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A l'Institut Cervantes : dans l'obscure clarté d'une Ibérie musicale

Rodrigo! Rien que Rodrigo! Mais pas tout Rodrigo ! Loin s'en faut, tant le compositeur espagnol - qui vécut de 1901 à 1999 - fut prolifique, et en un peu plus d'une heure au théâtre de l'Institut Cervantes à Casablanca, le pianiste majorquin (d'adoptio

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Mais toutefois ce qui nous fut donné à entendre fut de nature à modifier notre perception du compositeur ibérique. C'est d'ailleurs l'aspect composite de ses pièces passant d'un néo-romantisme étonnant à un modernisme formel qui ne l'est pas moins qui nous le rend si difficile à bien comprendre.
De Rodrigo, on connaît son succès universel «Conciertio de Aranjuez» ou encore celui inspiré du musicien aragonais Sanz «Fantasia para un Gentilhombre», mais des autres œuvres de l'illustre non-voyant hispanique point d'échos ou si peu hors des cercles d'initiés. C'est donc non sans une certaine dose de curiosité que les mélomanes casablancais allaient découvrir à la veille d'un week-end d'autres modes de pensée musicale, avant tout pianistique, d'un compositeur qu'on as116 volontiers depuis des lustres à ses deux pièces de choix qui firent tant pour sa renommée à l'intérieur comme à l'extérieur du pays des Ibères. Ce soir-là, il nous étonna par ses sonorités polymorphes, c'est le moins qu'on puisse dire.
Si, au fil du temps, la musique de Rodrigo a acquis la réputation d'être légère et aimable en mêlant l'esprit galant du XVIIIe siècle au folklore 110nal, recherchant les effets d'une orchestration colorée et d'une harmonie sensuelle, elle nous parut cette fois-ci s'exprimer dans un registre sonore quasi aux antipodes d'une vision artistique quelque peu allègre. Certes, dans les pièces interprétées on y retrouve encore des emphases joyeuses, mais il s'en dégage aussi une tristesse, un spleen, notamment dans la «sonate castillane» dont les effets lugubres d'une procession mortuaire sonnent un glas qui n'a rien à envier à la fameuse «Marche Funèbre» de Chopin. Qu'à cela s'ajoutent des réminiscences schumaniennes ou des accents beethoveniens brisés soudainement dans leurs envolées romantiques par une amère atonalité, digne émule d'un Stockhaussen, et l'on ne se retrouve plus dans ses repères musicaux.
Alors, mélange de genres? Pas forcément, Plutôt l'autres versant d'un frère mystique d'un manuel de Falla notamment! Et le pianiste Bartomeu Jaume ne s'en cache pas.
Il y a pour lui- et son récital pianistique tente de l'exprimer ainsi - une forte accointance entre Rodrigo et de Falla, à qui tout musicien espagnol du XXe siècle doit quelque chose, ne serait-ce qu'une part de sa gloire artistique, si ce n'est une influence sublimale. Comme chez de Falla, la musique espagnole» de Rodrigo est épurée, tout en demeurant fidèle à un certain mode expressionniste «110naliste» non régionaliste, même s'il lui arrive d'écrire une «danse valencienne» Rodrigo a une sensibilité artistique avant tout «castillane».
Sa célébrité serait-elle due à son art, à son infirmité ou à la protection du Caudillo? Le pianiste Bertomeu Jaume est formel: l'essentiel tient à son génie, pour le reste sans doute l'influence morale due à sa cécité marqua sa sensibilité artistique, mais l'appui franquiste qu'on lui prête à son interprète un faux procès, bien qu'il convienne que durant les sombres années Rodrigo fut bien le seul à demeurer en son pays, puisque ses collègues musiciens préférèrent s'exiler. Mais tout ceci n'a pas grand rapport avec ses véritables dons de créateur qui permirent à ses œuvres de voltiger avec aisance dans une «obscure lumière», et dans un certain sens Joaquin Rodrigo fut durant toute sa vie un compositeur à vocation manichéenne.
Il n'en reste pas moins que l'interpréter n'est pas chose aisée, et Bartomeu Jaume reconnaît volontiers que son jeu lors de la soirée casablancaise n'en est qu'un parmi d'autres, puisqu'il y a encore tant de choses à dire sur l'esthétique de la musique «rodriguienne». On s'en doutait un peu, et l'envolée tourbillonnante du bis traduisait bien cet aspect antithétique de la création du musicien somme toute Valentcien, malgré sa vocation 110nale, reflet peut-être de sentiments issus d'un vécu dramatique de son temps, dans un pays terriblement traumatisé par les affres d'une guerre civile. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la non-voyance permit à Joaquin Rodrigo de se révéler un clairvoyant, musicalement parlant. Il appartint à Bartomeu Jaume, un pianiste aussi cultivé qu'iconoclaste dans son refus de se laisser enfermer dans une spécialité particulière, de nous le servir dans une situation idoine et de justifier ainsi son inscription au panthéon des compositeurs espagnols du XXe siècle.
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