Le Matin : Quels sont, d’après vous, les enjeux géostratégiques d’un tel événement à dimension internationale ?
Sun Shuzhong : Face à une situation économique complexe et changeante, nous avons besoin d’une plateforme de coopération ouverte, inclusive et partagée qui réunit les différentes parties pour relever ensemble les défis planétaires. Les enjeux sont multiples : alignement de stratégies et politiques de développement, création de synergie pour pallier l’insuffisance des infrastructures, établissement par une coopération financière renforcée d’un système de soutien pour une croissance mondiale soutenue, approfondissement des échanges amicaux entre les peuples... D’où la naissance de l’Initiative «Ceinture et Route» en septembre 2013.
L’initiative est chinoise, mais elle n’est pas une mission solitaire de la Chine, et son succès devra être l’expression des volontés de tous. C’est dans ce sens que nous organiserons un Forum pour la coopération internationale les 14 et 15 à Pékin, le premier du genre depuis le lancement de l’initiative. Focalisé sur un meilleur alignement des stratégies et politiques de développement et une coopération pragmatique plus approfondie en matière d'interconnectivité, il vise à mettre en place une plateforme de coopération internationale plus ouverte et hautement efficace, à créer un réseau de partenariat plus fort selon le principe dit «construction par tous et pour tous», et à établir un système de gouvernance mondiale plus juste, plus rationnel et plus
équilibré.
Comment la proposition du Président chinois, XI Jinping, qui porte sur la construction de la Zone économique de la Route de la soie, favorisera-t-elle la coopération avec les principales organisations d’intégration internationale ?
L’initiative «Ceinture et Route» incarne une nouvelle idée de coopération ouverte, tolérante et inclusive, et met l’accent sur une consultation large, une contribution conjointe et des bénéfices partagés. Enrichissement des mécanismes de coopération internationaux existants, elle est basée sur les relations bilatérales et multilatérales actuelles. Tout pays ou organisation internationale qui y adhère est partenaire égal qui peut prendre part à la mise en œuvre de l’initiative à sa façon et en tirer profit. Actuellement, l’initiative a acquis un large soutien au sein de la communauté internationale. Le concept de ce nouveau choix mutuellement bénéfique proposé par la Chine a été repris par beaucoup organisations internationales, telles que les Nations unies, l’UNESCAP (Commission économique et sociale des Nations unies pour l'Asie et le Pacifique), l’APEC, l’ASEM, la GMS, qui seront également représentées au Forum.
Dans le domaine de la coopération économique, les autorités encouragent davantage les entreprises chinoises à consolider leurs marchés traditionnels en Asie du Sud, en Afrique du Sud et en Russie, mais à étendre aussi leur business à d’autres nouveaux marchés en Asie centrale, Europe de l’Est et Afrique du Nord, et ce dans des secteurs différents comme les mines, l’automobile, les infrastructures, l’agriculture et autres. Comment s’opère cette ouverture de l’économie chinoise sur le reste du monde ?
Un nouveau lien entre, d’un côté, le très prometteur cercle économique de l’Asie de l’Est et, de l’autre, les économies développées du marché européen permet d’exercer un effet d’entraînement sur les économies riveraines de «Ceinture et Route», d'améliorer le bien-être des peuples, et d’assurer la paix et la stabilité dans la région. En 2016, le volume des échanges commerciaux entre la Chine et les pays riverains de «Ceinture et Route» a atteint 913 milliards de dollars américains, plus d’un quart de l’import-export de Chine. L’investissement des entreprises chinoises dans ces pays a dépassé 50 milliards de dollars. 56 zones de coopération économique et commerciale ont été construites avec l’aide chinoise pour générer 1,1 milliard de dollars en recettes fiscales et créer 180.000 emplois pour les habitants locaux. Or cela n’est qu’un premier pas. L’Initiative prévoit des objectifs encore plus ambitieux en visant un développement partagé de tous les pays adhérents. Des Plans d’action pour cinq ans, ou un plus long terme, seront élaborés avec chaque partie pour fixer les secteurs prioritaires et les projets structurants, élaborer des feuilles de route pour la mise en concrétisation et détailler les mesures d’accompagnement.
Quel sera l’apport du Maroc à ce grand projet qui insiste sur l’échange mutuel et la coopération win-win ?
L’Afrique du Nord est l’entrecroisement ouest des anciennes Routes de la soie terrestre et maritime. Carrefour privilégié entre l’océan Atlantique et la Méditerranée et entre les continents eurasiatique et africain, le Maroc y a joué un rôle important. Dès le lancement de l’initiative «Ceinture et Route», le Maroc figure parmi ses premiers partisans, estimant que l’Initiative chinoise et son Plan d’accélération industrielle 2014-2020 forment un parfait duo permettant aux deux pays de mieux mettre à profit deux plateformes différentes pour continuer à renforcer leur coopération dans le domaine des infrastructures, des chemins de fer, de l’énergie... Ce sont les cas du grand pont Mohammed VI et des projets Noor, et bientôt ce sera la Cité
Mohammed VI Tanger Tech et beaucoup d’autres. Un an après la dernière visite royale en Chine, la coopération sino-marocaine a connu un grand essor avec d’abondants résultats concrets. On peut s’attendre à un partenariat plus étroit entre la Chine et le Maroc dans le cadre de la construction conjointe de «Ceinture et Route».
Le Maroc, grâce à sa position géographique, mais aussi à ses ressources humaines et les accords de libre-échange qu’il a conclus avec de nombreux pays, a le potentiel pour devenir un hub pour les investissements étrangers en Afrique. Quel rôle peut jouer le Royaume dans la facilitation de l’implantation des entreprises chinoises en Afrique de l’Ouest ?
Par ses liens historiques, économiques, commerciaux et cultuels avec l’Afrique de l’Ouest, le Maroc est une porte d’entrée pour les investisseurs désireux d’investir dans cette région. Dans l’histoire, il a des relations commerciales depuis des siècles avec l’Afrique subsaharienne, et il servait d’entrecroisement commercial entre l’Europe et l’Afrique. Aujourd’hui, les investissements marocains dans les pays de l’Afrique de l’Ouest augmentent d’année en année. L’implantation par les grandes multinationales de bureaux régionaux pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest à Casablanca montre bien le potentiel de ce marché. Dans le cadre de la coopération internationale en matière de capacité de production, les entreprises chinoises sont plus nombreuses à envisager une installation en Afrique du Nord et de l’Ouest. Avec tant d’avantages : proximité géographique, liens traditionnels, facilité linguistique, politiques préférentielles, main-d’oeuvre abondante, la plateforme marocaine est une place de choix. La Banque de Chine, une des plus grandes banques chinoises, en a donné la preuve en s’installant à Casablanca Finance City CFC.
Récemment, des délégations chinoises venant de Pékin, Shaoxing, Shangdong, Jiangsu, Shanghai et Sichaun ont visité le Maroc et manifesté leur intérêt pour opérer dans les secteurs de l’énergie solaire, la construction et le BTP, l’agroalimentaire, l’import-export, la construction de parcs d’attractions et l’immobilier. Est-ce le prélude d’une éventuelle coopération triangulaire Chine-Maroc-Afrique et existe-t-il des projets déjà identifiés ?
La Chine attache toujours une grande importance à sa coopération avec l’Afrique. Le Sommet du Forum sur la coopération sino-africaine à Johannesburg en décembre 2015 s’est avéré un immense succès avec l’établissement d’un partenariat de coopération stratégique global entre la Chine et l’Afrique et le lancement d’un plan de coopération axé sur «Cinq piliers» et «Dix programmes».
La Chine a aussi annoncé un soutien financier unilatéral de 60 milliards de dollars pour l’Afrique. Depuis, de nombreux progrès encourageants ont été réalisés. 243 nouveaux accords conclus ont totalisé 50,7 milliards de dollars, dont 91% sont des IDE ou des prêts commerciaux à l’Afrique.
Ces derniers temps, les entreprises chinoises sont nombreuses à venir au Maroc chercher des opportunités de coopération.
La Chine s’en tient au principe dit «initiation, approbation et orientation par l’Afrique» pour approfondir sa coopération avec les pays africains, y compris le Maroc. Aujourd’hui, alors que le continent africain s’attache à promouvoir son industrialisation, son urbanisation et sa modernisation et aspire ardemment à développer l’économie, à améliorer le bien-être des habitants et à réduire la pauvreté, une coopération sino-africaine plus approfondie permettra d'accélérer la construction des infrastructures, d'améliorer l’environnement d’investissement, et d'apporter un plus grand soutien technologique, financier et humain. Face à de telles opportunités, toute innovation en modèle de coopération est dans l’intérêt de la Chine, du Maroc et des autres pays africains pour une meilleure complémentarité, une plus grande synergie et, donc, un résultat gagnant-gagnant.
Entretien réalisé par El Mahjoub Rouane