Le Maroc ne cesse de multiplier ses partenariats à l'international. En effet, outre les partenaires traditionnels (Union européenne, États-Unis d’Amérique), les pays du CCG et les nouvelles puissances asiatiques sont autant de jalons destinés à préparer l’émergence du Maroc sur la scène internationale.
Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait annoncé une visite en Chine dans son discours au Sommet Maroc-pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), lors duquel le Souverain a également fait part d’une visite officielle en Inde : «Nous nous acheminons également vers le lancement de partenariats stratégiques avec l’Inde et la République populaire de Chine, où Nous nous rendrons en visite officielle bientôt, si Dieu le veut.» Après la tournée de S.M. le Roi en Russie, en République tchèque, en Hongrie et aux Pays-Bas, l’annonce d'une nouvelle tournée régionale, en Asie cette fois-ci, laisse prévoir une volonté du Royaume d'internationaliser la diplomatie marocaine via l’extension du champ des relations diplomatiques, notamment vers les grandes puissances émergentes.
Il est admis que l’Asie acquiert de plus en plus une place prépondérante sur l’échiquier mondial déplaçant ainsi le centre de gravité stratégique de l’Atlantique vers le Pacifique. Outre les partenaires traditionnels (Union européenne, États-Unis d’Amérique), les pays du CCG et les nouvelles puissances asiatiques sont autant de jalons destinés à préparer l’émergence du Maroc sur la scène internationale. Il est à préciser que le Royaume à son tour dispose de plusieurs atouts qui lui permettent de renforcer ses relations avec les futurs pôles de puissance mondiaux. Le Royaume est bien conscient que sa propre émergence peut être stimulée par un partenariat stratégique sino-marocain bien pensé.
Au-delà des échanges commerciaux, la Chine est la puissance émergente qui investit le plus dans les pays du Sud, 80% des investissements directs étrangers chinois sortants sont destinés à des pays en développement. Un tel engouement s’explique par la préoccupation de l’Empire du Milieu de se fournir en matières premières nécessaires à son industrie. À un moment où les investissements directs étrangers (IDE) chinois ont doublé à travers le monde, au Maroc ils restent très faibles. Sur les 80 projets accompagnés par le China-Africa Development Fund sur le continent africain, aucune opération n’a été menée au Maroc. Certains l’expliquent par le manque de ressources minières qui président aux investissements chinois et d’autres par une méconnaissance des investisseurs chinois de l’environnement d’investissement au sein du Royaume.
Les relations avec l’Empire du Milieu ne datent pas d’aujourd’hui, sur le plan politique, les liens sont officiels depuis 1958. Le volet économique des relations sino-marocaines est régi par l’accord commercial de 1995. Dès 2009, les deux pays tentent de renforcer leurs relations, comme en témoignent la visite du ministre marocain du Commerce extérieur à Pékin, suivie en 2011 de la visite de son homologue chinois au Maroc et de la tenue à Pékin la même année du forum sur l’investissement Chine-Maroc et l’organisation en 2015 à Marrakech le Sino-African Entrepreneurs Summit, premier sommet B2B Chine-Afrique.
Le Maroc dispose d’atouts de taille et peut miser sur sa situation géographique stratégique, sa stratégie industrielle, sur sa position de partenaire privilégié de l’Afrique, de l’Europe et des pays du Conseil de coopération des pays du Golfe. Il convient de rappeler à ce niveau que l’Empire du Milieu investit aussi pour capter les marchés consommateurs des pays du Sud. En s’installant et en produisant au Maroc, la Chine pourra exporter vers plusieurs pays et zones avec lesquels le Maroc dispose d’un accord de libre-échange. À ce titre, le Royaume donne accès à un marché de plus de 1 milliard de consommateurs. Un important argument pour pallier l’étroitesse du marché marocain et aussi pour prévoir dépasser le stade des échanges et rentrer de plain-pied dans une nouvelle ère des relations économiques avec la Chine : l’ère de l’attraction des IDE chinois.
Plusieurs facteurs aidants, le Maroc peut développer une plateforme Chine-Maroc-Moyen Orient-Afrique-Europe d’investissement, d’exportation et d’offre de service après-vente. Pour les producteurs chinois d’équipements lourds commercialisés en Afrique, deux des principaux facteurs clés de succès dans le secteur sont sans nul doute la simplification de l’acheminement et la réduction de son coût et un excellent service après-vente. Les formes de présence de ce type d’entreprise au Maroc pourraient aller de la sous-traitance de la vente jusqu’à assurer l’assemblage sur place avec des services de support de stockage et de service après-vente. Un tel renversement de tendance ne manquera pas de constituer une réelle opportunité pour maximiser la création d’emplois au Maroc. La Chine est en train de vivre un changement structurel dû à l’augmentation continue des salaires et au recentrage sur la consommation domestique. Selon les estimations de la Banque mondiale, le potentiel d’emplois chinois délocalisables pourrait atteindre 85 millions, dont près de 10% pourraient revenir à l’Afrique. Fondée sur une vraie vision, la stratégie industrielle menée par le Maroc depuis quelques années permettra à celui-ci de se tenir prêt et de compter sur une part non négligeable de la relocalisation de plusieurs dizaines d’usines chinoises sur son territoire et de capter une part assez importante des emplois délocalisés. Des efforts restent certes à fournir, en matière de promotion de l’investissement et du tourisme au Maroc, en matière de diversification de l’offre marocaine et en matière de renforcement de l’exportation de certains produits marocains, tels le phosphate et ses dérivés et les produits halieutiques, et en matière de développement du transport pour encourager aussi bien les flux touristiques que les flux commerciaux. Le but de consentir de tels efforts étant de lancer les bases d’un partenariat mutuellement avantageux. Certes, les échanges économiques ont bien évolué entre Rabat et Pékin, mais profitent plus au géant chinois. Le Maroc se doit de trouver un moyen pour réduire le déficit et rétablir l’équilibre fondé sur la complémentarité dans le cadre de relations économiques horizontales et non verticales.
La Chine dans le monde et dans sa région
La Chine est une grande puissance internationale tant sur le plan militaire, géographique qu’économique, et ce, notamment, en raison de sa position territoriale stratégique, de sa taille, ainsi qu’en raison de l’importance et du dynamisme de sa population. Les intérêts nationaux de la Chine sont par conséquent représentés dans la plupart des régions du monde, ainsi que dans la plupart des organisations internationales. Plus encore, la Chine est aujourd’hui vue comme peut-être le seul pays à pouvoir concurrencer et mettre en péril la domination mondiale des États-Unis, d’autant plus qu’elle n’a pas tenté de créer un système concurrentiel parallèle à celui des États-Unis, mais a, au contraire, depuis plusieurs décennies, intégré et utilisé le système économique mondial à son profit, tout en ayant la volonté affirmée de rendre prioritaire ses intérêts régionaux afin de s’imposer comme la principale et incontestée puissance en Extrême-Orient. Malgré cette concurrence parfois perçue comme agressive et expansionniste, force est de constater qu’en réalité la Chine préfère user plus traditionnellement du soft power pour arriver à ses fins, que d’employer la force.
Les Chinois ont donc naturellement franchi la grande muraille qu’ils avaient construite pour se protéger et s’isoler du reste du monde et accumulent désormais les succès en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe et jusqu’en Amérique latine, ce qui leur permet depuis 2005 d’être le premier fournisseur de l’Afrique devant la France et l’Allemagne. Sur un plan plus local, les frontières que la Chine a en commun avec 14 pays, en fait, avec la Russie, le pays avec le plus grand nombre de voisins. Précisons que parmi ses 14 pays limitrophes, la Chine a mené des guerres durant ces 70 dernières années contre 5. Si on rajoute à ces pays qu’un très grand nombre ne partagent pas les mêmes intérêts que ceux de la République Populaire de Chine, on constate que la situation à ses frontières est souvent vue comme une préoccupation majeure guidant souvent ses prises de position sur la scène internationale. Ceci est d’autant plus vrai que les soutiens internationaux apportés aux dissidents tibétains et la reconnaissance de Taïwan par 23 pays, dont les États-Unis, rendent les relations diplomatiques chinoises avec le reste du monde souvent plus que délicates.
Par conséquent, si la Chine n’oublie pas de renforcer sa puissance militaire par des investissements massifs, elle mise aujourd’hui également sur la diffusion de sa culture millénaire, sur l’aide au développement, sur la mise en valeur de son patrimoine tout en utilisant intelligemment à ses propres fins sa diaspora qui est numériquement la plus importante au monde.
Ces efforts chinois sont cependant parfois mis à mal puisque l’Empire du Milieu ne montre pas toujours de lui-même une image positive et compatible avec la bienséance internationale. Ainsi, la Chine agit souvent au mépris des règles les plus élémentaires du commerce international. Elle refuse par exemple obstinément de réévaluer le yuan, utilise le dumping, l’espionnage industriel et se spécialise parfois dans la contrefaçon. Plus grave encore, sur un plan politique, le régime est irrespectueux de nombreux droits de l’Homme et entretient des liens privilégiés avec des États mis au ban de la communauté internationale.
Maroc : Dynamique d’industrialisation
Au Maroc, depuis quelques années, s’opère une vraie prise en main de l’industrialisation sur la base d’une véritable vision. Certes, le principal objectif est la création d’emplois, mais pas uniquement, car il ne faut pas occulter la nécessité de création d’une vraie et forte valeur ajoutée qui ne peut se faire qu’à travers une réelle dynamique d’industrialisation orientée vers des secteurs de pointe. Au Maroc, le choix a été porté sur 7 secteurs, appelés les 7 métiers du Maroc, dont deux secteurs paraissaient pour beaucoup comme relevant de l’impossible quant à leur lancement au Maroc, à savoir les secteurs aéronautique et automobile. À l’époque, l’idée est parue anachronique. Aujourd’hui, les résultats sont là :
• Dans le secteur automobile, Renault a une capacité de fabrication de 400.000 véhicules avec un écosystème englobant 230 équipementiers. Ces derniers fabriquent de la pièce automobile à l’exportation, non seulement pour répondre aux besoins de Renault, mais aussi pour honorer des commandes qui proviennent de l’ensemble du globe.
• Dans le secteur de l’aéronautique, le troisième avionneur mondial s’est implanté au Maroc et fait travailler dans son sillage 110 équipementiers au niveau de l’aviation.
Donc ce sont des choix qui sont plausibles à partir du moment où sont mis en place tous les jalons pour y arriver. Donc le Maroc a une véritable stratégie industrielle, en mettant en place des industries performantes, avec une nouvelle démarche qui est la mise en musique de tous les instruments. C’est une démarche d’écosystème qui consiste à mettre en place, dans un secteur donné, un certain nombre d’usines pour pouvoir développer des capacités supérieures. Dans l’automobile on a été en mesure d’identifier 90.000 emplois nouveaux dans le cadre de la mise en place de cet écosystème et, bien entendu, nous avons repris tous les secteurs dits traditionnels, le textile et le cuir et bien d’autres. Il y a, en effet, une vraie stratégie industrielle et elle est fondamentale..
Chine, émergence pacifique ?
Malgré cela, le concept d’«émergence pacifique de la Chine» qui a été imaginé dès la fin 2003 par les dirigeants chinois se veut rassurant pour la communauté internationale. Ainsi, la Chine serait le premier empire capable d’émerger sans être vecteur de conflits majeurs et sans afficher d’ambitions hégémoniques. Naturellement, de nombreux pays demeurent sceptiques face à cette possibilité, d’autant plus qu’aucune puissance n’a jamais émergé dans l’ordre international sans ambitions expansionnistes et par conséquent sans provoquer de conflits majeurs. Afin de démontrer néanmoins qu’une pareille émergence est possible et depuis la crise financière asiatique de 1998, la Chine a commencé à entamer la construction de son image de membre responsable de la communauté internationale et de se présenter comme un acteur pacifique dans les affaires internationales, faisant passer le nombre des organisations internationales dont elle fait partie de 26 en 1982, à plus de 170 depuis 2010. De même, l’assistance active pour résoudre les conflits de la péninsule coréenne et de la zone du Moyen-Orient démontre que les objectifs chinois sont bien réels, tout comme la collaboration active avec les États-Unis dans son programme d’antiterrorisme, tant au niveau matériel qu’au niveau moral. Quant à ses relations de voisinage, la Chine met en œuvre sa nouvelle pensée de sécurité. Elle a ainsi réduit et exempté la dette des pays voisins, leur a offert son aide économique et technologique dans le but affiché d’un développement commun, ce qui ne l’empêche pas d’affirmer sa présence parfois virile dans le Sud de l’océan Pacifique. Par ailleurs, l’étau militaire étasunien qui enserre aujourd’hui déjà la Chine constitue en réalité la colonne vertébrale de la politique d’endiguement utilisée dans le passé contre l’URSS et inquiète naturellement l’Empire du Milieu.
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Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.