Lorsque la question morale se pose, la guerre nécessite une justification, contrairement à la paix, qui toujours va de soi. Certes, la paix demeure le but suprême, mais pour y parvenir, il faut passer par la case affrontement militaire, éradiquer Daech est de ces situations qui exigent la guerre.
Dès le début du mois d’août, des décisions commencent à être prises à l’encontre de Daech (EIIL) et quelques mois après avoir déclaré que les groupes comme Daech étaient des acteurs mineurs, les USA envisagent de s’attaquer sérieusement au terrorisme pratiqué par cette organisation et exécutent des frappes aériennes. Les Américains finissent par admettre la gravité de la situation et par accepter de ramener le secondaire au premier plan : éradiquer cette mouvance djihadiste qualifiée par Chuk Hagel, secrétaire d’État américain à la Défense, de «groupe terroriste le plus sophistiqué et le mieux financé de tous ceux que nous ayons connus».
Une attitude qui a trouvé écho au Vatican, où la lutte contre Daech a fait l’objet d’une déclaration du Pape François le 20 août dernier : «Ce que fait l’État islamique constitue une agression injuste, il est licite d’arrêter l’agresseur injuste (...) en évaluant tous les moyens nécessaires pour y parvenir». Certains y ont vu un appel à la croisade, la déclaration du pape n’étant pas sans rappeler le concept de «Guerre juste» qui a sanctifié la guerre pour la légitimer contre les musulmans au 13e siècle. Deux précisions pour rassurer les sceptiques du monde arabo-musulman, désamorcer les discours populistes et mettre fin à toute idée de croisade. La première précision tient au fait que le pape n’est pas allé jusqu’à proclamer l’indulgence plénière et absoudre les soldats occidentaux de leur péché, pratique courante envers les croisés, durant l’époque médiévale.
La deuxième précision se résume dans la déclaration, dans la foulée, du grand Mufti de La Mecque, Abdel Aziz Al-Asheikh : «l’extrémisme et l’idéologie de groupes islamiques tels que l’État islamique sont contraires à l’Islam et les musulmans en sont les premières victimes».
On retient de cette déclaration, en plus du message rassurant, un message intelligent et proactif : l’action concertée de pays à majorité sunnite ne doit pas être considérée comme une revanche sur les chiites. La déclaration papale, quant à elle, a encouragé certains pays occidentaux, jusque-là hésitants, à envisager de s’engager dans la lutte contre Daech.Au-delà des condamnations des hautes autorités religieuses chrétiennes et musulmanes, l’Organisation des Nations unies élargit le cercle des groupes à combattre, outre Daech, à celui de «Jabhat Al Nosra». La résolution 2170 condamne Daech et Al Nosra ainsi que tous ceux qui les soutiennent, appelle à les combattre, exhorte à l’interdiction de leur financement direct ou indirect et de leur armement. La reconnaissance par le Conseil de sécurité du caractère terroriste des deux organisations Daech et Al Nosra peut être interprétée comme le fait que la Syrie subit une agression étrangère terroriste et non une révolution populaire. Une autre interprétation de cette résolution n’est pas à occulter, créer un précédent qui justifierait les frappes aériennes sur le territoire syrien sous couvert de la guerre contre Daech.
Couper court à toutes ces interprétations stériles, susceptibles de polluer le débat de part et d’autre de la Méditerranée et de l’Océan Atlantique, implique une bonne stratégie de communication autour de cette vaste offensive militaire contre le terrorisme. Les gouvernements et les organisations impliqués devront communiquer intelligemment et de manière proactive.
Quand on parcourt certains blogs et sites d’information, les mêmes questions reviennent et se rapportent à cinq rubriques.
1. Certains pays du Golfe sont-ils les principaux bailleurs de fonds de pareils mouvements ?
N’est-il pas été souvent fait allusion au Qatar et à l’Arabie saoudite comme étant les principaux financiers ?
2. Abou Bakr Al Baghdadi est-il un agent US ?
Qui procure à Al Baghdadi une pareille assurance ? Comment se fait-il qu’il ait pu bénéficier d’un sursis ? Pourquoi le programme «récompense pour la justice» qui offre une prime de 23 millions de dollars pour toute information pouvant conduire à la capture des djihadistes Mokhtar Belmokhtar et Abubakar Shekau, n’a-t-elle pas été déclenché pour Al Baghdadi ? Pourquoi Abou Bakr al-Baghdadi ne figure-t-il pas sur la liste du terrorisme international ? Prendre des décisions pareilles serait-il compromettant pour les USA dont certains des agents ont été photographiés en compagnie d’Al-Baghdadi ?
3. Les USA et les autres pays de l’OTAN, premiers fournisseurs d’informations stratégiques à Daech ?
N’est-ce pas ces puissances militaires qui possèdent des satellites sophistiqués orientés sur la région ? N’est-ce pas ce genre de satellites qui permettent de produire des cartes détaillées des territoires syrien et irakien ? N’est-ce pas les agences de renseignements à la page qui peuvent procurer des détails sur les points forts et les points faibles des armées de la région ?
4. La Turquie, pays de transit des recrues potentielles de Daech
Pourquoi la Turquie n’interdit-elle pas ses ports et aéroports aux terroristes de Daech en direction de la Syrie et de l’Irak ? Pourquoi la communauté internationale ne lui adresse-t-elle pas un avertissement ?
5. La Turquie, membre de l’OTAN, encourage la contrebande du pétrole volé en Irak et en Syrie
La Turquie n’est-elle pas impliquée dans le trafic de pétrole volé, en Syrie et en Irak, pour être vendu sur le marché international et notamment à l’Europe ? Pourquoi aucune mesure dissuasive n’a-t-elle été prise contre la Turquie ?
On en déduit que dans l’intervention contre Daech, les initiateurs et les coalisés portent, d’une façon ou d’une autre, pour monsieur et madame lambda, la responsabilité physique et morale des crimes perpétrés par cette organisation terroriste. Dissiper les ambiguïtés afin d’éviter des écueils qui peuvent en découler devrait tenir une place aussi importante que la stratégie militaire déployée dans la région. On ne peut garantir le succès d’un projet que lorsque tous les protagonistes y adhèrent, et pour y adhérer, il est essentiel de comprendre pour établir, ou dans ce cas précis, rétablir la confiance. Ce n’est pas aux Américains, pionniers du smart power (voir Géopolis n° 8) et à leurs coalisés qu’on va apprendre le b.a.-ba et l’importance de la séduction.