C’est une grande perte pour les arts plastiques au Maroc. Farid Belkahia, un des pionniers de l’art contemporain, vient de tirer de sa révérence des suites d’une longue bataille avec la maladie. Sans conteste, le défunt était un virtuose et son jeu était très sensible. C’est ce que pense également la majorité des artistes-peintres et critiques d’art de différentes générations.
À croire l’écrivain, poète et diplomate libanais Salah Stétié, pour qui, Farid Belkahia est un artiste novateur. «Novateur ? Oui, avec décision, mais non de la tribu de ceux qui, pour renouveler les choses, commencent par casser la tradition dont, le veulent-ils ou non, ils sont issus. Belkahia est trop sûr de la nature et de la qualité de sa tradition, arabe et amazigh, islamique et méditerranéenne, immémoriale et tournée vers le futur, chevauchant l'Orient et l'Occident sur le même cheval - avec sensibilité, mais aussi, et très souvent, avec autorité. Non pas l'autorité de la volonté, mais celle, énigmatique, de la fascination», explique-t-il.
En témoignent ses œuvres où il accordait une importance au geste. En somme, son œuvre figure en bonne place dans le patrimoine pictural marocain, et l'artiste lui-même parmi les figures de proue de la peinture au niveau national et international. Ses travaux gardent jusqu’à aujourd’hui une pureté de forme, une stylisation, un raffinement des couleurs. Lauréat de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris dans les années 50’s, Farid Belkahia qui, depuis son retour au Maroc, est directeur de l’École des beaux-arts de Casablanca de 1962 à 1974, s’engage aux côtés des intellectuels et des artistes pour travailler à la réappropriation du patrimoine marocain dans la création artistique. «Figure emblématique du mouvement de la peinture et des arts visuels au Maroc, il est particulièrement connu pour ses cuivres martelés et désoxydés des années 1970, ses peaux et pigments naturels des années 1980 à nos jours. Les formes sensuelles s’éloignent définitivement des représentations sombres des débuts “figuratifs”- un terme qu’il exècre – des années 1950 qui traduisaient une crise existentielle de l’aveu même de l’artiste», se souvient la critique d’art Dounia Benqassem, auteure du «Dictionnaire des artistes contemporains du Maroc» aux Éditions Africarts.
Dans son expression picturale, Farid Belkahia manipule les différentes techniques mises à sa disposition pour aboutir à une œuvre qui, même après plus d’un demi-siècle, ne vieillit toujours pas. À la fois lyriques et géométriques, ses œuvres (cuivres, peaux, lithographies, sérigraphies et gravures) se trouvent dans plusieurs collections privées, des institutions et des musées au Maroc et à l’étranger. Les critiques d’art s’accordent à ainsi dire que Farid Belkahia possède un charisme important et est un plasticien unique, hors pair, qui donnait libre cours à sa sensibilité. Avec son décès, c’est une école de peinture qui disparaît. C’est toute la scène des arts plastiques qui perd un de ses piliers, de ses fondateurs, de ses figures emblématiques.
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témoignages : Jack Lang, président de l'Institut du monde arabe
«Farid Belkahia est l'honneur du Maroc contemporain»
«Farid Belkahia a vécu grand, est parti grand, restera grand dans l'histoire de l'art. Sa place y est immense. Il est l'un des plus grands artistes marocains et arabes. Son œuvre domine la scène artistique mondiale. Par son ampleur et sa singularité, elle est un pont entre l'Afrique et l'Europe. Farid Belkahia est l'honneur du Maroc contemporain. Tout en tournant avec force la page de l'histoire coloniale, il ressentait pour la France et pour Paris un amour passionné. L'exposition évènement “Le Maroc contemporain”, que l'Institut du monde arabe inaugure le 14 octobre prochain, sera ouverte par les œuvres de Farid Belkahia, qui fut l'un des plus grands inspirateurs de la renaissance artistique marocaine. J'avais eu le privilège de le rencontrer à plusieurs reprises cet été. J'avais une fois de plus mesuré sa dignité et son élégance face au destin qui l'attendait. Soutenu avec affection par son épouse Rajae, il a affronté avec son éternel sourire le mal qui le rongeait. Prince de l'art, il était aussi un prince de l'humanité. Il est pour nous tous un exemple d'intelligence, de passion et de générosité».
La Fondation nationale des musées
Hommage à la palette de Farid Belkahia
La Fondation nationale des musées, son président Mehdi Qotbi, ainsi que les équipes de tous ses musées présentent leurs vives et sincères condoléances à la famille et aux proches de Farid Belkahia. Avec le décès de cet artiste disparaît une grande personnalité qui aura profondément marqué l'histoire de l’art au Maroc et qui aura été l’un des plus prestigieux représentants de la scène artistique nationale. En reconnaissance à son œuvre, une salle du Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain porte son nom, tel que l’avait souhaité Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Par ailleurs, un hommage sera rendu au Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain de Rabat à cet homme et artiste exceptionnel qui se réjouissait de son ouverture.