«La première chance (est ainsi offerte) de mettre un terme à la violence sur le terrain et elle ne doit pas être manquée». C’est en ces mots, prononcés par Federica Mogherini, la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, que l'Union européenne a salué l'entrée en vigueur du cessez-le-feu en Syrie dès le samedi 27 février 2016 à minuit. La trêve doit donc permettre de favoriser un règlement politique du conflit, dans lequel sont impliquées plusieurs puissances internationales et régionales qui soutiennent les camps rivaux.
L’enjeu se révèle particulièrement important pour les États-Unis, il s’agit de la crédibilité du pays de l’oncle Sam au Proche-Orient. Depuis le début du conflit en Syrie et suite aux échecs essuyés en Irak, Barack Obama a manifesté une grande réticence quant à l'intervention en Syrie. Une réticence fondée, aussi, sur une divergence de point de vue entre Washington et ses principaux alliés dans la région. La demande du cessez-le-feu a été formulée à plusieurs reprises par le secrétaire d'État américain John Kerry, partisan d’un rapprochement avec la Russie. Dans ce cas précis, on est en présence d’une Amérique qui privilégie la voie des pourparlers et de la négociation diplomatique. Une Amérique qui se préoccupe, dans le cas syrien, contrairement au cas irakien, des conséquences des bombardements russes sur les civils. Est-ce là vraiment la vraie préoccupation américaine ? La Russie ne serait-elle pas en train de changer la donne au Proche-Orient ? L’intervention russe est-elle guidée par des raisons idéologiques ou géopolitiques ?
La Russie, depuis le début de son engagement militaire, s’était fixé quatre principaux objectifs : maintenir l’allié de circonstance Bachar Al Assad au pouvoir, défaire les mouvements djihadistes Daech, al-Nosra et les autres groupuscules, affaiblir l’Armée syrienne de libération en tant que principal opposant au régime et bien ancrer sa présence militaire dans le nord-ouest du pays. Remporter de tels succès géopolitiques, pour Moscou, très souvent adepte du hard power, revient à imposer une solution par les armes pour ensuite mener des négociations en position de force. La Russie n’a ménagé aucun effort sur les trois plans aérien, terrestre et naval pour mener à bien sa stratégie guerrière contre les djihadistes et donner aux troupes syriennes un avantage décisif face au mouvement insurrectionnel.
Contrairement aux Occidentaux, la Russie n’hésite pas à conduire des opérations au sol. Des bombardements guidés par des troupes régulières, des forces spéciales et par une trentaine de blindés russes ont permis de remporter des avantages décisifs, notamment à Homs, Hama et Alep. L’intervention au sol est soutenue par un contingent aérien d’une vingtaine d’hélicoptères, des drones et d’une trentaine d’avions de combat et par un groupement naval, commandé par deux croiseurs, qui intervient depuis la Méditerranée et une armada de quatre navires opérant depuis la mer Caspienne qui peuvent lancer des missiles de croisière SS-300 à plus de 1 500 kilomètres des zones de combat. La Russie n’hésite pas à se donner les moyens militaires de ses ambitions géopolitiques dans la région.
Quand on analyse la géographie des opérations militaires russes, on constate que la Russie a concentré ses frappes sur l’axe nord-sud Alep-Damas. Maitriser cet axe représente un préalable indispensable à la récupération des territoires sous contrôle de Daech et constitue le point de départ pour la domination de la partie Nord-Ouest de la Syrie. Les lieux des frappes montrent que Moscou considère tous les opposants au régime de Bachar Al-Assad comme des terroristes, et adopte de fait la même approche contre tous. Sur un plan tactique, la Russie véhicule l’idée d’un duel entre la Russie et le terrorisme international où la Russie tient la tête d’affiche et veut s’ériger en rempart contre le djihadisme. Moscou reste donc fidèle à la grille d’analyse de la conflictualité adoptée depuis le début de la crise syrienne, à savoir qu’il s’agit d’une montée djihadiste internationalisée, contrairement aux Occidentaux qui y voient une guerre civile issue des révolutions arabes.
Autre lieu des frappes russes, le nord-ouest de la Syrie, un territoire sur lequel se trouve l’essentiel des installations militaires russes et sur lequel la Russie cherche à freiner l’avancée des opposants au régime syrien. Sur un plan médiatique, la communication de guerre des autorités russes a pour objectif d’amplifier les effets internationaux de l’intervention russe, bien que l’engagement russe, estimé à 5.000 hommes issus de la 810e brigade d’infanterie de marine de la mer Noire, reste modeste relativement aux troupes de Daech, évalués entre 30.000 et 50.000 hommes, et aux troupes américaines déployées en 2008 en Irak, comprenant plus de 132.000 soldats. La communication est axée sur l’idée que l’offensive russe est efficace, rapide, se concentre sur les terroristes et épargne les populations civiles. D’ailleurs, c’est avec beaucoup d’enthousiasme qu’Andreï Kartapolov, chef du corps expéditionnaire russe sur place et vice-chef d’état-major des forces armées de la Fédération de Russie, annonce les résultats opérationnels, tels la destruction par l’aviation russe de 786 camps et bases, 249 postes de commandement et de télécommunications, ainsi que 371 points d’appui des terroristes en Syrie.
Loin de toute explication idéologique, la Russie cherche à se forger une réputation de leader de l’anti-djihadisme et à préserver ses intérêts dans la région. Pour preuve, les concertations de Poutine avec les différents acteurs de la région, même ceux en conflit avec Bachar Al-Assad : le Président turc, le Roi d’Arabie saoudite, le Roi de Jordanie, le Président égyptien, ainsi que les insurgés kurdes. Le réalisme géopolitique guide les alliances et pour les Russes leur soutien sera indéfectible pour la solution politique qui défendra leurs véritables intérêts. Quant aux Américains, il est primordial de préserver leur influence dans la région en contrant le fait que la Russie devienne un «game changer» au Proche-Orient.
Syrie : Entre trêve et violation
Le 27 février 2016 est marqué par une fin officielle des hostilités en Syrie. Négocié par la Russie et les États-Unis, l’accord prévoit un cessez-le-feu entre les forces gouvernementales ainsi que leurs alliés et les groupes d’opposition armée. Le Président russe Vladimir Poutine a annoncé que la trêve ne s’appliquerait pas aux extrémistes de l’organisation d’État islamique, du Front al-Nosra (filiale d’Al-Qaïda) et d’autres organisations reconnues comme terroristes par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies. Cette trêve est d’une ampleur sans précédent depuis le début du conflit, en 2011. En cinq ans de guerre, plus de deux cent cinquante mille personnes ont été tuées et onze millions ont dû fuir leur foyer. Elle suscite un certain espoir, et un appui unanime de l’ONU, malgré la complexité de sa mise en application.
Bien que le régime syrien ne cesse de prôner la poursuite de la trêve, des violations ont été signalées. «Une cinquantaine de violations de la part du régime et de ses alliés, certaines très minimes, d’autres plus importantes, comme des raids et des largages de barils d'explosifs, ont été recensées. Il y a tout de même une grande différence avec les semaines passées. On sent un véritable espoir des groupes armés sur le terrain», indiquait dimanche soir Bassma Kodmani, membre du Haut Comité des négociations.
Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a déclaré : «Jusqu’à maintenant je peux vous dire que la trêve des combats tient, même si nous avons observé quelques incidents», souhaitant que ces accrocs «ne se multiplient pas». Quant à l’opposition syrienne, elle affirme «cependant que la trêve a été violée quinze fois par Damas et ses alliés samedi. Il y a des violations de la trêve de la part de l’aviation russe et de l’aviation du régime syrien», a dit Adel Al-Joubeir, le ministre des Affaires étrangères d’Arabie saoudite, qui a à nouveau accusé Moscou de s’en prendre à l’«opposition modérée» en affirmant prendre pour cible et l’organisation État islamique (EI) et le Front Al-Nosra. Vigilante sur son application concrète, l’ONU tâche de surveiller les coprésidents (Russie et États-Unis) quant au respect de la mission (accord) qui leur a été confiée. Pour assurer l’échange d’information entre Moscou et Washington, une ligne téléphonique spéciale et, éventuellement, un groupe de travail devraient être créés.
Cessez-le-feu : acheminement de l'aide humanitaire
La trêve, après l'application du cessez-le-feu en Syrie, a permis de relancer l’aide humanitaire. Selon Mouhanad Al-Assadi, responsable du Croissant-Rouge syrien, a annoncé que «pour la première fois depuis le début de la trêve, dix camions transportant des couches pour bébé, des serviettes hygiéniques, des produits de nettoyage, du savon et des couvertures sont entrés aujourd’hui à Mouadamiyat Al-Cham». Quarante-et-un autres camions doivent suivre dans la journée. En revanche, les besoins sont encore énormes. Ce sont des centaines de milliers de personnes qui attendent toujours d‘être secourues, en vue de faire face notamment au manque de nourriture, d’électricité et d’eau courante dans la majorité des zones encerclées syriennes.
Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.