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Prévention des risques professionnels, un investissement gagnant !

La valorisation du collaborateur passe d'abord par l'instauration de mesures préventives pour renforcer sa sécurité. Des mesures qui permettent, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), non seulement aux pays et aux entreprises de réduire les coûts et d’orienter leurs pertes astronomiques vers des investissements productifs, mais aussi d’augmenter la productivité. Pour ce faire, un système d’information fiable permettant de décrire avec précision l’état actuel de la situation en matière de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles s’impose.

Prévention des risques professionnels, un investissement gagnant !

La prévention des risques professionnels n’est pas chose acquise et demeure un défi majeur pour chaque organisation. Risques physiques, psychosociaux, mentaux, chimiques, biologiques : la liste des dangers qui se dressent devant les employeurs est illimitée. Dr Hamzaoui Halim, spécialiste en santé et sécurité au travail (SST) au sein de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour les pays du Maghreb, rappelle que «toutes les 15 secondes, un travailleur meurt dans le monde d’un accident ou d’une maladie liés au travail. Toutes les 15 secondes, 153 travailleurs sont victimes d’un accident lié au travail. Chaque jour, 6.300 personnes meurent d’un accident du travail ou d’une maladie liée au travail soit plus de 2,3 millions de morts par an. La plupart des 317 millions d’accidents qui se produisent chaque année sont à l’origine d’absences prolongées du travail et souvent d’incapacités ou d’infirmités permanentes». Pis encore, ajoute l’expert, «le coût humain de cette menace quotidienne est considérable et on estime que le fardeau économique des mauvaises pratiques de sécurité et santé au travail représente, tous les ans, 4% du produit intérieur brut (PIB), soit le montant astronomique de 2.800 milliards de dollars».

Cette situation, certes déplorable, doit être traitée d'urgence et examinée dans son ensemble. Le besoin d’un engagement fort et renouvelé de la part de toutes les parties prenantes (États, entreprises, syndicats, société civile et collaborateurs) s’impose. D'ailleurs, beaucoup l’ont compris : on ne peut pas progresser et aller de l’avant sans garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine. Le ministère de l’Emploi marocain est pleinement conscient de cet enjeu. Il a initié plusieurs démarches promouvant une culture en faveur de la SST... Citons à tire d’exemple la mise en place d’un comité de sécurité et d’hygiène (CSH) afin de réduire, voire éliminer tout risque de maladies ou d’accidents professionnels. L’élaboration d’un guide sur les risques professionnels vient aussi conforter son engagement. Objectif : aider tous les intervenants dans le secteur de la prévention, notamment les agents chargés de l’inspection du travail et le représentant des partenaires sociaux, à mieux accomplir leur mission. De même, l’entrée en vigueur en janvier 2015 de la loi 18-12 a également introduit des changements majeurs sur le processus d’indemnisation, dans le but de simplifier les procédures de déclaration des accidents du travail et d’accélérer l’indemnisation des victimes ou de leurs ayants droit. Un effort louable, mais est-il suffisant devant l'ampleur inquiétante des maladies et accidents professionnels ? De l’avis de Dr Hamzaoui Halim, «la mise en place d’une politique nationale de prévention des risques professionnels permet non seulement aux pays et aux entreprises de réduire ces coûts et d’orienter ces pertes astronomiques vers des investissements productifs dans les domaines de la recherche et de l’innovation, mais aussi d’augmenter la productivité en garantissant aux salariés un bien-être physique, mental et social optimal et un lieu de travail sain et sûr. Elle permet aussi d’augmenter la compétitivité des économies par un meilleur respect des temps de livraison, une maîtrise des coûts directs et indirects de production et l’accès à de nouveaux marchés à haute valeur ajoutée exigeant souvent des normes sociales strictes».

Cependant, cette politique et les programmes qui en découlent, estime l'expert de l'OIT pour les pays du Maghreb, «ne seraient pas efficaces en l’absence d’un système d’information fiable permettant de décrire avec précision l’état actuel de la situation en matière de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, de définir les priorités d’action et d’intervention, de se fixer des objectifs spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et définis dans le temps et d’évaluer à intervalles réguliers l’efficacité des actions menées afin d’apporter les mesures correctives nécessaires». Afin de sensibiliser davantage les États à la nécessité cruciale d'améliorer leur capacité à collecter et à utiliser des données fiables sur la SST, l’OIT a inscrit cette question à l’ordre du jour de la Journée mondiale de la SST 2017 célébrée le 28 avril. Elle reconnait, par ailleurs, que la plupart des pays membres ont établi des systèmes de collecte des données relatives à la sécurité et santé au travail. Sauf que «ces systèmes souffrent de défaillances structurelles empêchant l’analyse pertinente des données, leur comparabilité dans le temps et avec les autres pays ainsi que leur désagrégation par genre, secteur d’activité, profession, statut du travailleur, âge…» Pour conclure, Dr Hamzaoui Halim insiste sur le fait qu’«un système fiable de recueil et d’analyse des données de SST, en harmonie avec les principes des normes internationales du travail et les directives et recueils pratiques du bureau international du travail, contribue largement à la mise en place d’une prévention efficace des risques professionnels garantissant le bien-être des travailleurs et la prospérité économique durable de l’entreprise et de l’économie». 


Avis de l’expert : Mohammed Benouarrek consultant RH

« Un système de management de la santé et de la sécurité au travail est l'un des fondamentaux de la gestion du capital humain.  Nous avons tendance à parler du développement RH, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, etc ce qui es bien mais pas suffisant.  A la base, les conditions de travail et de sécurité au travail était à l'origine des problèmes sociaux ayant donné naissance à la fonction RH.  Aujourd’hui, la fonction RH est appelée à travailler étroitement avec le département qualité, hygiène et sécurité afin de s'assurer que notre capital est en bonnes conditions.  La santé et la sécurités sont des prérequis pour une performance optimale.  Sans ces deux facteurs clés, l'entreprise perd en absentéisme, en arrêt, en AT's (accident de travail) et en productivité. Le principe Security First n'est pas un slogan; c'est une réalité. Toute entreprise dans le cadre de la RSE, a une responsabilité sociale.  Cette dernière exige entre autre des mesures relatives à la santé de ses salariés et à leur sécurité. Ceci se matérialise via des descriptifs de postes bien étudiés et équilibrés, des adéquations poste/profil bien analysées, des bilans de santé adéquats selon la nature du métier, un service de médecine de travail, un comité d'hygiène et de sécurité (CHS) impliqué, des formations en secourisme, sauvetage et évacuation en cas d'incident, des opérations de sensibilisation, etc.  Le rôle de la RH reste primordial pour développer une culture d'hygiène, de santé et de mesures sécuritaires, mais après tout c'est la responsabilité de tout le monde ».


Entretien avec Hamzaoui Halim, spécialiste en santé et sécurité au travail au sein de l’OIT pour les pays du Maghreb

«Une prévention efficace ne coûte pas cher et impacterait positivement l'entreprise et les travailleurs.»

Éco-Emploi : Comment analysez-vous les stratégies de SST ? Pourriez-vous dresser un état des lieux ?
Hamzaoui Halim : Les stratégies de SST entrent dans la démarche systémique de management des risques professionnels comme le propose la Convention internationale du travail n° 187 sur le cadre promotionnel de la SST adoptée en 2006. Cette approche système permet d'avoir une approche logique et structurée des questions de SST assurant ainsi une réponse aux besoins réels, une priorisation des interventions et des actions efficaces en matière de prévention des risques professionnels, et ce, dans le cadre d'un dialogue social constructif entre le gouvernement, les représentants des travailleurs et des employeurs. Ainsi la démarche se base sur un diagnostic concerté de la situation en matière de risques professionnels avec une analyse du système existant permettant d'établir le profil national de SST. Sur la base de ce profil, gouvernement et partenaires sociaux définissent les priorités stratégiques nationales constituant la politique nationale de SST. Ces stratégies, de durée déterminée, permettent de réduire ainsi les accidents du travail et les maladies professionnelles. Une évaluation périodique de l'efficacité des programmes et stratégies permet d'apporter à temps les mesures correctrices nécessaires et de les adapter au contexte si besoin est. L'approche par système, basée sur les stratégies SST, a montré son efficacité. Elle permet une optimisation des ressources matérielles et humaines (au niveau national et au niveau de l'entreprise) et une amélioration continue du système. Les évaluations faites sur l'efficacité de cette approche montrent, d'une part, une réduction nette des accidents du travail, des maladies professionnelles et de l'absentéisme (pouvant aller jusqu'à 30% sur une période de 2-3 ans) et un retour sur investissement dans la prévention avec un rapport variant de 2,2 à 4 : pour 1 dollar investi, l'entreprise gagne 2,2 à 4 dollars grâce à une amélioration de la productivité et de la compétitivité (respect des délais, image positive de l'entreprise, accès aux marchés aux règles strictes en matière de normes sociales...)

Comment faire face au stress et à l’épuisement professionnel ?
Les mutations profondes qu'a connues le monde du travail avec le changement des procédures du travail, la dématérialisation des lieux du travail et la précarisation de certaines professions ont été accompagnées par l'émergence de risques psychosociaux. Ces risques émergents, qui constituent un nouveau challenge pour les préventeurs, sont à l'origine d'une désinsertion professionnelle parfois irréversible avec toutes ses conséquences sociales pour les travailleurs et coûtent cher à l'entreprise et à l'économie nationale. Le stress au travail, un défi collectif a été d'ailleurs le thème de la Journée mondiale de SST en 2016. La réponse à ce problème est tout d'abord préventive axée sur la prévention primaire (action sur les facteurs de risques avant l'apparition des premiers signes de la maladie). Elle se base sur une analyse détaillée du poste du travail permettant de déterminer les points critiques et les leviers d'action. Problème multifactoriel, l'analyse des causes des risques psychosociaux gagne à être menée par une équipe pluridisciplinaire intégrant médecin du travail, ingénieur de prévention, psychologue, sociologue et doit impliquer les travailleurs et l'employeur. L'analyse ne doit pas se limiter à l'analyse psychosociale de l'environnement du travail, mais comporter aussi une analyse des autres risques physiques, chimiques, biologiques et autres pouvant avoir un effet déclencheur ou potentialisateur du stress (bruit, vibrations, exposition à certains produits chimiques...). L’OIT a développé deux outils complémentaires pour répondre aux préoccupations touchant à la santé mentale sur le lieu de travail :
– «La prévention du stress au travail», basé sur de bonnes pratiques qui propose une liste de points de contrôle et des conseils pour réaliser un audit et intervenir sur le lieu de travail, avec à la clé des améliorations concrètes pour prévenir les risques psychosociaux et le stress au travail.
– Le kit pédagogique «Solve». Cet outil se concentre sur la promotion de la santé et du bien-être au travail au moyen de politiques et d’actions conçues pour proposer une réponse intégrée qui s’intéresse aux domaines suivants et à leurs interactions : (i) santé psychosociale (stress, violence psychologique et physique, agents stressants économiques) ; (ii) addictions potentielles et leurs effets sur le lieu de travail (tabagisme actif et passif, consommation d’alcool et de drogues) ; et (iii) habitudes de vie (nutrition adaptée, exercice ou activité physique, sommeil réparateur, prévention du VIH/sida).

Quels sont les projets à l’intention des employeurs ?
L'OIT a la particularité d'être une organisation à gouvernance tripartie, et ce, depuis sa création en 1919. La branche LabadminOSH, qui est la branche technique spécialisée en SST, assure à travers ses spécialistes techniques au siège et sur terrain l'appui aux gouvernements, organisations de salariés et organisations d'employeurs pour prévenir les risques professionnels et réduire au maximum les accidents du travail et les maladies professionnelles.
En ce qui concerne les employeurs, l'OIT développe à travers le monde des formations pour le renforcement des capacités des chefs d'entreprise et de leurs représentants en matière de prévention des risques professionnels et développe des projets et programmes pour appuyer les entreprises dans leurs démarches de mise en place de systèmes de management de SST. L'OIT développe de façon régulière des guides pour aider les employeurs à avoir une approche scientifique, structurée et efficace de prévention. Les approches proposées aux employeurs sont des approches intégrant prévention des risques professionnels et productivité de l'entreprise faisant ainsi des coûts de la prévention un investissement et non une charge pour l'entreprise.

Quelles sont vos prévisions pour les années à venir ?
La SST constituera dans les années à venir un enjeu important pour le développement durable. L'impact humain, social et économique des accidents du travail et des maladies professionnelles est à l'origine d'une montée de conscience de plus en plus croissante des gouvernements, des employeurs et des travailleurs sur l'urgence et l'efficacité de mise en place de systèmes et stratégies de prévention des risques professionnels. Contrairement aux idées reçues, une prévention efficace, mise en place selon une démarche structurée, ne coûte pas cher et impacterait positivement sur l'entreprise et sur les travailleurs. La non-prévention coûte cher aux économies et serait estimée à 4% du PIB mondial soit 2.800 milliards de dollars. Conscient de cet enjeu, les États membres des Nations unies ont intégré la promotion de la SST comme un des résultats à atteindre en 2030 dans le cadre de l'Objectif 8 «Travail décent et croissance économique» des Objectifs de développement durable adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies en 2015. La mise en place d'une approche structurée basée sur les principes des normes internationales du travail constituera la démarche à adopter pour un système de SST efficace et productif. La promotion du dialogue social autour des questions de SST est capitale pour définir de façon concertée les priorités et les approches de prévention, d'autant plus que la prévention est une affaire collective. L'intégration de la SST dans les chaines mondiales d'approvisionnement permettra de promouvoir de façon équitable le droit à la SST à différents niveaux et d'instaurer une justice sociale basée sur les droits fondamentaux du travail et les principes du travail décent. Le développement de systèmes pertinents et efficaces de recueil et d'analyse des données permettra de définir avec précision les priorités d'action, d'évaluer les démarches de prévention et de faciliter la veille concernant les risques émergents et nouveaux permettant d'anticiper leurs effets sur la santé des travailleurs. L'humanité gagnerait à investir dans la SST pour garantir un avenir serein aux générations futures et rendre le milieu du travail un lieu d'épanouissement et de contribution au développement de la société. 

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