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Les réfugiés face au marchandage politique

Derek EL ZEIN,Maitre de conférences en Sciences politiques à l’Univer­sité Paris Descates.

Les réfugiés face au marchandage politique
Les liens qui se tissent entre les réfugiés et les pays qui les auront accueillis, même temporairement, sont des liens qui deviendront économiques et permettront un enrichissement mutuel.

Bon nombre de personnes se rassurent en constatant que de nombreux pays européens se félicitent de voir chuter de 25% le nombre de morts dans ce grand cimetière à réfugiés qu’est la Méditerranée. Ils se congratulent de voir chuter le nombre de traversées de la Turquie vers la Grèce. Mais les chiffres ne peuvent faire oublier qu’ils comptabilisent des vies, disparues ou suspendues à des tergiversations et à des marchandages politiques dont les «grands acteurs» internationaux se rendent coupables depuis trop longtemps. Fort heureusement, lorsque la volonté politique des «grands» fait défaut, d’autres acteurs agissent, pour porter assistance ou soulager ce qui peut l’être et ainsi construire l’avenir des individus, sans se laisser influencer par d’autres impératifs.

Lassées par le sujet, bon nombre de personnes se contentent de quelques éléments positifs pour évacuer de leurs préoccupations le thème des réfugiés en Méditerranée. Ils se rassurent en constatant que de nombreux pays européens se félicitent de voir chuter de 25% le nombre de morts dans ce grand cimetière à réfugiés qu’est la Méditerranée. Ils se congratulent de voir chuter le nombre de traversées de la Turquie vers la Grèce de plus de 60.000 en février 2016 à près de 4.000 pour le mois d’avril suivant. Précaire diminution si on se rappelle à quel prix pour l’Union européenne cette limitation du flux a eu lieu. N’oublions pas non plus que sur la côte libyenne, le flux reprend de plus belle à la faveur d’un chaos de plus en plus favorable aux passeurs. En effet, durant la dernière semaine de mai 2016, alors que quelque 13.000 réfugiés ont été secourus en mer au large des côtes italiennes, un nombre indéfini a péri. Mais il faut surtout se rappeler que les chiffres ne peuvent faire oublier qu’ils comptabilisent des vies, disparues ou suspendues à des tergiversations et à des marchandages politiques dont les «grands acteurs» internationaux se rendent coupables depuis trop longtemps. Fort heureusement, lorsque la volonté politique des «grands» fait défaut, d’autres acteurs agissent, pour porter assistance ou soulager ce qui peut l’être et ainsi construire l’avenir des individus, sans se laisser influencer par d’autres impératifs. Le Liban, dont on connaît l’aversion d’une partie de la population pour son grand voisin syrien, fait face à un afflux de réfugiés qu’aucun autre pays au monde n’a connu jusqu’alors.

Rappelons que la population libanaise a cru de plus d’un million de réfugiés syriens en un peu plus de deux années. Malgré les tensions et les déséquilibres que cela crée dans la société libanaise et dans la répartition confessionnelle sur laquelle repose encore ce pays jusqu’aujourd’hui, de nombreuses initiatives tentent de préserver l’avenir de ces réfugiés et notamment celui des enfants parmi eux. L’enjeu est de taille, en effet, les mineurs représentent presque la moitié des réfugiés syriens au Liban. Conscient de la nécessité de scolariser les enfants, le ministère de l’Éducation nationale libanais a décidé, en accord et avec de nombreuses organisations internationales, d’aménager au sein des écoles publiques libanaises la scolarisation d’un maximum de ces mineurs. Quand on connaît les traces qu’ont laissées les presque 30 années d’occupation syrienne du Liban, l’entreprise aurait pu être vouée à l’échec. Rajoutons la difficulté liée au refus du Liban d’organiser des camps en raison des problèmes issus de l’expérience des camps palestiniens et on comprend mieux l’ampleur de l’effort fourni dans ce domaine comme dans de nombreux autres, pour faire face à la catastrophe humanitaire, sociale et politique que représente la situation des réfugiés et des déplacés syriens pour le Liban et la région. Selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale, près de 160.000 enfants ont été scolarisés à la rentrée 2015, soit un effectif qui représente environ 40% des effectifs de l’enseignement public libanais. 

Quelque 50.000 autres seraient inscrits en parallèle dans le secteur privé. Cette augmentation massive des élèves a bien entendu obligé l’État à recruter de nouveaux enseignants (environ 6.000), mais l’a également contraint à réaménager les horaires des enseignements. Ainsi, les écoles accueillent les élèves libanais l’avant-midi et les élèves syriens l’après-midi. Sachant que pendant les cours réservés aux élèves libanais, un maximum de 40% de non-Libanais est admis. Très souvent critiqué, l’enseignement public libanais rempli ici pleinement sa fonction de service public, grâce à des fonds alloués par année de scolarisation et par enfant au ministère de l’Éducation qui, ainsi, a pu mobiliser plus de 220 établissements affectés cette mission.

La scolarisation des mineurs syriens, outre les difficultés liées au fait qu’ils ne parlent que l’arabe, alors que de nombreuses matières sont enseignées en anglais ou en français, ne doit pas cacher néanmoins que le Liban ne se voit pas comme un pays d’intégration. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. Parmi les plus évidentes, celle liée à la densité de population, qui se situe déjà parmi les plus élevées au monde et qui ne permet pas l’accueil permanent et définitif de ces réfugiés, est sans doute la plus criante. En effet, avec une moyenne de 400 habitants par km², une géographie physique qui ne permet pas une répartition véritable sur l’ensemble des 10.000 km² et un aléa pour ce qui concerne le nombre véritable d’habitants, le Liban est au bord de la rupture.

La population libanaise, hors réfugiés, éprouve déjà bien des difficultés à trouver suffisamment de ressources dans un pays où ces dernières sont loin d’être inépuisables. Par ailleurs, s’il est essentiel d’instruire ces enfants, c’est surtout pour qu’ils puissent, dans la mesure du possible, profiter d’une formation leur permettant, la guerre terminée, de reconstruire une société syrienne pérenne. Enfin, les liens qui se tissent entre les réfugiés et les pays qui les auront accueillis, même temporairement, sont des liens qui deviendront économiques et permettront un enrichissement mutuel. Cette évidence que représente l’aide aux réfugiés de la part d’un seul pays qu’est le Liban ne peut que nous interroger sur l’absence d’implication de nombreux pays européens qui rechignent à accueillir ces personnes. La réinstallation d’un nombre peut-être limité, mais homogène de réfugiés ne représenterait pas un effort insurmontable pour les 500 millions d’habitants qui peuplent l’Union européenne des 28.

Un contrôle des frontières efficace, une politique commune de répartition de l’effort lié à cet accueil, même temporaire comme ce fut le cas par exemple dans de nombreux pays de l’Union pendant la guerre de Yougoslavie, ne peut qu’être bénéfique à l’Europe. Démontrant ainsi qu’elle est capable de faire preuve de compassion tout en évacuant de manière efficace les arguments qui bénéficient aux partis populistes dans de nombreux pays tentés par un repli sur eux-mêmes, l’Union européenne n'en sortirait que grandie. Gageons que dans le cas contraire, les vagues populistes ne se briseront plus de très grande justesse sur les remparts des institutions, comme ce fut le cas jusqu’à présent, mais engendreront de nouvelles vagues d’émigration, dont il faut espérer que les futurs pays d’accueil réagiront plus comme le Liban dans la situation actuelle que comme de nombreux autres pays à la mémoire trop courte.

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