Menu
Search
Mardi 14 Mai 2024
S'abonner
close
Accueil next Fête du Trône 2006

Régionalisation avancée : Levier au service de la gouvernance territoriale

No Image

Dans son discours du 20 août 2015, S.M. le Roi a réaffirmé l'importance de la réforme territoriale, en l'occurrence la régionalisation avancée, en assimilant sa mise en œuvre à une nouvelle révolution que le Maroc est en passe d'entamer au lendemain des élections du 4 septembre prochain. Le thème de la régionalisation est récurrent dans les discours royaux depuis le discours du 6 novembre 2008, prononcé à l'occasion du 33e anniversaire de la Marche verte dans lequel le Roi a affirmé sa volonté d'engager la régionalisation avancée en tant que réforme structurelle de fond, mais il ne sera solennisé que dans le discours du 3 janvier 2010 prononcé par le Roi à l'occasion de l'installation de la Commission consultative de la régionalisation (CCR).

L'ambition royale affirmée dans ce discours historique est de passer de la «régionalisation naissante» à une «régionalisation d'essence démocratique et vouée au développement économique intégré». Le passage de la régionalisation administrative issue de la loi n° 47-96 du 2 avril 1997 à la régionalisation fonctionnelle trouvera ses fondements juridiques dans la loi organique n° 111.14 relative aux régions, promulguée par le dahir 1.15.83 du 7 juillet 2015. Cette nouvelle politique territoriale dotera les régions de Conseils élus démocratiquement et disposant des prérogatives et des ressources dont ils ont besoin pour prendre en charge le développement régional intégré.

Ce nouveau modèle de la régionalisation ne sera pas un «simple aménagement technique ou administratif», mais, comme le souligne le discours royal, «une option résolue pour la rénovation et la modernisation des structures de l’État et la consolidation du développement intégré». La constitutionnalisation des principales recommandations contenues dans le rapport prescriptif de la CCR a donné une réelle ampleur au droit constitutionnel local, une importance particulière aux collectivités territoriales et une place privilégiée à la région selon l'article premier de la Constitution : «L'organisation territoriale du Royaume est décentralisée, fondée sur une régionalisation avancée». Le titre 9 de la Constitution a consacré 10 articles à la décentralisation/régionalisation (de l'article 135 à 144), l'article 145 concerne la déconcentration et l'article 146 fixe le contenu de la loi organique. Notre modèle de régionalisation avancée, qui répond parfaitement aux termes de référence balisés par le discours royal du 3 janvier 2010, a été construit pièce par pièce, loin de toute greffe de modèles étrangers et c'est en cela qu'il est maroco-marocain. Se singularisant par ses fondamentaux et ses propres fondements, notre modèle, qui revêt une grande portée historique et systémique, diffère foncièrement des standards internationaux.

Notre modèle, qui s'inscrit dans le sillage des États unitaires décentralisés avec quelques spécificités propres au système juridique marocain, rejette toute construction régionale statique ou figée, pour emprunter la gradualité et la progressivité en tant qu'alliées nécessaires à son déploiement et redéploiement dans le temps et la durée. Dans son discours du 20 août 2010, le Roi a indiqué, tout en relevant l'importance des enjeux en termes d'unité, de démocratie et de développement, que la régionalisation avancée, constitue «le point de départ d'un processus long et ardu, exigeant une action résolue», «le but étant d'assurer une mise en œuvre judicieuse et graduelle de ce projet, avec la contribution des instances qualifiées et compétentes et la mobilisation des mécanismes institutionnels et d'autres instruments de développement adéquats et efficients».

La progressivité qualifie au fond une méthode d’action motivée par l’idée que la régionalisation est en premier une pratique dont la réussite dépend intimement du degré de qualification des élus régionaux. Évoquée plus souvent comme méthode d’action, la progressivité n’a pas véritablement le rang d’un principe juridique. L’analyse normative laisse entrevoir une règle qui demeure insaisissable du point de vue juridique. Chose qui met en cause son opposabilité ou encore le degré de rationalité des démarches qui la préconisent. Toutefois, en dépit de telles imperfections, elle peut être opérée comme règle incontournable pour la réussite du processus de régionalisation. L’objectif de la démarche est de permettre leur application en fonction de l’évolution des institutions décentralisées et leur ancrage dans le dispositif institutionnel de l’État.
Si l’ensemble du régime juridique consacré à la régionalisation est directement affecté par le principe de progressivité, un aspect paraît le plus concerné par la règle. Il s’agit de la manière dont sont aménagés les rapports entre l’État central et les collectivités territoriales. La constitutionnalisation de la catégorie des compétences transférables aux collectivités territoriales laisse entendre une évolution graduelle du processus qui permet à l’État, certes à terme, d’imaginer des transferts de compétences différenciés en fonction de la collectivité en question, prenant naturellement en considération son aptitude à les exercer correctement conformément au principe de subsidiarité. Appréhendée sous plusieurs prismes, la régionalisation avancée tend à réaliser les objectifs suivants :
.   Politiquement, la régionalisation avancée vise à consolider le processus de démocratisation en revigorant la démocratie élective par l'élection des membres du Conseil régional au suffrage universel direct et en instituant de nouveaux mécanismes de démocratie participative ou citoyenne afin de permettre aux citoyens et aux associations de la société civile d'agir directement en direction des Conseils élus tant au niveau de l'élaboration et du suivi des programmes régionaux de développement qu'au niveau du droit de présenter des pétitions (article 139).
.  Économiquement, compte tenu de son statut constitutionnel et de son emprise sur le territoire, la région, interlocuteur privilégié de l'État, est vouée au développement économique intégré. Sur la base des orientations, des priorités stratégiques et des objectifs globaux et sectoriels arrêtés par l'État, le Conseil régional élabore les programmes de développement économique intégré et contribue, par le partenariat, à réaliser les programmes d'infrastructure et d'équipement, d'habitat social et de mise à niveau économique et sociale du monde rural. Grâce au fonds de mise à niveau sociale, d'un montant de 128 à 215 milliards de dirhams, la région sera habilitée à résorber les déficits des services publics de proximité tels que la distribution d'eau potable et d'électricité, l'habitat, la santé, l'éducation et les infrastructures routières. Ce fonds, assimilé à un appui financier et non à un programme d'assistance, servira aux régions les moins loties, durant deux mandatures, pour remédier aux secteurs déficitaires. Aussi, un fonds public de solidarité interrégionale sera créé pour réduire les disparités régionales et donner la chance aux régions les plus démunies de s'inscrire durablement dans une logique de développement.
.   Fonctionnellement, la région, collectivité de premier rang, dispose de la prééminence sur les autres collectivités. Cette prééminence revêt un caractère fonctionnel et non juridique. L'article 143 de la Constitution l'énonce explicitement en disposant : «Aucune collectivité territoriale ne peut exercer de tutelle sur une autre». Le Conseil régional exercera un rôle prééminent par rapport aux autres collectivités territoriales du fait qu'il aura la charge et la compétence de recueillir, coordonner, mettre en cohérence et intégrer dans l'élaboration et le suivi du plan de développement de la région dans les domaines économique, social, culturel et environnemental et dans le schéma régional d'aménagement du territoire, les propositions des préfectures et provinces et des communes, dans le respect des compétences spécifiques à ces dernières.
Cette notion de prééminence acquiert toute sa pertinence avec la nouvelle Constitution qui a remplacé l'expression «collectivités locales» par celle de «collectivités territoriales» qui met l'accent sur un élément important de leur définition, qui est précisément le territoire. Le vocable «local» se réfère plus aux vertus d'une gestion de proximité qui est, à titre essentiel, celle de la commune, qu'à la nouvelle mission qui est conférée à la régionalisation avancée, tandis que le «territorial» renvoie plus à la spécialisation des compétences des différents échelons qu'à l'organisation concomitante de leurs interventions.
Une simple lecture des trois lois organiques relatives à la région et aux autres collectivités territoriales fait ressortir que le législateur a effectivement réparti les compétences entre les trois niveaux selon la vocation propre de chaque territoire. Ce nouveau schéma de gouvernance se présente globalement comme suit :
a) La région, en tant que chef de file, a des fonctions d'animation, de programmation, d'aménagement du territoire, de valorisation des potentiels économiques régionaux, de production des infrastructures et des équipements structurants, de compétitivité des territoires, de marketing territorial…
b) La préfecture et la province, collectivités intermédiaires, décentralisées et déconcentrées, ont pour rôle principal d'assurer le relais d'information et de coordination intercommunale, l'action sociale et l'appui des projets en direction des collectivités rurales.
c) La commune, enfin, est l'acteur de proximité, producteur des infrastructures de base, des équipements collectifs, et prestataire des services publics de proximité (eau, électricité, transport...)
. Au niveau des politiques publiques, la région se présente comme un cadre d'harmonisation des stratégies de développement. Le Conseil régional est consulté par le gouvernement pour l'élaboration des plans sectoriels nationaux et régionaux, du schéma régional d'aménagement urbain et, au niveau des stratégies nationales et régionales, dans les domaines de l'investissement, de l'emploi, de l'eau, de l'énergie, de l'environnement, de l'éducation, de la formation, de la culture et de la santé.
. Managérialement, les capacités et les pouvoirs exécutifs des présidents des Conseils régionaux ont été largement renforcés grâce à la nouvelle nomenclature des compétences – propres, partagées et transférées – attribuées aux régions et à travers la constitutionnalisation des principes tels que la libre administration (article 136), la subsidiarité (article 140), la solidarité (article 142), la coopération (article 143), la mutualisation des projets et des moyens (article 144), l'exercice du pouvoir réglementaire local (article 140) et la notion de prééminence du Conseil régional (article 143). De surcroît, et afin de séparer l'organe délibératif du Conseil régional de l'organe exécutif, il sera institué, au niveau de chaque région, une Agence régionale d'exécution des projets (AREP) chargée d'apporter l'assistance juridique, l'ingénierie technico-financière et d'assurer l'exécution des projets et programmes de développement économique intégré et durable.
.La gouvernance territoriale, en tant que levier au service de la régionalisation avancée, doit être raffermie, car elle est prise en considération à différents niveaux : représentativité, responsabilité, concertation, participation, solidarité et gestion des ressources humaines. Dans son discours du 3 janvier 2010, le Roi rappelle : «Nous ne voulons pas que les régions du Maroc de la bonne gouvernance soient des entités purement formelles ou bureaucratiques, mais plutôt des institutions représentatives d'élites qualifiées et aptes à gérer au mieux les affaires de leurs régions respectives.»
La gouvernance, référentiel sans aucune valeur normative, est consacrée par la nouvelle Constitution de 2011, notamment dans son titre XII. La doctrine la définit comme étant un ensemble de règles, de processus et de pratiques de gestion qui influent considérablement sur l'exercice du pouvoir. La science administrative anglo-saxonne l'assimile au nouveau management public. La gouvernance territoriale peut être définie comme étant la prise en charge des affaires régionales, en toute responsabilité, par les gestionnaires représentatifs dans un cadre concerté, participatif et solidaire, en veillant à optimiser l'emploi des ressources mobilisables et à en rendre compte.
Compte tenu de la complexité de la nouvelle politique publique territoriale et de la mutation historique de notre système de décentralisation qui déborde d'un cadre purement technique et administratif, il est évident que les enjeux seront de taille : démocratie représentative et participative, développement économique et solidarité entre les régions, modernisation des structures étatiques et territoriales, assouplissement du contrôle et gestion axée sur les résultats, responsabilité et reddition des comptes, principes de bonne gouvernance et coproduction des politiques publiques…
Dans son discours du 20 août 2015, S.M. le Roi a souligné que les prochaines élections seront décisives pour l'avenir du Maroc, surtout au regard des vastes compétences que la Constitution et la loi réservent aux Conseils des régions et aux collectivités locales. La mise en œuvre et la réussite de ce grand chantier qualifié par le Roi de «déterminant», de «structurant» et de «tournant majeur» dépendent de plusieurs préalables et de la mise en œuvre de nombreuses mesures d'accompagnement, notamment :
1. L'activation du rythme de déconcentration, corollaire indispensable et inévitable pour la réussite de la régionalisation. «Quoi que nous fassions pour la faire avancer, la régionalisation restera fort limitée si elle ne s’accompagne pas de la consolidation du processus de déconcentration.» Point de régionalisation dans la centralisation. La déconcentration, adjuvant de la régionalisation, exige la mise en œuvre d’une vision sectorielle et d’une coordination administrative à l’échelle de la région, fondée sur la subsidiarité, l’interministérialité et la territorialité.
2. La mobilisation et la pleine adhésion de toutes les forces vives de la nation à ce chantier fondateur : acteurs politiques, citoyens et associations de la société civile, secteur privé et organisations professionnelles et syndicales, services décentralisés et déconcentrés, etc.
3. L'émergence et la forte implication des élites politiques locales imprégnées des valeurs démocratiques et des principes de la bonne gouvernance et dévouées au service de l’intérêt général.
Dans son discours du 20 août 2015, S.M. le Roi a souligné, en s'adressant aux partis politiques et aux candidats, que «les élections ne devraient pas avoir pour objectif d'obtenir des postes, mais elles devraient être dédiées au seul service du citoyen»… «Le vote doit être en faveur du candidat qui remplit les conditions de compétence, de crédibilité et de disponibilité à se mettre au service de l'intérêt général».
4. La moralisation de la vie politique locale en soumettant toutes les personnes, élues ou désignées, assumant une charge publique, aux obligations de transparence, de probité, de responsabilité et de reddition des comptes. 

-----------------------

Ahmed Bouachik,
professeur à l'Université Mohammed V de Rabat, codirecteur de
la Revue marocaine d'administration locale et de développement,
ancien membre de la Commission consultative de la régionalisation.

Lisez nos e-Papers