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Le déclin de la forêt se confirme

Les défaillances de la régénération et la tendance continue de la déforestation estimée aujourd’hui à 30 000 ha par an ne sont pas rassurantes.

Le déclin de la forêt se confirme
La gestion forestière est très complexe.

Le 21 mars a été déclaré Journée internationale des forêts par l’Organisation des Nations unies (ONU). A partir de 2013, ce rendez-vous annuel sera l’occasion pour célébrer la forêt et pour faire prendre conscience de l’importance qu’elle revêt pour la vie.
Si cette journée est l’occasion pour sensibiliser le public, elle sert aussi à dresser un bilan de la politique nationale forestière.

Concernant l’éducation à l’environnement, parmi les actions prévues, l’organisation jeudi 21 mars à 10h, au parc national de Toubkal, par le Haut Commissariat aux eaux et aux forêts et à la lutte contre la désertification (HCEFLCD), d’une journée d’animation et de sensibilisation aux enjeux de conservation des ressources naturelles au bénéfice des élèves de certains établissements scolaires à Tamadote.

Mais le sujet qui fâche est celui des problèmes de la gouvernance de la forêt en raison du manque de coordination entre les départements ministériels concernés, comme c’est souvent décrié par les différents acteurs, notamment les associations. «La gestion forestière est très complexe, non seulement à cause de la nature des écosystèmes eux-mêmes qui sont très diversifiés, mais aussi par l’existence d’un certain nombre de facteurs militants qui l’influencent directement ou indirectement. En plus des risques naturels liés à l’aridité du climat et au changement climatique, il y a la pression anthropique qui pèse lourdement sur la forêt marocaine à travers les prélèvements excessifs de bois, surtout le bois de feu, le défrichement pour des besoins d’extension agricole, surtout dans la région rifaine, et le surpâturage, plus particulièrement dans les forêts du Moyen Atlas», a expliqué Abdellatif Khattabi, professeur à l’Ecole nationale forestière d’ingénieurs (ENFI).

Et d’ajouter : «Les milieux de vie que sont les forêts sont indispensables à de nombreuses espèces, animales et végétales. Malheureusement, cet équilibre est assez perturbé dans de nombreux cas de la forêt marocaine, ce qui met en péril sa pérennité. Les défaillances observées au niveau de la régénération des forêts naturelles et dans la réussite des plantations, la tendance continue de la déforestation estimée aujourd’hui à 30 000 ha par an, ne sont pas rassurantes quant au maintien de la bonne santé des forêts et de la préservation de ce capital. Même si la perte en termes de superficie forestière annoncée ci-dessous, ne renseigne pas sur la perte réelle, du fait qu’elle n’a pas été objet d’une évaluation approfondie, elle donne déjà une indication sur l’évolution négative du stock de bois sur pied, du flux de biens et services écosystémiques ou des superficies forestières, suffisante pour tirer la sonnette d’alarme pour un SOS de la forêt marocaine.»

Abdellatif Khattabi poursuit : «Malheureusement, pallier cette tendance n’est pas une mission aisée et nécessite un travail d’endurance et à long terme pour pouvoir corriger les causes à la racine, qui sont souvent d’ordre socio-économique. En dehors des causes qui sont liées aux phénomènes naturels et qui sont souvent hors de la portée préventive, les causes anthropiques peuvent être corrigées par des mesures de renforcement de la surveillance et de la rigueur dans l’application de la réglementation en vigueur, et par des mesures de motivation économique de la population locale pour l’amener à diminuer la pression sur les forêts riveraines.»

Lutte contre la déforestation

Si le constat alerte sur les dangers qui guettent la forêt nationale, il n’empêche que des actions pour sauver ce qui peut l’être sont réalisées sur le terrain, en matière de lutte contre le bois de feu qui est l’ennemi numéro un de la forêt. Parmi les initiatives réalisées en matière de lutte contre la déforestation, il y a le souci de prendre le problème dans sa globalité et selon trois axes principaux. «Un premier axe consiste à fournir aux populations locales du bois-énergie qui ne soit pas issu de la forêt. Ce bois est produit par la mise en place des filières de taille des arbres fruitiers (oliviers et caroubiers principalement), 80% du bois ainsi produit est utilisé directement par les familles à proximité des massifs forestiers ciblés, 20% de ce bois-énergie est commercialisés vers les hammams (bains public) et les boulangeries», a souligné Philippe Weisz, chef de projet Maroc Nord Energie Durable (MNED), réalisé par le Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarités (GERES) dans le Nord. Pour ce qui est du deuxième axe, «il consiste à réduire la quantité de bois-énergie utilisée par les familles à proximité des sites forestiers. Pour cela, nous avons fait concevoir des équipements spécifiquement dédiés à ces familles : des fours à pain haute performance à gaz individuels et des cuisinières à bois haute performance. Les fours à gaz sont ainsi devenus l’équipement que nous diffusons le plus, fabriqués localement et commercialisés maintenant sans subvention extérieure.»

Pollution atmosphérique

Quant au troisième axe, il vise à réduire la déforestation due au défrichement de remplacement des terres agricoles emportées par l’érosion, phénomène très important dans le Rif. «Nous travaillons avec des agriculteurs à la lutte contre l’érosion, en introduisant les techniques adaptées (dont l’agro-écologie) et en permettant une meilleure valorisation de ces productions agricoles de montagne via un réseau de cinq restaurants engagés de Chefchaouen qui soutiennent ces petits producteurs», a ajouté M. Weisz.
La lutte contre la déforestation s’accompagne aussi par la sensibilisation de la population à utiliser des équipements à forte performance énergétique. Pour les responsables du projet MNED, «les populations rurales sont très sensibles à la condition des femmes qui assurent dans des conditions difficiles l’approvisionnement en bois-énergie. L’encouragement passe donc par une appropriation de l’équipement via des séances de démonstrations de cuisson de pain dans chaque douar (village). Les notions de qualité de cuisson et de faible consommation de gaz sont les critères principaux qui intéressent les familles rurales habitant souvent dans des douars enclavés ou aux pistes impraticables en hiver rendant l’approvisionnement en gaz difficile à certaines périodes.» De plus en plus, les populations sont conscientes des impacts négatifs des fours traditionnels sur la santé. «Les familles ont conscience de la pollution de l’air (fumées, ou gaz imbrulés de certains fours à gaz existant). En abordant ce sujet lors des sensibilisations, on peut faire rapidement comprendre qu’un équipement apportant une faible consommation de gaz, une qualité de cuisson ‘’comme au bois’’ et une sécurité accrue correspond bien à un vrai acte de modernisation des foyers. Dans ces conditions, l’investissement élevé que cette acquisition représente est finalement accepté», a conclu M. Weisz.


Questions à : Mohamed Sabir, professeur à l’Ecole nationale forestière d’ingénieurs (Enfi) 

«Le départ des jeunes déstructure la société rurale»

Quel regard portez-vous sur la gouvernance forestière nationale ?
Historiquement, le secteur forestier du Maroc a connu une administration des plus anciennes et la mieux organisée du point de vue législatif et territorial. La diversité géographique, naturelle et humaine des espaces gérés est à l’origine d’un capital législatif et d’une expérience de gouvernance des plus riches du Royaume et d’Afrique du Nord. Le patrimoine naturel est actuellement considéré comme le levier du développement des zones montagneuses. Le secteur connaît une ouverture intéressante sur tous les partenaires et acteurs locaux et nationaux. La foresterie sociale prend de l’essor. Les fonctions environnementales de la forêt sont de plus en plus valorisées (séquestration du carbone, envasement des barrages, production d’une eau de qualité). Cela devrait jouer en faveur des ressources naturelles dans le cadre des investissements stratégiques du pays pour un développement durable. On note une insuffisance cruciale en moyens humain et matériel pour accompagner cette dynamique de gouvernance et rendre l’action publique encore plus efficace.
Quel est le principal danger qui menace la forêt marocaine et auquel il faut s’attaquer le plus tôt possible ?
C’est l’Homme. La destruction des ressorts traditionnels de régulation et de gestion des espaces (perte de solidarité communautaire, individualisme) a provoqué des situations de déséquilibre variables selon les zones agro-écologiques. On note dans l’Oriental une course à la mise en culture des steppes (melkisation des terres), dans le Rif occidental, l’extension d’une culture à forte plus-value, dans le Plateau central, la Maâmora, le Moyen et Haut-Atlas, la pauvreté et le chômage poussent à la surexploitation des ressources gratuites (bois, énergie, parcours), dans l’Anti-Atlas et Haut Atlas occidental, le départ des jeunes déstructure la société rurale et donc les systèmes d’exploitation et dans le Souss, la rentabilité financière des investissements à court terme épuise les ressources (terres, eau, biodiversité, etc.). Les efforts de tous devront s’orienter vers le développement d’une conscience nationale collective sur la valeur fondamentale de la forêt et des ressources naturelles dans le bien-être de l’Homme (qualité de l’eau, de l’air et du paysage, atténuation des effets des changements climatiques, etc.).

Quelles sont les solutions d’urgence à entreprendre ?
La solution n’est que globale. Les déséquilibres actuels ne peuvent être contrecarrées que dans le cadre d’un développement durable effectif du Royaume, renforçant les solidarités amont-aval, plaine-montagne, rural-urbain, riche-pauvre, génération actuelle-génération future et permettant la mise en place d’une équité sociale (accès aux biens et services). Néanmoins, on peut penser que la lutte contre la pauvreté et le renforcement de l’application des lois peuvent alléger à court terme le processus de dégradation.
En outre, l’action des pouvoirs publics devrait être plus efficace à travers une meilleure coordination et harmonisation de leurs programmes aux niveaux local et régional (Haut commissariat aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification, ministère de l’Agriculture et de la pêche maritime, ministère de l’Intérieur, Education nationale, etc.).

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