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Entrepreneuriat, que de défis !

Il ne fait nul doute que l’importance de la création d’entreprise et de l’auto-emploi est vitale pour toute la dynamique de développement. Cependant, d'après les conclusions de l'étude GEM, le taux d’activité entrepreneuriale reste relativement faible malgré des avancées en 2016. La mise en œuvre de programmes d’enseignement et de formation en entrepreneuriat constitue une des solutions pour augmenter les capacités d’entreprendre.

Entrepreneuriat, que de défis !

Dans un contexte économique marqué par la hausse du chômage, notamment chez les jeunes, l’encouragement de l’acte entrepreneurial revêt une importance capitale pour le monde et pour le Maroc en particulier à travers la garantie des emplois et la création de richesses. C’est pourquoi il devient essentiel de mesurer l'entrepreneuriat et ses principaux déterminants et d’identifier les segments qui nécessiteront un soutien ou une intervention des pouvoirs publics. C’est la raison d’être du projet Global Entrepreneurship Monitor (GEM) qui a présenté récemment le rapport international GEM 2016/17 au Meeting international du GEM à Kuala Lumpur en Malaisie marqué par la participation de l’Université Hassan II Casablanca – Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales (FSJES). Les résultats de cette étude soulignent que la consolidation d'un écosystème entrepreneurial favorable est la clé de la création de l’emploi. Il ressort également de cette enquête que 55% des chefs d'entreprise s'attendent à créer au moins un emploi au cours des cinq prochaines années. À l'échelle mondiale, de nombreux enjeux sont susceptibles d’entraver le potentiel de création d’emplois, notamment le développement des nouvelles technologies de communication qui offrent la possibilité aux entrepreneurs d’opérer seuls dans une perspective rigide en matière de réglementation du travail, une faible disponibilité de main-d'œuvre qualifiée ou instruite et un faible accès au financement entrepreneurial.

Quelle évolution de l’entrepreneuriat au Maroc ?

Grâce à sa deuxième participation au projet GEM, le Maroc a fait l’objet d’une évaluation de son niveau et de son
contexte entrepreneurial. En dépit d’un environnement caractérisé par un ralentissement de la croissance économique en 2016, le Maroc présente des indicateurs relatifs à la culture entrepreneuriale et au potentiel entrepreneurial «assez élevés», selon le rapport. Il fait mieux en termes d’activité entrepreneuriale (TAE). En effet, la proportion de la population âgée de 18 à 64 ans dans une démarche entrepreneuriale passe de 4,4 à 5,6%. Or ce résultat est insuffisant pour générer un nouveau «flux» d’entreprises qui assurerait une dynamique plus entrepreneuriale de l’économie nationale.

Ce qui se répercute sur le potentiel de création d’emplois et d’internationalisation des entreprises qui se trouve, par conséquent, réduit. Autre point important : l’amélioration de l'écosystème national requiert le développement du transfert technologique, du système éducatif, de l’accès au financement et du dispositif d’accompagnement entrepreneurial. De l’avis de Abdellatif Komat, doyen de la FSJES de Casablanca et membre de l’Équipe GEM Maroc, «le développement entrepreneurial dépend étroitement de l’efficacité des politiques visant à réduire les contraintes réglementaires et administratives qui pèsent sur l’activité entrepreneuriale, à promouvoir la formation à l’entrepreneuriat, qu’elle soit scolaire ou professionnelle, et à faciliter l’accès aux financements, à la technologie, à l’innovation et aux marchés internationaux». Selon le professeur, le Maroc reste aux premiers stades de développement de l’infrastructure et de l’activité de l’entreprise sociale, en particulier pour ce qui est de la sensibilisation des influenceurs et décideurs clés et de l’éveil de l’intérêt du grand public. Pour enregistrer une performance entrepreneuriale, M. Komat appelle les acteurs publics à focaliser leurs stratégies sur l’activation et la transformation des intentions entrepreneuriales en acte entrepreneurial. Dans ce sens, les efforts engagés pour améliorer la visibilité, la cohérence et la performance des aides à la création d'emplois doivent être poursuivis afin de replacer les jeunes promoteurs au cœur des dispositifs.

La réforme de l’État sur les programmes et les structures d’aides à la création d’entreprises doit être approfondie, notamment en matière de conseil et d’accompagnement, précise-t-il. Quant au rôle de l’université marocaine pour promouvoir l'entrepreneuriat, M. Komat estime que l’établissement universitaire est appelé à être plus flexible et plus réactif face aux nouveaux besoins et défis socioéconomiques, et ainsi être en phase avec les changements du tissu économique national qui connait la création de différents dispositifs et structures d’information et de facilitation de l’auto-insertion des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle (CNJA, le Crédit jeunes promoteurs, Moukawalati, etc.).Au-delà de leur rôle principal dans la diffusion du savoir, poursuit-il, les universités doivent entreprendre et élargir les relations partenariales avec les entreprises. Elles sont aussi invitées à produire les compétences nécessaires à la bonne marche du système économique et social. Pour ce faire, le professeur met en avant des solutions comme la sensibilisation et l’initiation à l’entrepreneuriat ; la formation à la création d’entreprise à la gestion de projet à la PME et l’accompagnement des porteurs de projets.

Quid des niveaux de l'innovation?

Dans les détails, le rapport s’est penché sur les niveaux de l'innovation dans les différentes économies. Celles-ci ont également tendance à suivre le niveau de développement économique. À l'échelle régionale, l'innovation est plus élevée en Amérique du Nord (39%) et plus faible en Afrique (20%). Le rapport indique, en outre, que plusieurs pays montrent un développement significatif de l’activité entrepreneuriale associée à un important potentiel d'innovation. C’est le Chili qui arrive en chef de file : 24% de la population adulte commence ou a déjà entamé une activité entrepreneuriale nouvelle et 57% des entrepreneurs déclarent s’investir dans des produits ou des services innovants. De même, le rapport indique qu’il existe une forte corrélation entre les niveaux de création d’entreprise et la perception de l’entrepreneuriat comme étant un bon choix de carrière qui reste à son tour influencée par le rôle des médias. 60% des entrepreneurs, toutes régions confondues, perçoivent positivement l’intérêt des médias pour les entrepreneurs. Compte tenu de ce qui précède, force est de constater qu'il n'y a pas de solution universelle pour la promotion de l'entrepreneuriat à travers le monde. «Les véritables leviers de la croissance de l’entrepreneuriat se résument finalement dans les conditions névralgiques qui permettront d’activer le passage des intentions entrepreneuriales - élevées de surcroît - à l’acte entrepreneurial. Ces conditions sont : la formation, le financement et l’accompagnement», comme l’atteste M. Komat.

Signalons que l’étude GEM 2016 couvre 69,2% de la population mondiale et 84,9% du PIB. Après 18 années, elle continue d'être la plus grande étude sur l’entrepreneuriat dans le monde avec 65 pays participants. Elle permet de mettre en évidence à l’attention des universitaires-chercheurs, des décideurs et des praticiens, les éléments clés de l'interdépendance entre l'entrepreneuriat et le développement économique. Elle permet aussi d’identifier les facteurs qui favorisent ou entravent l'activité entrepreneuriale, en particulier ceux liés aux valeurs sociales, aux attitudes individuelles et à l'écosystème entrepreneurial. Deux autres objectifs sont à signaler : fournir le cadre d’analyse pour évaluer la relation entre l’activité entrepreneuriale et la croissance économique, et proposer des mesures de politiques économiques susceptibles de favoriser l’écosystème de l’entrepreneuriat national. 


Global Entrepreneurship Monitor (GEM)

Le projet du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) a initialement démarré en 1999 sous l’impulsion de la London Business School et du Babson College (États-Unis). Jusqu’à aujourd’hui, près d’une centaine d’équipes nationales se sont investies à mesurer l’activité entrepreneuriale aux quatre coins du globe, ce qui fait du GEM la plus grande étude qui porte sur le dynamisme entrepreneurial dans le monde. Essentiellement, le modèle du GEM postule qu’au travers de différentes institutions et caractéristiques
socioéconomiques (éducation, loi, infrastructure, technologie, finance, R&D, etc.), l’environnement social, culturel et politique influence les attitudes, les aspirations et l’activité entrepreneuriale. Cela a un effet sur la création d’entreprises et la croissance économique. Différentes sources de données sont utilisées, dont le sondage auprès de la population adulte (APS) et celui auprès des experts nationaux (NES). Les données collectées sont rassemblées par une équipe centrale d’experts, garantissant la qualité et facilitant les comparaisons entre nations.


GEM Maroc

L’étude internationale GEM est pilotée au Maroc par le Laboratoire de recherche en entrepreneuriat et management des organisations (EMO), relevant de la Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales de l’Université Hassan II - Casablanca. Avec un encadrement scientifique de plus de 2.000 enseignants chercheurs, l’Université Hassan II - Casablanca (UH2C) met à la disposition de ses 96.000 étudiants une formation multidisciplinaire couvrant l’ensemble des champs disciplinaires. Elle ambitionne, ainsi, de favoriser la diffusion des connaissances et de contribuer au développement socioéconomique du pays. Avec l’appui du Centre de recherche pour le développement international du Canada (CRDI) et de la Fondation Qatari Silatech, le laboratoire-EMO a réalisé les deux premières enquêtes GEM 2015 et 2016. Le rapport GEM Maroc 2016/2017 sera publié le 21 avril 2017.


Entretien avec Abdellatif Komat, doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Casablanca, membre de l’Équipe GEM Maroc

«Le développement de l’entrepreneuriat commence dès le niveau secondaire, voire primaire»

Éco-Emploi : Selon vous, quels seront les véritables leviers de la croissance de l'entrepreneuriat au Maroc ?
Abdellatif Komat : L’étude GEM explore d’abord et avant tout le rôle de l’entrepreneuriat dans la croissance économique nationale, en mettant en lumière les particularités nationales et les caractéristiques associées à l’activité entrepreneuriale. Cette connaissance construite du processus entrepreneurial, dans toutes ses phases, se révèle une action indispensable pour faciliter les mesures de régulation entreprises par les décideurs et identifier les segments qui nécessiteront un soutien et une intervention des pouvoirs publics. Dans les pays en voie de développement tels que le Maroc, l’importance de la création d’entreprises et de l’auto-emploi est vitale pour toute la dynamique de développement. Elle est une source essentielle de la production de la richesse et de la lutte contre le chômage et le sous-emploi. Or les résultats de l’étude GEM révèlent des taux d’activité entrepreneuriale émergente qui restent relativement bas, même s’il y a eu une évolution positive en 2016.
Les véritables leviers de la croissance de l’entrepreneuriat dans notre pays se résument finalement dans les conditions névralgiques qui permettront d’activer le passage des intentions entrepreneuriales - élevées de surcroît - à l’acte entrepreneurial. Ces conditions sont la formation, le financement et l’accompagnement.
Les difficultés d’accès au financement et les limites actuelles des instruments alternatifs freinent le développement et expliquent en partie les écueils de l’activité
entrepreneuriale. Ce problème se retrouve amplifié au sein des groupes les plus défavorisés. Les jeunes entrepreneurs, par exemple, rencontrent de sérieuses difficultés d’accès au financement, quel que soit leur stade d’activité entrepreneuriale. De même, pour accéder aux services financiers formels, les femmes ont moins de chances que les hommes de posséder un compte bancaire, se heurtent à des barrières d’ordre structurel, réglementaire et commercial. Il est donc nécessaire de réfléchir à des modèles de financement plus adaptés ainsi qu’à des actions politiques plus inclusives.
L'accès au capital n'est cependant qu'une partie de l'équation. Une fois que les entrepreneurs sont en mesure d'obtenir du financement, ils ont également besoin d'être en mesure de gérer leurs fonds. Des programmes de formation adaptés, notamment d’éducation financière, aideraient ces entrepreneurs à exploiter leur entreprise et à contribuer en définitive au développement du tissu entrepreneurial du pays. Par ailleurs, il va sans dire que la mise en œuvre de programmes d’enseignement et de formation en entrepreneuriat peut augmenter la perception des opportunités, les capacités d’entreprendre ainsi que la motivation chez les jeunes. Les programmes d’enseignement peuvent être envisagés à tous les niveaux du cursus scolaire ; de même qu’ils peuvent être plus ou moins spécifiques, allant du simple séminaire de sensibilisation à l’esprit d’entreprendre, aux cours présentant les outils du créateur (plan d’affaires, montage juridique et financier, étude de marché). Enfin, un système financier performant et un mécanisme de formation adapté, quoique nécessaires, restent insuffisants pour atteindre des niveaux d’activité entrepreneuriale importants, car l’étude GEM relève que les politiques de soutien et d’accompagnement actuelles constituent aussi des facteurs inhibants. D’où l’importance du troisième levier qu’est l’appui non financier, notamment le mentorat et le réseautage qui peuvent constituer des catalyseurs pour améliorer l’activité entrepreneuriale, surtout chez les jeunes.

Quel devrait être le rôle de l'université ?
Je me rappelle d’un ouvrage «The Aims of Education» écrit au début du 20e siècle où l’auteur affirme que la culture et la science doivent aller à la rencontre de l’action pour participer au progrès de la société. Produire et transmettre des connaissances ne suffit pas, ces savoirs doivent être mis en œuvre dans une dynamique de changement et d’innovation. La symbiose entre action et réflexion n’est pas seulement une nécessité sociale : en reliant théorie et pratique, elle donne du sens aux apprentissages et aux enseignements. Faut-il rappeler à ce stade que le Maroc devrait créer 300.000 emplois par an sur dix ans pour éliminer le chômage ?
Les changements que connaît l'enseignement supérieur placent l’université et les établissements qui en relèvent dans une position stratégique comme acteur de développement économique.

Un des principaux axes est la consolidation du financement de la recherche scientifique...
Je dois avouer qu’il s’agit là d’un volet qui n’avait pas bénéficié jusqu’à récemment d’une attention particulière de la part de l’État. Force cependant est de constater que la demande sociale conditionne de plus en plus le développement de la recherche. La stratégie nationale pour le développement de la recherche scientifique à l’horizon 2025 est en phase d’opérationnalisation. Un des principaux axes est la consolidation du financement de la recherche scientifique, l’optimisation de sa structuration, la promotion et la valorisation de la recherche scientifique et enfin la consolidation des interfaces universités entreprises. L’effort financier consenti par l’État et les opérateurs socio-économiques pour la réalisation des projets de R&D doit permettre de générer à moyen terme un volume d’innovation très significatif, source de développement de l’activité entrepreneuriale dans notre pays.
Au niveau de notre Faculté, nous avons entrepris une action phare de regroupement de sept laboratoires de recherche dans le cadre d’un centre unique dédié à l’entrepreneuriat et la PME. Cette initiative permettra de fédérer des équipes multidisciplinaires, d’améliorer la performance de nos travaux et de générer des fonds significatifs à même d’intensifier nos activités de recherche, mais aussi des initiatives d’incubation.

Sur le terrain, les choses ont-elles vraiment changé ?
L’air insufflé par la nouvelle réforme, à travers la création des structures (exemple, le réseau Maroc incubation et essaimage) et la mise en place d’initiatives (modules en culture entrepreneuriale et programme CLE du BIT, d’Injaz, etc.), a jeté les jalons servant de vecteurs à la promotion de l’entrepreneuriat.
En effet, l’université marocaine peut désormais jouer la carte de l’entrepreneuriat en renforçant ses activités entrepreneuriales (prendre des participations dans des entreprises publiques et privées, créer des sociétés filiales, constituer des groupements d’intérêt public).
Cependant, l’enquête auprès des experts nationaux dans le cadre de l’étude GEM pointe pour la deuxième année consécutive le système d’éducation et de formation comme le maillon faible de l'écosystème. Le système peine, en effet, à remplir sa mission de sensibilisation des jeunes à l'entrepreneuriat. Il semble donc urgent d’œuvrer pour rendre le dispositif universitaire plus performant en termes de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des jeunes porteurs d’idées de projets. L’accent devrait être mis essentiellement sur les aptitudes entrepreneuriales et l’intention des étudiants à rendre leur comportement plus performant.
Trois lignes d’actions pourraient être envisagées : (1) sensibilisation des étudiants et des professeurs par des conférences, des témoignages, des cours d’initiation, des visites d’entreprises et des simulations de créations d’entreprises virtuelles ; (2) accompagnement des étudiants qui ont un projet entrepreneurial avec des conseils spécifiques, et l’orientation vers des ressources appropriées à travers les incubateurs ; (3) formation des étudiants qui s’intéressent à l’entrepreneuriat au travers de filières et de programmes spécifiques, d’études de cas, et de travail sur le terrain. Le développement de l’entrepreneuriat dans l’enseignement et la formation doit se faire dès le niveau secondaire, voire primaire, et se poursuivre lors des études universitaires.

Concrètement, quels sont les grands défis à relever dans le futur ?
Il est évident que l’on ne peut pas faire abstraction de l’environnement dans lequel évoluent les entrepreneurs. Or notre pays n’arrive pas encore à capitaliser sur son potentiel entrepreneurial intrinsèque. Des gisements importants restent à exploiter notamment en matière d’entrepreneuriat féminin et d’entrepreneuriat social qui contribuent si peu à la dynamique entrepreneuriale.
L’accroissement de la participation des femmes dans l’entrepreneuriat doit constituer une priorité pour les pouvoirs publics et les milieux économiques. Cet accroissement est susceptible d’avoir un impact significatif sur le taux d’activité entrepreneuriale au Maroc.
Les politiques publiques sont amenées à focaliser leurs stratégies sur l’activation et la transformation des intentions entrepreneuriales en actes entrepreneuriaux.
Dans ce sens, les efforts engagés pour améliorer la visibilité, la cohérence et la performance des aides à la création doivent être poursuivis afin de replacer les jeunes promoteurs au cœur des dispositifs. La réforme de l’État sur les programmes et les structures d’aides à la création d’entreprises doit être approfondie, notamment en matière de conseil et d’accompagnement. 

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