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«Les personnes âgées ne doivent pas restreindre leur consommation alimentaire habituelle après la rupture du jeûne»

Le mois du Ramadan touche à sa fin. Et ces derniers jours sont généralement les plus difficiles pour les jeûneurs, surtout lorsqu’il s’agit de personnes âgées. Les «paramètres» physiologiques de cette catégorie de personnes sont très différents de ceux d’une personne plus jeune, ce qui doit les pousser à être plus vigilantes. Dr Moussayer Khadija, spécialiste en médecine interne et en gériatrie et présidente de l’Association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS), passe en revue toutes les évolutions du corps chez les personnes âgées durant le mois sacré et ce qu’elles impliquent.

«Les personnes âgées ne doivent pas restreindre leur consommation  alimentaire habituelle après la rupture du jeûne»

Le Matin : Tout d’abord, parlez-nous des principaux problèmes que vous rencontrez dans votre pratique quotidienne durant ce mois du Ramadan ?
Khadija Moussayer :
Je suis souvent amenée «à batailler ferme» avec des personnes âgées qui s’obstinent plus que de raison à observer le Ramadan malgré leur grand âge et/ou leurs pathologies. On ne peut que comprendre leur désir de participer à ce grand moment d’élan spirituel, mais il faut malheureusement savoir dire «stop» à un moment. Je dois d’ailleurs dire que j’ai en général le soutien de leurs enfants à cet égard. Les corps s’épuisent en effet au fur et à mesure des jours de jeûne et je constate fréquemment que les reins n’arrivent plus à suivre, les cœurs peinent à la tâche, les diabètes ne sont plus équilibrés et l’automédication pour «tenir le coup» a des effets désastreux.

Les personnes âgées manquent souvent
 d’appétit. Quand cela arrive pendant le mois du Ramadan, quel impact cela peut-il avoir sur leur corps ?

Les personnes âgées ont souvent tendance à diminuer leur apport alimentaire sans que leurs besoins énergétiques soient réduits. Ce manque d’appétit qui survient avec l’âge est en partie dû notamment à l’altération des perceptions des odeurs et du goût (qui stimulent ainsi moins). La capacité discriminative s’affaiblit, d’où une difficulté à identifier et apprécier les aliments. Contrairement aux idées reçues, les besoins énergétiques de la personne âgée sont presque identiques à ceux de l’adulte jeune : 2.000 kcal/j pour l’homme et 1.800 kcal/j pour la femme contre respectivement 2.800 et 2.200 à 30 ans. De ce fait, la conjonction d’une baisse de l’appétit et l’observation de longues heures de jeûne peut compromettre l’état nutritionnel de la personne âgée et mener à une spirale de conséquences fâcheuses. La personne âgée ne doit donc pas restreindre sa consommation alimentaire habituelle après la rupture du jeûne, sans d’ailleurs verser dans les excès, qui sont nocifs quel que soit l’âge !

Et les troubles de l’hydratation ?
La personne âgée a tendance naturellement à diminuer ses apports en eau, le seuil de perception de la soif s’émoussant aussi avec l’âge. Les pertes en eau de la personne âgée sont aussi plus importantes à cause de la plus forte résistance du rein à l’action d’une substance qui limite les pertes en urine (l’hormone antidiurétique). De plus, les mécanismes de régulation sont moins bien assurés, et l’élimination des surplus de sucre ou de sodium s’accompagne d’une plus grande perte en eau. L’équilibre hydrique est également menacé par certains médicaments (diurétiques, neuroleptiques…). Pour toutes ces raisons, les besoins en eau de boisson sont toujours plus élevés chez la personne âgée que chez l’adulte jeune (1,7 l/j contre 1,5 l/j), d’autant plus que les signes d’une déshydratation, en particulier lors du Ramadan, sont souvent tardifs et pas toujours faciles à interpréter. Ainsi, des manifestations de somnolence brusque, de troubles neuromusculaires, de constipation… ou d’accélération du rythme cardiaque doivent conduire à une réhydratation d’urgence… et cela sans perdre son temps à «discuter» chez la personne ou son entourage.

Que faut-il faire pour éviter la diminution du capital musculaire chez les personnes âgées pendant ce mois ?
Le capital musculaire diminue chez la personne âgée, ce qui aggrave l’état nutritionnel et d’hydratation. Les réserves en eau (73% de l’eau totale du corps sont stockés dans les muscles) baissent en effet corrélativement à la diminution de la masse musculaire (17% du poids du corps à 70 ans contre 30% à 30 ans). Ce phénomène, la sarcopénie, a des répercussions considérables par les faiblesses qu’il provoque : risques infectieux par baisse des réserves protéiques nécessaires aux défenses immunitaires, chutes et fractures éventuelles compromettant l’autonomie de la personne âgée… Pour éviter l’aggravation de la fonte musculaire, l’apport nutritionnel conseillé en protéines animales (viandes, poissons…) et/ou végétales (amande, pistache, noix de cajou, haricots rouges, lentilles, pois chiches, pois cassés, champignons, dattes et figues séchées, céréales…) et en particulier lors du Ramadan, doit être supérieur à celui de l’adulte jeune : 1 à 1,2 contre 0,8 à 1 g par jour, soit 12 à 15% des nutriments.

On sait tous que le mois du Ramadan au Maroc est synonyme de longues veillées nocturnes, ce qui réduit les heures de sommeil. Est-ce que cela peut avoir un impact négatif sur la santé des personnes âgées ?
Le sommeil se modifie avec l’âge tant par sa structure que par sa qualité. Son temps total diminue et il devient moins efficace, car plus fragmenté par des réveils nocturnes fréquents. L’observation du Ramadan ne doit pas se faire en complète rupture avec une bonne hygiène de vie et donc de sommeil. Il faut donc, autant que possible, essayer de conserver une heure de coucher et de lever régulière, de consacrer une heure de sont temps l’après-midi à une sieste réparatrice, de pratiquer une activité physique et de s’exposer (sans excès) à lumière naturelle durant la journée. Les boissons contenant des excitants (café, thé) ainsi que le tabac sont à éviter ou à consommer de façon minime.

Comment les personnes âgées peuvent-elles assurer un arbitrage raisonnable entre les médicaments et le jeûne ?
Les médicaments restent en plus grande quantité et plus longtemps dans l’organisme d’une personne âgée. Leur élimination rénale ralentie, leur accumulation dans les graisses et leur passage plus agressif dans le cerveau rendent de fait les personnes âgées beaucoup plus fragiles face aux médicaments. Ainsi, le paracétamol s’élimine deux fois plus lentement, le diazépam (valium) quatre fois plus lentement : il faut 80 heures – 3 jours ! – pour éliminer la moitié de la dose donnée de ce dernier médicament qui, avec une prise quotidienne, peut s’accumuler jusqu’à l’intoxication. L’observance du Ramadan se révèle ainsi toujours problématique face à la prise de médicaments, même anodins en apparence. Surtout quand on sait que l’intoxication médicamenteuse est responsable d’un tiers des hospitalisations des personnes âgées dans les pays développés !

Enfin quels conseils pouvez-vous donner aux personnes âgées pour bien passer ces derniers jours du Ramadan ?
Pour jeûner en toute sérénité, il est fortement conseillé à la personne âgée de consulter son médecin avant toute décision d’observer ou non le Ramadan et sur la prise de ses médicaments (pas d’auto-médication !), ne pas diminuer sa consommation alimentaire habituelle, veiller à consommer une bonne ration de protéines et bien boire (1,7 litre par jour au minimum en moyenne). Il faut prendre un petit déjeuner très consistant avant le lever du soleil, faire un repas léger au moment de la rupture et en faire un autre 3 heures après et adopter autant que possible de nouvelles heures de sommeil identiques et régulières d’un jour à l’autre. 

Propos recueillis par Hajjar El Haiti

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