Illusoire et impossible de se référer à un seul code, à un seul rite ou à une seule religion. Si l’on s’appuie sur les textes qui définissent les codes, les modes de jouissance et les interdits, on méconnaîtrait l’historicité des mœurs, des coutumes et des habitudes, ici frappées d’interdit, là autorisées, quand elles ne sont pas valorisées ou instrumentalisées. Un acte sexuel peut prendre des significations différentes d’une culture à une autre : il ne répond pas nécessairement à un désir ou à une jouissance, il peut être l’expression d’un rituel, s’inscrire dans un cadre symbolique, être la manifestation d’un ordre social.
L’évocation des désirs et des sexualités convoque leurs représentations dans l’espace intime et dans l’espace public. Ces représentations diffèrent selon les pays et les continents. Dans certaines régions du monde, c’est le social, le champ politique et juridique qui prévalent. Dans d’autres, la place dominante est conférée au religieux, souvent mêlé au politique. Les désirs et les pratiques sexuelles appartiennent à une époque et s’inscrivent dans des discours. Dans les pays laïques, la religion tient peu de place, dans les autres elle est mise en avant. Selon l’époque et le lieu, l’idéologie encourage la liberté sexuelle de certains opposants au système en place (en 1968, on disait : «Faites l’amour et pas la guerre»). En revanche, l’idéologie étatique peut réprimer la liberté des mœurs, accusée de faire perdre les valeurs et la morale.
Dans l’islam (le texte coranique), il y a deux courants : celui des interdits et celui des jouissances. Ce dernier encourage la sexualité et s’oppose à la notion de péché et de pénitence caractérisant le christianisme. Qui ne voit pas le côté fantasmatique et fantastique de la vision du paradis musulman ? Un paradis fait d’abord pour l’homme qui disposerait de dizaines de femmes perpétuellement vierges. De nombreux chercheurs se rejoignent pour considérer qu’il faut procéder à l’analyse historique, anthropologique, sociologique du texte et soumettre la langue arabe dans laquelle ce message a été consigné à l’analyse linguistique contemporaine.
L’Histoire est en mouvement
Les interdits - et leurs excès - révèlent les peurs refoulées des hommes à l’égard des femmes. Les sociétés ont presque toutes essayé de réglementer la sexualité des femmes. La religion n’a pas été le seul outil de contrôle de la sexualité féminine. Le but de toutes les «normes» sexuelles est de nier le droit féminin au plaisir sexuel et à l’orgasme. La peur des femmes, le tabou de la virginité ont été décrits par Freud comme faits de civilisation et non d’une culture donnée. La violence faite aux femmes est reconnue comme un fait universel auquel n’échappe aucune société. L’Histoire est en mouvement. Le monde des plaisirs autrefois décrit en Orient a longtemps nourri les fantasmes de l’Occident. Aujourd’hui, le monde des Mille et une nuits a laissé place à d’autres fantasmes dans lesquels la femme n’existerait pas sous le voile. Pourtant, ce signe est une donnée à voir. Un voir sans être vu dans lequel l’homme serait interdit de voir et la femme en aurait tout le loisir, pourrait imaginer, désirer… Pour l’Homme l’énigme demeure : que se cache-t-il derrière le voile ?
Les sociétés arabes et musulmanes seraient-elles porteuses de structures spécifiques ? On peut en douter en rappelant le phallocentrisme ayant existé – et existant encore – dans les sociétés européennes. Ainsi, les hommes peuvent recourir à la force pour maintenir dans le refoulement cette part féminine en eux. Comment les femmes, en Europe et ailleurs, reprennent-elles névrotiquement l’obligation de leur enfermement ? Question inévitable lorsqu’on voit la façon dont les femmes se moulent dans les fantasmes des hommes et se donnent elles-mêmes à la consommation par l’autre sexe. L’Islam, l’Orient, l’Arabe, seraient donc le refoulé de l’Occident. On peut étendre cette notion à tout ce qui est différent chez l’autre : sa culture, sa langue et ses origines.
Si le corps de la femme s’expose et se médiatise en Occident, il est aujourd’hui censuré dans la plupart des pays musulmans. Même les écrits peuvent être censurés et parfois des mots, imprononçables en arabe, doivent passer par le français, l’anglais ou l’espagnol pour pouvoir se dire ou s’écrire. En Occident, la société de consommation a commercialisé les corps et banalisé la sexualité, rendant secondaires toutes les recommandations de l’Église. Dans les pays arabes, on crie à la honte, l’impudeur et le rabaissement de la femme observée dans les pays développés. Mais la pudeur s’est transformée en interdits en tous genres, rendant suspectes toute dénonciation de l’Occident. Pire, en confinant le sexe, et plus particulièrement celui de la femme, aux seuls espaces privés, elle a développé la notion de propriété sur son corps et sur sa sexualité. Une autre perversion s’en est suivie. Pourtant, un héritage littéraire arabo-musulman existe et certains écrivains ne manquaient pas de glorifier le sexe, allant jusqu’à des descriptions frisant la pornographie.
Aujourd’hui, au Maroc, en Tunisie ou au Liban, des femmes veulent marquer les esprits, en s’inscrivant dans une démarche qui surprend et appelle à la réflexion en montrant leur corps. Si le corps nu est généralement absent dans les représentations picturales, c’est du côté des écrivains et des artistes qu’il faut chercher le défi de la représentation du nu, encore rare aujourd’hui… Dans la littérature et dans les arts plastiques, les corps, dans leur nudité, ne sont pas présentés pour être objectivés, mais valorisés, reconnus, revendiqués, ne cédant ni à la contrainte d’être cachés, ni à l’exhibition objective. Ils sont partie d’un tout : l’être de la femme et de l’homme. Ils en appellent à une liberté et à une remise en question des normes, des tabous et des interdits dont sont également victimes les hommes
Les études sur la sexualité, avec les concepts d’amour, de chasteté, de virilité, d’homosexualité, dans l’Islam classique et contemporain ont été abordés par quelques auteurs (par Fatima Mernissi, Malek Chebel et de manière plus rigoureuse par Fethi Benslama). Notons que le développement des Gander Studies dans les universités d’outre-Atlantique a apporté, à partir des années 1990, un renouveau aux études sur la sexualité dans les sociétés musulmanes. L’individu, à l’époque contemporaine, est confronté à différents discours sur la sexualité. Celle-ci est soumise à différentes influences venues du cinéma, de la chanson, de la littérature, du milieu de vie, de la religion. On comprend dès lors les contradictions, entre la recherche des jouissances et les transgressions qui s’en suivent, dans la pratique.
Les normes sociales varient d’une époque à un autre, d’un pays à un autre. Lorsque l’homosexualité est considérée comme une déviance, elle l’est au regard de l’hétérosexualité considérée comme étant la norme. Dans la Grèce antique, l’homosexualité était très courante et répondait à un ordre social. Les déviances ne pouvaient se ranger comme le fait la médecine aujourd’hui dans les catégories de sadisme, masochisme, fétichisme. Dans plusieurs pays occidentaux, l’homosexualité est considérée, aujourd’hui, comme étant une forme de sexualité, une tendance naturelle à être attiré par une personne du même sexe et la possibilité de mariage homosexuel est revendiquée. Ces sociétés ne sont cependant pas exemptes de discriminations. Le rejet de l’institution conjugale homosexuelle peut s’expliquer tout autant par le refoulement des tendances homosexuelles en chacun que par la peur de la destruction de la cellule familiale classique.
Dans plusieurs pays arabes ou islamiques (Égypte, Arabie saoudite, Iran, Nigeria, Soudan…), les homosexuels sont passibles de peines de mort ou de châtiments physiques et de peines d’emprisonnement. Le caractère illégal de l’homosexualité existe dans de nombreux pays.
Au sein des pays du Maghreb, le débat existe de manière officieuse au Maroc, par le fait d’événements isolés et par le fait d’écrivains qui n’ont pas hésité à proclamer et revendiquer leur homosexualité. La littérature vient ici encore anticiper les débats de société et intègre la question de l’homosexualité au sein du débat pour les libertés et la levée des tabous. Les débats sur l’identité sexuelle, les désirs et la sexualité sont d’actualité. Une actualité où la psychanalyse se confronte à la philosophie, à l’anthropologie, la sociologie, l’art et la littérature.
La contraception, l’avortement et la procréation artificielle ont levé nombre de tabous et permis une séparation décisive entre sexualité et procréation, entre désir et reproduction, entre pulsions et biologie. La liberté sexuelle a certes gagné du terrain, mais s’est heurtée aux nouvelles normes : religieuses, morales, juridiques et politiques. De nouvelles perversions ont fait leur apparition. Les nouvelles technologies, en banalisant des images posent des questions aux familles, aux censeurs, et aux pouvoirs publics.