophie de vie profondément construite, nourrie par les épreuves, mais aussi par une force intérieure constante.
«Quand on traverse une épreuve, on a toujours deux choix : s’arrêter ou avancer. Moi, j’ai choisi d’avancer. Je crois sincèrement qu’un corps peut flancher, mais si l’âme reste solide et que l’esprit tient bon, alors on peut continuer à marcher. Autrement, mais on avance», confie-t-elle. C’est justement dans l’écriture qu’elle a trouvé un nouveau souffle pour continuer à avancer et donner sens à son vécu. À travers ses textes, elle exprime la maladie, le deuil, l’attente, la patience, mais aussi l’amour, la lumière et, bien sûr... l’espoir. Pour Racha, ce mot est fondamental.
«L’
espoir, c’est un mot magique. Quand on le garde vivant, même une journée difficile peut devenir supportable», insiste-t-elle.
C’est cet espoir, discret, mais tenace, qui guide sa plume et donne à ses écrits leur force. Elle tient toutefois à rappeler que cette parole n’aurait pas pu naître sans une aide devenue indispensable : la technologie.
«Je ne peux plus écrire avec les mains, j’en suis physiquement incapable. Et ça me manque énormément. Mais grâce à la reconnaissance vocale – un logiciel qui retranscrit fidèlement ce que je dis –, j’ai pu continuer à créer, à exprimer et à partager. Sans ça, je n’aurais pas pu écrire un seul mot. La technologie me permet de rester connectée au monde, à mes idées, à mon expression. C’est un outil puissant, surtout quand on perd peu à peu le geste», explique-t-elle.
Ainsi, la technologie devient un véritable levier d’autonomie, un moyen de liberté et de création. Dans le silence imposé par le handicap, elle agit comme une passerelle entre un corps entravé et un esprit resté libre.
Aujourd’hui, Racha travaille sur un deuxième ouvrage, cette fois soutenu par le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication. Une nouvelle étape dans son parcours, portée par le même élan vital : écrire pour se reconstruire, mais aussi pour transmettre.
Car ce jour-là, Racha ne nous a pas seulement parlé de maladie ou de poésie. Elle nous a offert bien plus que des mots : une leçon de courage, de foi en la vie et de résilience. Elle nous a rappelé qu’une maladie peut affaiblir un corps, mais jamais une volonté. Que la poésie peut être un acte de résistance. Et qu’au cœur même de la douleur, il est toujours possible de semer des graines de joie.