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«Chronique d'une guerre d'Orient» de Gilles Kepel

Voici un livre très attendu, d'un chercheur que les attentat du 11 septembre ont projeté au devant de la scène médiatique. Très critiqué pour avoir prédit le déclin de l'islamisme, il décide finalement de réagir à travers ce nouvel ouvrage intitulé: Chron

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Gilles Kepel est en effet, l'un des des intellectuels qui ont été pris à parti par les média au lendemain de la tragédie de New-York et l'irruption fulgurante de l'islamisme sur la scène international. Etant l'un des spécialistes les plus prolifiques en France des mouvements islamistes -on lui doit une dizaine d'ouvrages sur le sujet depuis 1984 dont Le Prophète et le Pharaon (aux sources du mouvements islamistes); Les Banlieue de l'islam; La Revanche de dieu: chrétiens, juifs et musulman à la reconquête du monde et enfin Jihad-Expansion et déclin de l'islamisme.
C'est ce dernier livre justement qui lui a attiré les foudres de la critique, particulièrement celle des média qui, sous l'effet de la fascination par le coup de force contre le pays le plus puissant du monde, ont vite conclu à la futilité et au discrédit des prédictions du chercheur concernant l'avenir du mouvement islamiste.
Que dit Kepel dans Jihad? Si la base du mouvement islamiste est constitué largement par les couches suburbaines déshéritées, l'essentiel de sa charpente qui lui donne une structure et de la vigueur est constitué des classes moyennes citadines, ce que Kepel appelle la bourgeoisie pieuse. Pour lui, cette alliance contre nature est en train d'être minée par ses propres contradictions dues aux écarts des intérêts d'abord, et ensuite à la tendance vers la radicalisation du mouvement sous l'influence des couches déshérités. Privée de l'appui de la bourgeoisie pieuse apeurée, le mouvement est condamné à la dérive et au déclin. C'est le constat qu'il effectue à la suite d'une enquête approfondie dans les différentes régions où l'islamisme tient le haut du pavé.
Gilles Kepel loin d'être un amateur de la chose islamiste, a au contraire une maîtrise certaine de la langue et de la culture arabe, il a fait des études en Syrie et en Égypte avant de faire la connaissance réelle avec les différentes régions islamiques où il a su noué des liens avec des intellectuels et des dirigeants politiques de différents horizons. On peut lui faire le reproche d'appréhender des phénomène sociaux complexe sous le prisme quelque peu réducteur de la méthodologie marxisante et même franchement marxiste, mais, en aucun cas, on ne peut lui faire le procès de méconnaître la matière et les hommes qu'il traite.
«Chronique d'une guerre d'orient» ne ressemble aucunement aux autres ouvrages de Kepel quant à la forme. c'est un livre conçu, à dessein sans doute, sous forme de carnet de route écrit dans un style léger et alerte à la manière d'un journal personnel esquissant les faits et les évènements en pointillé sans trop les développer.
Il s'adresse en ces termes à ses détracteurs, auteur de «»livres instantanés» coupés-collés à partir de l'internet»: «Voyez-les même, pour conforter leur imposture et conquérir des parts de marché, crier haro sur les orientalistes universitaires, leur intenter, avec la complicité de quelques rédactions à l'affût d'esclandres prometteurs de gros tirage, des procès en sorcellerie, tâcher de les livrer à la vindicte populaire. Nous en avons vu avec mes collègues, après le 11 septembre! Sans se donner la peine de lire nos livres, les voilà qui hurlent: quoi, analyser le déclin de l'islamisme? Les chers professeurs sont des nimbus-pour le moins- à moins qu'il ne soient vendu? «Juché sur son minaret conceptuel», diagnostique sur mon cas l'un, romancier amateur qui se pique de style -»Vous êtes gouré ou quoi ?» apostrophe un autre (...)La clameur cesse d'un coup avec la chute de Kaboul, la débâcle des Talibans et la traque de Ben Laden(...)Tenez, messieurs, sans rancune: voici, pour votre pénitence et votre édification, ce bref récit de voyage.»
De fait il s'agit d'un récit de voyage, ou plutôt le récit d'un retour sur des lieux familiers à l'auteur, où l'islamisme a sévit, qui commence un mois après l'attentat de New York jusqu'à la fin de novembre 2001.

Un coup dur pour les intégristes


Kepel persiste et signe: l'islamisme est bel est bien en déclin dans le monde musulman, malgré le coup d'éclat spectaculaire de New-York. La «bourgeoisie pieuse», apeurée par le radicalisme du mouvement, et la détermination international d'en découdre avec le terrorisme intégriste, a pris ses distance à la suite de la débâcle des Talibans. Il constate, à travers l'observation des comportements quotidiens dans les pays qu'il a visité, notamment l'Égypte, le Liban, la Syrie; les témoignages de ses interlocuteurs et les discussions mondaines que l'image de Ben Laden a pris un coup au fur et à mesure que l'issue des événements se précise.
Si le port du voile par les femmes subsiste encore, si le discours d'inspiration islamiste a encore cours, la tendance est à l'appropriation de ces artifices et leur détournement au service d'autres fins. C'est le cas de ce club au Caire : «Le club possède une mosquée où un jeune prédicateur très branché, Amr khaled, s'est construit une telle réputation qu'il concurrence les chanteurs populaire. Mal vu par les oulémas d'al Azhar, dont certains le traitent de «cheikh-show», il prône l'enrichissement, ponctue ses sermons de références au dernier téléphone portable ou à des voitures de luxe. Il est très demandé par les écoles privées où la classe moyenne pieuse envoie sa progéniture. Le marketing de ses cassettes est assuré par une société spécialisée, que l'on contacte par téléphone».
Pour Gilles Kepel «la clôture identitaire» prôné par les islamistes radicaux, aussi bien que les assertions sur le «choc des civilisations» colportées par les média à la suite de Huntington sont en rupture totale avec la réalité de tous les jours: «dans notre univers globalisé, il y a de l'Occident en terre musulmane, et des musulmans en terre occidentale. Il ne s'agit pas d'une guerre de civilisations, mais d'un conflit complexe à l'intérieur de civilisations interpénétrées qui sont condamnées à faire dialoguer leurs cultures en permanence, quoi que disent islamistes d'un côté et extrême droite de l'autre. Les islamistes ne constituent ni la fin de l'Histoire des sociétés musulmanes ni leur raison dernière».

«Chronique d'une guerre d'Orient»- Gilles Kepel
Ed. Gallimard 130p. 160 dh
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