Donnant sur la plage des Oudayas à l'extrémité de Rabat, le marabout de Sid El Yabouri ne passe pas inaperçu. En descendant par un chemin rocailleux qui sépare le site de son environnement extérieur et en pénétrant dans la vaste esplanade du mausolée, on a l'impression de mettre les pieds dans un autre monde. De somptueuses coupoles badigeonnées à la chaux et de couleurs bizarres accrochent immédiatement le regard et confèrent au site une apparence baroque typique des anciens marabouts du Maroc.
Des tombeaux éparpillés ça et là, parfois foulés indifféremment par les visiteurs, et une suffocante fumée d'encens achèvent de donner au site un caractère mystique, une spiritualité imprégnant les êtres et les choses.
Les visiteurs sont dans leur quasi-totalité des filles de tous les âges, venues prendre la baraqa (bénédiction) du Saint et l'implorer pour qu'il les aide à trouver leur deuxième moitié et pour qu'il chasse le mauvais sort qui les guette.
Impossible d'enlever à ces filles, accablées par un mal nommé célibat, l'idée qu'on leur a jeté de mauvais sorts pour les empêcher de se marier. Après avoir frappé à toutes les portes sans résultat, elles viennent se confier à Sid El Yabouri, réputé, dit-on, être d'un grand secours pour les femmes en quête de maris.
Rituels...
Trois visites au minimum sont nécessaires pour, soi-disant, apporter la chance et chasser le mauvais sort. Si les choses ne s'arrangent pourtant pas au bout de ces trois visites, alors on recommence dès le départ jusqu'à ce que se réalisent les vœux des visiteurs.
Les portes du sanctuaire ne s'ouvrent que mercredi (fixé comme jour de ziyara), de 7h du matin jusqu'à 19h du soir. En ce temps de grand froid, les visites se font rares. Et pour cause, l'un des rituels recommandés aux femmes désirant se débarrasser de leur mauvais sort est de se baigner avec l'eau d'un puits où, raconte-t-on, le Saint faisait jadis ses ablutions. Par un climat pareil, peu de femmes osent prendre le risque.
Ce n'est que dans les jours ensoleillés, plus particulièrement en été, que les lieux ne désemplissent pas. Outre le fameux bain froid, les visiteurs sont tenus de respecter scrupuleusement un certain nombre de rituels, afin que leurs demandes soient exaucées. «D'abord, pour entrer au mausolée, on doit s'acquitter d'une somme de 5 dirhams.
Des offrandes doivent également être présentées au Saint : poulets, coqs, moutons, chèvres, chacun selon ses moyens.
En outre, les visiteurs apportent du lait, des dattes, de l'eau de rose et allument des bougies, le tout acheté sur place, et les dédient à l'âme du wali.
On passe après au rituel le plus important : piétiner un citron jusqu'à ce qu'il explose, le faire tourner 3 fois de suite sous le pied droit et le jeter par la suite derrière, en disant : j'ai jeté ma tabâa, c'est-à-dire ma malchance», nous explique Bouchra, la gardienne du «temple». Avec ses cheveux grisonnants, ses yeux creusés, son corps maigrichon et sa bouche pratiquement sans dents, elle a parfaitement l'allure d'une gitane des temps anciens. Depuis ses 18 ans, elle fait à la fois office de gardienne du marabout et de devineresse, ce qui lui permet d'entretenir ses trois enfants orphelins.
Récits à l'eau de rose
Véritable mémoire vivante du site, Bouchra ne se lasse pas de raconter à qui veut l'entendre, dans les moindres détails, l'histoire du Saint et du sanctuaire. Une histoire faite de quelques faits réels, de légendes et de beaucoup de superstition. C'est avec beaucoup d'ardeur et de foi naïve qu'elle entame une longue tirade sur les dons fabuleux attribués au wali et aux esprits bienfaisants qui veillent sur sa sépulture. Pour en démontrer la véracité, elle fait des récits, qui défient la raison et le bon sens, sur de prétendus cas de femmes ayant réussi leurs vies grâce à la baraqa du siyed. «Je m'en souviens comme si c'était hier. Il y a quelques années, une femme est venue de Fès rendre visite au Saint. Elle était alors sans mari et sans boulot. A peine quelques mois se sont passés qu'elle est revenue spécialement pour m'informer que la chance lui avait enfin souri et qu'elle venait de trouver l'homme de sa vie et un métier décent. Et ne croyez pas que c'est un cas isolé. Il n'y a pas une seule personne qui se rend ici et pratique les rituels avec niya (bonne foi) sans que ses problèmes soient résolus, tôt ou tard». Trop beau pour être vrai ! Parmi les habitué(e)s des lieux, il ne manque pas de femmes et même d'hommes pour corroborer les propos fantasques de Bouchra. «Avant, je ne croyais pas aux vertus de ce marabout et je n'y avais jamais mis les pieds. Un jour, en passant par ici par hasard, mon pied s'est heurté à un sac en plastique si bien noué qu'il a éveillé ma curiosité. En le dénouant, j'ai eu l'agréable surprise de trouver dedans un tas de billets de 200 dirhams, une somme qui représente un million de centimes. Depuis, j'ai cessé de mettre en doute les pouvoirs du Saint et je fréquente assidûment le marabout parce que pour moi comme pour tant d'autres personnes, c'est un apporteur de bonheur», nous confie un habitué des lieux. Des récits à l'eau de rose, plus pittoresques les uns que les autres, on en rebat les oreilles à chaque nouveau «client».
Ordinairement, de telles balivernes sont destinées à duper des gens simples d'esprit. Mais ce qui est intriguant, c'est que beaucoup parmi les «clients» fidèles du marabout appartiennent à des milieux aisés et disposent d'un niveau d'éducation si élevé qu'on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'ils font dans un endroit pareil. «Si vous étiez venus une semaine plus tôt, vous auriez pu voir une longue rangée de voitures haut de gamme stationnées à l'entrée du marabout.
Leurs propriétaires, des personnes haut placées dans la société à en juger par leurs mines, n'éprouvent pas de gêne à entrer en négociations avec des clochards et des toxicomanes qui se font passer pour les maîtres des lieux.
Ils sont là pour différents motifs : guérir la stérilité et d'autres maladies incurables, apporter la bonne chance à leurs enfants, et la liste est longue », fait savoir un riverain abordé à la sortie du marabout.
Gare à l'arnaque !
Les gens qui se rendent à Sid El Yabouri sont convaincus qu'ils tentent leur dernière chance et sont donc prêts à vider leurs poches pour satisfaire le wali et ses «mlouks» et décrocher le précieux sésame qui peut être un époux, un boulot ou un enfant. Profitant à fond de la situation, des arnaqueurs les attirent dans leurs filets et leur soutirent de l'argent. «Figurez-vous, une bouteille d'eau qui fait d'habitude 1 dirham, ils la vendent à plus de 10 dirhams en la faisant passer pour de l'eau bénite. C'est de l'escroquerie, ça !», s'indigne la gardienne du marabout, scandalisée par ces pratiques qui, selon elle, salissent la réputation du marabout. «Vous voyez ce jeune homme vêtu d'une djellaba jaune et d'un gros turban en laine ?», lance Bouchra en pointant du doigt un homme ne dépassant pas la vingtaine, assis sur l'herbe juste à côté et entouré de trois jeunes filles. «Celui-là est un vrai charlatan. Il prétend être en contact avec les djinns et exploite la crédulité des gens pour leur soutirer des sommes faramineuses allant de 2.000 à 30.000 dirhams, selon la gravité des cas.
Tandis que moi, je me contente des pièces de 10 dirhams qu'on me tend de temps à autre, lui, il s'est fait une fortune sur le dos de ces pauvres. Ironie du sort, d'autres escrocs se sont fait arrêter par la police, mais lui, jamais.» A peine la femme a-t-elle terminé ses propos que des voix s'élevèrent du côté du charlatan et des trois filles qui formaient un cercle autour de lui. L'une d'elles, criant au scandale, voulait récupérer une partie de leur argent. «Es-tu folle de lui donner tout l'argent que nous avons sur nous ? comment va-t-on faire maintenant pour rentrer chez nous ?», lance-t-elle à sa copine. Totalement soumise, cette dernière s'adresse au charlatan d'une voix implorante, comme pour demander l'aumône : «S'il vous plaît, rendez-nous juste 20 dirhams.
Nous habitons loin et nous n'avons plus de quoi prendre le bus.» Insensible à ces prières, le jeune homme clame sur un ton autoritaire : «Vous m'avez donné cet argent de votre plein gré, je ne vous ai forcées à rien.
Ce qui entre dans ma bourse ne pourra jamais être récupéré.» Désespérées, les trois copines se sauvent, maudissant en leur for intérieur ce faux dévot, mais toujours agrippées à l'espoir que l'argent dépensé finira par «faire l'affaire».
Des tombeaux éparpillés ça et là, parfois foulés indifféremment par les visiteurs, et une suffocante fumée d'encens achèvent de donner au site un caractère mystique, une spiritualité imprégnant les êtres et les choses.
Les visiteurs sont dans leur quasi-totalité des filles de tous les âges, venues prendre la baraqa (bénédiction) du Saint et l'implorer pour qu'il les aide à trouver leur deuxième moitié et pour qu'il chasse le mauvais sort qui les guette.
Impossible d'enlever à ces filles, accablées par un mal nommé célibat, l'idée qu'on leur a jeté de mauvais sorts pour les empêcher de se marier. Après avoir frappé à toutes les portes sans résultat, elles viennent se confier à Sid El Yabouri, réputé, dit-on, être d'un grand secours pour les femmes en quête de maris.
Rituels...
Trois visites au minimum sont nécessaires pour, soi-disant, apporter la chance et chasser le mauvais sort. Si les choses ne s'arrangent pourtant pas au bout de ces trois visites, alors on recommence dès le départ jusqu'à ce que se réalisent les vœux des visiteurs.
Les portes du sanctuaire ne s'ouvrent que mercredi (fixé comme jour de ziyara), de 7h du matin jusqu'à 19h du soir. En ce temps de grand froid, les visites se font rares. Et pour cause, l'un des rituels recommandés aux femmes désirant se débarrasser de leur mauvais sort est de se baigner avec l'eau d'un puits où, raconte-t-on, le Saint faisait jadis ses ablutions. Par un climat pareil, peu de femmes osent prendre le risque.
Ce n'est que dans les jours ensoleillés, plus particulièrement en été, que les lieux ne désemplissent pas. Outre le fameux bain froid, les visiteurs sont tenus de respecter scrupuleusement un certain nombre de rituels, afin que leurs demandes soient exaucées. «D'abord, pour entrer au mausolée, on doit s'acquitter d'une somme de 5 dirhams.
Des offrandes doivent également être présentées au Saint : poulets, coqs, moutons, chèvres, chacun selon ses moyens.
En outre, les visiteurs apportent du lait, des dattes, de l'eau de rose et allument des bougies, le tout acheté sur place, et les dédient à l'âme du wali.
On passe après au rituel le plus important : piétiner un citron jusqu'à ce qu'il explose, le faire tourner 3 fois de suite sous le pied droit et le jeter par la suite derrière, en disant : j'ai jeté ma tabâa, c'est-à-dire ma malchance», nous explique Bouchra, la gardienne du «temple». Avec ses cheveux grisonnants, ses yeux creusés, son corps maigrichon et sa bouche pratiquement sans dents, elle a parfaitement l'allure d'une gitane des temps anciens. Depuis ses 18 ans, elle fait à la fois office de gardienne du marabout et de devineresse, ce qui lui permet d'entretenir ses trois enfants orphelins.
Récits à l'eau de rose
Véritable mémoire vivante du site, Bouchra ne se lasse pas de raconter à qui veut l'entendre, dans les moindres détails, l'histoire du Saint et du sanctuaire. Une histoire faite de quelques faits réels, de légendes et de beaucoup de superstition. C'est avec beaucoup d'ardeur et de foi naïve qu'elle entame une longue tirade sur les dons fabuleux attribués au wali et aux esprits bienfaisants qui veillent sur sa sépulture. Pour en démontrer la véracité, elle fait des récits, qui défient la raison et le bon sens, sur de prétendus cas de femmes ayant réussi leurs vies grâce à la baraqa du siyed. «Je m'en souviens comme si c'était hier. Il y a quelques années, une femme est venue de Fès rendre visite au Saint. Elle était alors sans mari et sans boulot. A peine quelques mois se sont passés qu'elle est revenue spécialement pour m'informer que la chance lui avait enfin souri et qu'elle venait de trouver l'homme de sa vie et un métier décent. Et ne croyez pas que c'est un cas isolé. Il n'y a pas une seule personne qui se rend ici et pratique les rituels avec niya (bonne foi) sans que ses problèmes soient résolus, tôt ou tard». Trop beau pour être vrai ! Parmi les habitué(e)s des lieux, il ne manque pas de femmes et même d'hommes pour corroborer les propos fantasques de Bouchra. «Avant, je ne croyais pas aux vertus de ce marabout et je n'y avais jamais mis les pieds. Un jour, en passant par ici par hasard, mon pied s'est heurté à un sac en plastique si bien noué qu'il a éveillé ma curiosité. En le dénouant, j'ai eu l'agréable surprise de trouver dedans un tas de billets de 200 dirhams, une somme qui représente un million de centimes. Depuis, j'ai cessé de mettre en doute les pouvoirs du Saint et je fréquente assidûment le marabout parce que pour moi comme pour tant d'autres personnes, c'est un apporteur de bonheur», nous confie un habitué des lieux. Des récits à l'eau de rose, plus pittoresques les uns que les autres, on en rebat les oreilles à chaque nouveau «client».
Ordinairement, de telles balivernes sont destinées à duper des gens simples d'esprit. Mais ce qui est intriguant, c'est que beaucoup parmi les «clients» fidèles du marabout appartiennent à des milieux aisés et disposent d'un niveau d'éducation si élevé qu'on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'ils font dans un endroit pareil. «Si vous étiez venus une semaine plus tôt, vous auriez pu voir une longue rangée de voitures haut de gamme stationnées à l'entrée du marabout.
Leurs propriétaires, des personnes haut placées dans la société à en juger par leurs mines, n'éprouvent pas de gêne à entrer en négociations avec des clochards et des toxicomanes qui se font passer pour les maîtres des lieux.
Ils sont là pour différents motifs : guérir la stérilité et d'autres maladies incurables, apporter la bonne chance à leurs enfants, et la liste est longue », fait savoir un riverain abordé à la sortie du marabout.
Gare à l'arnaque !
Les gens qui se rendent à Sid El Yabouri sont convaincus qu'ils tentent leur dernière chance et sont donc prêts à vider leurs poches pour satisfaire le wali et ses «mlouks» et décrocher le précieux sésame qui peut être un époux, un boulot ou un enfant. Profitant à fond de la situation, des arnaqueurs les attirent dans leurs filets et leur soutirent de l'argent. «Figurez-vous, une bouteille d'eau qui fait d'habitude 1 dirham, ils la vendent à plus de 10 dirhams en la faisant passer pour de l'eau bénite. C'est de l'escroquerie, ça !», s'indigne la gardienne du marabout, scandalisée par ces pratiques qui, selon elle, salissent la réputation du marabout. «Vous voyez ce jeune homme vêtu d'une djellaba jaune et d'un gros turban en laine ?», lance Bouchra en pointant du doigt un homme ne dépassant pas la vingtaine, assis sur l'herbe juste à côté et entouré de trois jeunes filles. «Celui-là est un vrai charlatan. Il prétend être en contact avec les djinns et exploite la crédulité des gens pour leur soutirer des sommes faramineuses allant de 2.000 à 30.000 dirhams, selon la gravité des cas.
Tandis que moi, je me contente des pièces de 10 dirhams qu'on me tend de temps à autre, lui, il s'est fait une fortune sur le dos de ces pauvres. Ironie du sort, d'autres escrocs se sont fait arrêter par la police, mais lui, jamais.» A peine la femme a-t-elle terminé ses propos que des voix s'élevèrent du côté du charlatan et des trois filles qui formaient un cercle autour de lui. L'une d'elles, criant au scandale, voulait récupérer une partie de leur argent. «Es-tu folle de lui donner tout l'argent que nous avons sur nous ? comment va-t-on faire maintenant pour rentrer chez nous ?», lance-t-elle à sa copine. Totalement soumise, cette dernière s'adresse au charlatan d'une voix implorante, comme pour demander l'aumône : «S'il vous plaît, rendez-nous juste 20 dirhams.
Nous habitons loin et nous n'avons plus de quoi prendre le bus.» Insensible à ces prières, le jeune homme clame sur un ton autoritaire : «Vous m'avez donné cet argent de votre plein gré, je ne vous ai forcées à rien.
Ce qui entre dans ma bourse ne pourra jamais être récupéré.» Désespérées, les trois copines se sauvent, maudissant en leur for intérieur ce faux dévot, mais toujours agrippées à l'espoir que l'argent dépensé finira par «faire l'affaire».