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Bombarder l'EI en Syrie, c'est «s'attaquer aux conséquences plutôt qu'aux causes de la crise»

Sans grand effet sur le terrain, des frappes françaises contre l'Etat islamique (EI) en Syrie s'attaquent aux conséquences de la crise syrienne plutôt qu'à sa cause principale, le régime de Bachar Al-Assad, estime l'expert français, François Burgat.

Bombarder l'EI en Syrie, c'est «s'attaquer aux conséquences plutôt qu'aux causes de la crise»
En frappant l’EI en Syrie, «la France vient en quelque sorte d'expliciter son changement de camp et s'affiche désormais clairement dans les rangs de la contre-révolution arabe», déplore François Burgat. Ph : DR

Pour ce spécialiste de la région, directeur de recherches au CNRS-Iremam (Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman), elles marquent aussi un réalignement de la France sur les positions russe et iranienne.

«Compte tenu des moyens peu importants pouvant être mis en œuvre», les bombardements français «ont en fait très peu de chance d'affecter significativement l'équilibre militaire (...) ou les déplacements de population» sur le terrain, analyse François Burgat.

La France a lancé le 8 septembre une campagne de vols de reconnaissance sur la Syrie, en vue de prochains bombardements d'objectifs liés à l'EI. Paris a annoncé dimanche 27 septembre les premières frappes françaises en Syrie. Depuis un an, elle mène une campagne de bombardements sur l'Irak voisin (opération Chamal), et étend ainsi ses opérations au théâtre syrien.

Selon Paris, ces frappes en Syrie ont pour objectif de prévenir des actes terroristes en Europe, et aideront à tarir le flot de réfugiés syriens qui arrivent actuellement en Europe.

Depuis un an, près de 95% des frappes aériennes de la coalition internationale menée par Washington (Bahreïn, Jordanie, Qatar, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis notamment) sur l'Irak et la Syrie ont été menées par les Etats-Unis. La participation française aux bombardements reste donc très modeste, observe François Burgat.

Mais la «portée symbolique et politique» d'éventuelles frappes de l'aviation française «peut en revanche être considérée comme bien plus importante et est à mes yeux éminemment discutable».

Processus de désespérance 

En frappant le groupe EI en Syrie, «la France vient en quelque sorte d'expliciter son changement de camp et s'affiche désormais clairement dans les rangs de la contre-révolution arabe», déplore ce spécialiste reconnu du monde arabe.

«D'un côté et d'abord, il y avait le régime de Bachar Al-Assad, dont la répression inhumaine d'un mouvement populaire initialement pacifique est la véritable source des maux présents de la Syrie», rappelle-t-il. «De l'autre, Daech (acronyme arabe de l'EI) n'est point la cause mais la conséquence de ce verrouillage répressif et manipulateur du régime, que l'ingérence décisive de l'Iran et de la Russie a considérablement aggravé».

«Or, entre ces deux acteurs, la France a établi une hiérarchie de la nuisance très ‘idéologisée’ et de ce fait très peu respectueuse de leurs responsabilités réciproques», selon François Burgat, pour qui «c'est le vocabulaire (islamique) des acteurs qui a déterminé notre choix et non la responsabilité respective réelle de chacune des parties en cause».

«Après avoir longtemps refusé de s'engager sérieusement dans la lutte contre la véritable cause de la crise syrienne - le régime -, la France a choisi ainsi de combattre la conséquence», critique M. Burgat.

Ce faisant, «Paris est passé du soutien -surtout verbal et très vite suspicieux- à une opposition qui était peut être en partie islamiste, mais néanmoins ‘républicaine’ (c'est-à-dire autre que jihadiste), à une connivence quasi explicite avec l'axe qui unit Damas, le Liban du Hezbollah, Téhéran et Moscou», estime-t-il.

«Au lieu de résorber le processus de désespérance qui a gonflé les rangs de Daech, la France est malheureusement ainsi en train de l'accélérer», selon François Burgat.

«Elle participe de cette redoutable ‘montée aux extrêmes’ de la crise syrienne au détriment d'une sortie ‘par le centre’ qui exigerait l'association avec une large partie de l'opposition islamiste», et avec des acteurs de terrain ayant un véritable enracinement local.

Plus généralement, «cet alignement résonne bien sûr très au-delà du territoire syrien, y compris dans le tissu national français», fait-il observer.

«Pour des raisons le plus souvent bassement électoralistes, nous risquons d'aggraver un peu plus encore le climat de suspicion et de désaveu qui empoisonne notre relation avec le monde musulman sunnite, cette composante importante de notre environnement, international mais également intérieur, à laquelle notre destin est pourtant indissolublement lié», souligne François Burgat, alors que plus de 5 millions de musulmans vivent aujourd'hui en France.

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