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«Pas d'incompatibilité entre l'Etat de droit et la coutume»

Pratique ancestrale, le droit coutumier s'impose toujours quand il s'agit de la répartition des terres collectives

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Le Matin : Comment définissez-vous le droit coutumier ?
Rachid Filali Meknassi :
L'expression «droit coutumier» désigne les règles de droit en vigueur qui puisent leur source dans les coutumes, par différence avec le droit «moderne» sous forme écrite et le droit «musulman» formulé à partir du Coran et la Sounna.

Avant le protectorat, on distinguait les territoires de coutume relevant de la justice tribale et les territoires Makhzen dans lesquels la justice était rendue par les cadis et les représentants du Sultan (Pacha et caïd). Sous le protectorat, on opposait plutôt la sphère du droit moderne à celle du droit musulman et coutumier, lesquels correspondaient plutôt aux zones de l'économie coloniale et de la vie des populations autochtone. Depuis l'indépendance, ces distinctions ont perdu de leur intérêt dans la mesure où tous les rapports de droit relèvent de la loi.

D'une part, celle-ci renvoie parfois à la coutume pour le règlement de certaines questions, d'autre part, dans le silence de la loi, il est admis dans tous les systèmes juridiques que l'on ait recours aux usages et coutumes.

C'est précisément le cas en ce qui concerne les terres collectives. Leur régime est antérieur au Protectorat.
Celui-ci autant que le Maroc indépendant l'ont maintenu par la force de la loi écrite, laquelle renvoie pour les questions pratiques aux usages et coutumes des tribus concernées.

Comment se fait-il que les terres collectives relèvent encore du droit coutumier ?

Le régime des terres collectives illustre parfaitement cette situation. Sa base légale est constituée par le «dahir du 27 avril 1919 organisant la tutelle administrative des collectivités indigènes et réglementant la gestion et l'aliénation des biens collectifs» et son arrêté d'application du 26 décembre 1920. Par ce dispositif, le protectorat a cherché à maintenir aux tribus leur mainmise sur les terres qu'elles exploitaient tout en soumettant leur dévolution à son contrôle.

Il a ainsi qualifié le droit des communautés ethniques sur leurs terres de «propriété collective» que chacune d'elles est admise à gérer selon ses usages et coutumes propres qui se sont ainsi trouvés perpétués par le droit écrit. En revanche, la cession et le partage définitif de cette propriété, déclarée insaisissable, imprescriptible et inaliénable, ne peuvent s'effectuer qu'après autorisation du conseil de tutelle, en l'occurrence l'administration du protectorat, et depuis l'indépendance, celle de l'Intérieur.

Pourquoi le droit coutumier exclut-il les femmes originaires des terres collectives ?

L'exclusion des femmes semble renforcer l'idée que le mode d'exploitation collectif de ces terres est antérieur à l'avènement de l'Islam, puisque celui-ci autorise l'accès à la propriété immobilière des hommes et des femmes, dans les mêmes conditions, sous réserve des différences relatives aux parts successorales.

On peut penser, comme l'ont soutenu certains chercheurs
au début du siècle, que la répartition périodique de ces terres s'effectuait exclusivement entre les familles qui exploitent
effectivement ce patrimoine commun, ce qui conduit à prendre les foyers comme unité de calcul.

On a pu observer aussi l'inclusion des adolescents, avant leur mariage, dans cette opération pour les encourager à produire et à fonder famille.

Cette pratique s'est figée par la loi et se trouve expressément inscrite dans l'article 4 du dahir précité, tel qu'il a été modifié et complété en 1963.

Celui-ci désigne, en effet «le chef de famille» comme attributaire tant dans la répartition périodique de la jouissance
des lots par l'assemblée des délégués de la communauté que dans la fixation définitive de ce partage au moyen de l'attribution «de la jouissance perpétuelle». Aucune distinction n'est faite à ce titre entre la répartition au titre de l'exploitation temporaire, l'attribution définitive de lots et le partage éventuel du
produit d'indemnisation.
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Survivance du «ôrf»

Une question qui revient souvent concernant le droit coutumier alors que nous sommes dans un Etat de droit. Selon Rachid Filali Meknassi, il n'existe pas d'incompatibilité fondamentale entre l'Etat de droit et la survivance de la coutume. En fait, un Etat de droit peut parfaitement conférer à la coutume une place supérieure à la loi ordinaire.

C'est notamment le cas lorsque la constitution est coutumière ou lorsqu'on reconnaît aux pratiques religieuses une suprématie. Dans les pays anglo-saxons, par exemple, cette situation est courante. En revanche, dans les pays qui attribuent à la loi écrite une place prépondérante, la coutume devient une source complémentaire du droit destinée à combler ses silences et à faciliter son interprétation.
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