Entré en vigueur le 5 février 2004, le nouveau Code de la famille a posé les jalons d’une société démocratique soucieuse de garantir l’équité entre l’homme et la femme au sein de la famille.
Le texte adopté en 2004 se distingue essentiellement de ses prédécesseurs par le fait d’appuyer les droits de la femme, qui a été mise sur un pied d’égalité avec l’homme et jouit désormais d’une multitude de droits qui ne lui étaient pas acquis par le passé. Au lendemain de l’indépendance, un premier Code (celui du statut personnel et des successions) est promulgué en 1958, constituant une véritable révolution sociétale, car considéré comme le premier recueil de lois permettant aux individus de connaître leurs devoirs et obligations, et aux juges de statuer selon une référence qualifiée d’«exhaustive». En 1993, le Code du statut personnel est modifié par Décret royal, mais se voit toujours confronté à des résistances qui renvoyaient vers les pratiques traditionnelles.
Afin de dépasser définitivement ces entraves et d’adapter les normes familiales à l’évolution de la société islamique, le nouveau Code de la famille a été élaboré – sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI – et soumis à l’approbation du Parlement. Une première au Maroc, car aucune loi sur le statut personnel n’a été assujettie auparavant à la délibération d’une assemblée parlementaire.
L’égalité des époux et les droits de leurs enfants au cœur de la réforme
Adopté par les deux Chambres, le texte contient des dispositions formulées de façon à correspondre à l’environnement et à la conjoncture.
On en citera la responsabilité qui devient partagée entre les deux parties formant un couple (l’élévation de l’âge légal pour le mariage de 15 à 18 ans, l’abolition de la tutelle matrimoniale pour la contraction du mariage, la polygamie qui devient plus difficilement accessible et se concentre sur la bigamie, ou les dissolutions du mariage qui se font à présent au tribunal de famille (après deux tentatives de réconciliation).
Autre source de soulagement pour les femmes : la définition du préjudice subi est élargie à la violence psychologique, ce qui met fin à un long chapitre d’ambigüité enveloppant cette notion.
D’autres avancées considérables ont été enregistrées, comme le maintien de la partie ayant la garde des enfants dans le domicile conjugal. Les droits des enfants victimes du divorce de leurs parents ont été également révisés, puisque le choix du parent gardien est désormais fixé à 15 ans et la mère ne perd pas la garde de ses enfants en cas de remariage, à condition que ces derniers ne dépassent pas les sept ans. La recherche de paternité devient un droit fondamental garanti pour les enfants, bien qu’il soit limité dans certains cas. Autre avancée spéctaculaire, l'abrogation d'un alinéa qui permettait au violeurs d'échapper moyennant le mariage avec sa victime.
Après dix ans d’application, la nouvelle Moudawana semble s’être frayé une place plus conséquente dans les considérations de plusieurs couples, notamment les nouvellement mariés. Certes, les réticences n’ont pas été totalement dépassées, mais la mise en œuvre de ces dispositions connaît certaines améliorations tout comme le degré d’assimilation de la part des juristes, avocats et citoyens surtout.
Certaines dispositions jugées désormais obsolètes
Pour la révision proprement dite, plusieurs articles du Code de la famille sont dans le collimateur des mouvements féministes marocains.
L’article 16
L'article 16 du Code de la famille comporte une lacune juridique, dont l'exploitation a favorisé la prolifération du phénomène du mariage des mineures et la polygamie, notamment en milieu rural, selon une étude sur ledit article relatif à l'authentification du mariage, présentée mardi dernier à Rabat.
L'étude, réalisée par l'Association initiatives pour la promotion des droits des femmes (IPDF-Meknès), souligne que l'exploitation illégale de cet article qui vise à faciliter la reconnaissance du mariage en particulier en milieu rural, au profit des couples n'ayant pas pu officialiser leur union en raison d'empêchements majeurs, permet de reconnaître des opérations relatives au mariage des mineurs, conclues en dehors de la loi.
L'étude relève également que cet article n'exige à aucune des deux parties concernées par la demande de mariage de présenter le certificat de célibat. De même, le juge n'est pas tenu de poser la question au demandeur sur sa situation familiale ou d'instruire une enquête à ce sujet si elle s'avère nécessaire.
L'étude, menée par l'Association au niveau des villes de Meknès, Fès et Khénifra, fait ressortir que 25% de l'échantillon des femmes concernées par cette étude et ayant obtenu des verdicts positifs à leurs demandes de reconnaissance du mariage étaient âgées de 10 à 15 ans au début de leur mariage, alors que 46% des verdicts positifs ont concerné des filles mineures au moment de la conclusion du mariage. La présidente de l'Association initiatives pour la promotion des droits des femmes à Meknès, Ilham Cherkaoui, a indiqué que bien que le Code de la famille de 2004 a permis de réaliser des avancées importantes dans le domaine du renforcement des droits de la femme, cette loi contient toujours des lacunes sur les plans de la formulation et de la mise en œuvre. Pour leur part, les différents intervenants ont appelé à l'amendement de cet article en vue de mettre fin à son instrumentalisation dans la polygamie et le mariage de mineures, soulignant qu'il est temps d'introduire des amendements à ce texte et de l'adapter aux dispositions de la Constitution relatives à la promotion des droits de la femme.
Partant de ces observations, l'association a décidé de mener une campagne visant l'amendement de cet article 16 en vue de lutter contre son instrumentalisation et son exploitation de manière illégale et arbitraire dans le mariage de mineures et la polygamie. Il convient de noter que cette étude, menée en collaboration avec l'ambassade de la Finlande, ambitionne de mesurer l'impact de la mise en œuvre de l'article 16 et d'élaborer un programme tendant à dévoiler ses répercussions négatives.
L'article 20
L'article 20 du Code qui fixe l’âge du mariage légal à 18 ans, mais qui dispose en même temps que le juge de famille peut faire des exceptions et peut autoriser le mariage en deçà de cet âge à condition de motiver et justifier sa décision. «L’exception est devenue la règle, les juges ont pris de la liberté dans l’interprétation de ces exceptions et autorisent à tout bout de champ le mariage des mineurs. Pour couper l’herbe sous les pieds des juges, il faut abolir ces exceptions», demande Malika Jghima, présidente à Casablanca du bureau de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) dans un entretien accordé à nos confrères de «La Vie Eco». Selon Anaruz, le Réseau national des centres d’écoute des femmes victimes de violence, en 2011 il y a eu 39 031 actes de ce type de mariage contre 34 777 en 2010, soit une augmentation de 12,23% et l’équivalent de 12% de l’ensemble des actes de mariage contractés cette même année.
L'article 40
L’article 40 relatif à la polygamie. est lui aussi contesté.«L’idéal serait d’interdire carrément cette polygamie», affirme l’Association démocratique des femmes du Maroc. Là aussi, les chiffres sont éloquents : la polygamie est en hausse de 11,40% en 2011 par rapport à 2010, 1 104 mariages polygames autorisés contre 991.
Troisième disposition du Code jugé obsolète actuellement, celle relative à la tutelle du père à l’égard de ses enfants.
L’article 236
L’article 236 du Code stipule, en effet : «Le père est de droit le tuteur légal de ses enfants, tant qu’il n’a pas été déchu de cette tutelle par un jugement. En cas d’empêchement du père, il appartient à la mère de veiller sur les intérêts urgents de ses enfants».
Les féministes réclament une égalité de droit entre le père et la mère pour qu’ils deviennent tous les deux tuteurs de leurs enfants sur un pied d’égalité. Pour n’importe quelle formalité administrative, carte nationale, passeport, voyage à l’étranger, inscription à l’école, c’est le père qui est le tuteur. «Ce n’est pas normal, c’est discriminatoire, c’est inconstitutionnel», accusent les défenseurs des droits de la femme, toujours dans l'hebdomadaire. Même protestation concernant la disposition du Code sur la garde des enfants. Pourquoi la femme divorcée est-elle déchue de la garde de ses enfants une fois qu’elle se remarie ? s'insurgent les féministes, toujours dans l'hebdomadaire.
«Le volet pénal de la réforme est resté bloqué !»
Nouzha Skalli, députée du Parti du progrès et du socialisme à la Chambre des représentants.
Le Matin : L’adoption du Code de la famille a été considérée comme une véritable révolution. Dix ans après, peut-on toujours dire la même chose de la Moudawana ? Est-ce que la situation de la femme s'est améliorée au Maroc ?
Nouzha Skalli : Incontestablement, la réforme du Code de la famille a été un grand chantier de réforme historique dirigé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Annoncée lors du Discours royal historique du 10 octobre 2003, elle a nécessité beaucoup d'engagement, de force et de talent pour tourner la page de la polémique à l'égard du statut de la femme. La bipolarisation entre partisans et adversaires de l'égalité des sexes, qui avait atteint son apogée lors des deux marches de Casablanca et Rabat en 2000, a ainsi cédé la place à un vote à l'unanimité de l'ensemble des membres du parlement. Un parlement, il faut le dire, qui venait de connaitre l'entrée tout aussi historique pour la première fois de 35 femmes députées élues grâce à la liste nationale réservée aux femmes. Ce fut pour moi un privilège d'être en pôle position lors de la discussion du Code de la famille en tant que chef de groupe parlementaire (la première femme au Maroc à avoir occupé ce poste de responsabilité). Cette grande réforme a couronné les luttes du mouvement pour les droits des femmes qui l'a accompagnée de son plaidoyer et qui a salué avec beaucoup d'enthousiasme, le nouveau Code de la famille fondé sur l'égalité et la coresponsabilité entre les hommes et les femmes, sept ans avant que ce principe de l'égalité des sexes ne soit consacré aujourd'hui avec force à travers l'article 19 de la Constitution du 1er juillet 2011. Cette réforme visait à fonder un projet de société enraciné dans nos valeurs civilisationnelles et éclairé par les valeurs universelles de l’égalité, de l’équité et entre les hommes et les femmes. Elle a valu à notre pays l’admiration du monde entier et constitue aujourd’hui encore une expérience pilote dont de nombreux pays arabes et musulmans souhaitent s’inspirer pour s’inscrire dans la dynamique internationale des droits humains qui sont le patrimoine de l’humanité tout entière.
D'après vous, quels ont été les points positifs apportés par Code de la famille durant ces dix ans ?
Ils sont multiples et il y a encore beaucoup à faire pour valoriser toutes les avancées réalisées grâce à ce Code de la famille. je me contenterai d'en citer quelques-uns :
• Le principe fondateur d'égalité et de coresponsabilité entre les époux a été constitué.
• Il a été définitivement mis fin à la situation qui existait par le passé, ces femmes «prisonnières du mariage» ou qui se voyaient imposer une seconde épouse alors que leur époux refusait de leur accorder le divorce. Ceci grâce à la procédure de divorce par désunion (chikak).
• Depuis dix ans, le nombre de mariages a régulièrement augmenté.
• Si le nombre de divorces a aussi régulièrement diminué, le nombre de divorces judiciaires a commencé à augmenter de façon nette avant que cette augmentation ne connaisse un ralentissement d'année en année.
Parallèlement, le divorce d’un commun accord qui n’existait pas dans l’ancienne Moudawana est devenu majoritaire et connait une augmentation nette d'année en année au détriment des autres formes de divorce et notamment du «khol3» qui est en régression régulière, ce qui traduit le fait que l’égalité et la coresponsabilité décrétée dans l’actuel Code de la famille encouragent le dialogue et le respect mutuel entre les époux même quand ils décident de se séparer.
Avez-vous un regret ?
Malheureusement, le volet pénal qui devait accompagner cette réforme est resté bloqué ! Malgré les efforts déployés aussi bien sous le gouvernement de l'époque et tous les efforts que j'avais déployés, en tant que ministre (2007-2011), pour l'adoption du projet de loi contre la violence conjugale (près de 80% de cas de violence exercée par les maris, fiancés prétendants ou les ex.), la résistance a été très forte au sein même du gouvernement qui a manqué de courage sur cette question et dans certains milieux très conservateurs.
Pourtant nous avons voulu que ce projet de loi soit un prolongement du Code de la famille et fondé sur la même philosophie visant la protection des femmes et des enfants et la préservation de la dignité des hommes et de la cohésion de la famille.
À noter que j'ai, avec les députés de mon groupe parlementaire, le Groupe du progrès démocratique, déposé une proposition de loi, contre la violence fondée sur le genre qui est toujours bloqué puisqu'il n'a pas encore été placé sur la table de discussion de la Commission de la justice et de la législation, pas plus que la proposition de loi présentée par le groupe PAM sur le même sujet. Il en va de même pour le projet de loi du gouvernement qui est resté au stade d'«avant projet» puisqu'il n'a toujours pas franchi le stade de l'adoption par le conseil de gouvernement.
Tant que ce projet de loi ne sera pas adopté dans une version audacieuse qui marque une rupture avec le laxisme et l'impunité actuels à l'égard de la violence faite aux femmes, il n'y a rien d'étonnant qu'on ait l'amertume d'une réforme inachevée.